Date de sortie : 19 mars 2012 | Label : Alternative Tentacles
Inutile de revenir sur la carrière d'Unsane, tout le monde la connaît, ou plutôt non, devrait la connaître... Wreck est le septième album du trio depuis 1991 et succède au splendide Visqueen qui avait illuminé, écorché et désossé l'année 2007. Une vingtaine d'années d'existence, peu d'albums et toujours le même formule : Unsane fait du Unsane et semble incapable de faire autre chose, ce n'est de toute façon pas ce qu'on leur demande et comme il y a fort à parier que Chris Spencer se foute également de ce que l'on peut bien souhaiter, les choses sont très bien comme ça. Au menu donc, toujours cette même mixture tellurique qui emplit les tympans de son magma sonore et monolithique dès lors que l'on lance n'importe lequel des disques du trio : une basse menaçante, une batterie baraquée mais non exempte de finesse et une guitare agressive, parfois slide, toujours méchante, sans oublier cet harmonica lugubre qui hante les compositions du groupe depuis Scattered, Smothered & Covered en 1995. Et bien sûr la voix de Chris Spencer.
Ses cris.
Sa rage.
Son intensité désespérée.
Dès Rat, les choses sont bel et bien posées : quatre minutes d'uppercuts et de crochets du droit qui nous emmènent directement dans les cordes, du sang dans la bouche et devant les yeux mais le sourire aux lèvres. Même chose du coté de Pigeon, Ghost, Don't ou encore Roach, ce blues singulier joué le plus souvent le pied au plancher même si le groupe excelle également dans les tempi plus lents, pour preuve No Chance et son harmonica dégénéré et dégueulasse qui intensifie l'impact déjà important de sa musique. Mais rien de nouveau là-dedans, tout cela a déjà été entendu bien souvent depuis leur Unsane inaugural de 1991 et encore une fois, au risque de me répéter, ce n'est absolument pas un problème. Il n'y a bien qu'Unsane pour bien faire du Unsane et la sidération est telle à son écoute qu'ils pourraient sortir douze disques en douze mois que l'on serait pourtant parfaitement impatient d'entendre le suivant. Et qu'importe les changements de line-up (il n'y en a pas eu beaucoup d'ailleurs), l'entité Unsane est bien plus forte que les trois membres qui la constituent, excepté sans doute Chris Spencer. Bien qu'à l'époque de Celan, son aventure berlinoise avec Ari Benjamin Meyers (d'Einstürzende Neubauten), Halo (2008) ne sonnait pas comme Unsane qui ne se résume donc pas qu'à Chris Spencer. Quelque chose de
très mystérieux se niche sans doute quelque part au cœur du trio, quelque chose qui transcende sa musique.
En revanche, il est temps de parler de Decay, deuxième morceau de Wreck. Si l'on reconnaît sans peine le groupe et sa puissance dévastatrice, quelque chose d'assez inédit se fait entendre, quelque chose comme un ersatz de mélodie que l'on pourrait presque fredonner. Et ça, c'est une vraie nouveauté. Le trio semble desserrer ses poings, relâcher son étreinte et laisser entrer un peu d'air dans ses morceaux. Même chose du côté de Stuck à l'introduction magnifique et tranquille, la voix de Spencer se calme et ne crache plus son lot de rage et de démons le temps de quelques couplets. Il chante même. Et s'en sort magnifiquement bien dans ce registre-là aussi. Mais bon, chassez le naturel et cætera, le groupe retrouve sa dynamique et ses tempi sur la fin et poursuit sur un Roach dévastateur et complètement jouissif avant de conclure par une reprise de Flipper, Ha Ha Ha (tirée de leur live Blow'n Chunks ) où le rire gargantuesque de Chris Spencer se fait entendre à tel point qu'il résonne encore longtemps après que la musique s'est tue. Une reprise ! Chez Unsane ! Oui, sur Wreck, il n'y a plus de doute, le trio lâche un peu son paradigme et explore de nouvelles voies même si on ne parlera pas de grands changements. Et ça lui réussit plutôt très bien.
Car après tout, qu'importe qu'il y ait changement ou non, le plus important reste tout de même ce que le trio a à offrir, sa rage indomptée et son sens de l'agression vicieuse, ses riffs directs et flippants, sa basse sépulcrale et ses peaux matraquées. Unsane reste Unsane et le restera encore tant que le groupe n'aura pas effectué sa catharsis et à l'écoute de ses albums, celle-ci semble inépuisable. Il y a bien trop de sincérité là-dedans pour que ses démons ne soient qu'abstraits ou imaginés, ou même fantasmés. Sa musique est violente car la vie est violente et ce que nous montre le groupe n'est sans doute qu'un reflet de nous-mêmes. Bref, on n'a pas fini de prendre la main ensanglantée qui orne la pochette de Wreck (fidèle aux pochettes morbides précédentes), à moins que ce ne soit elle qui nous prenne par la main, pour partir en errance aux côtés du trio et traverser avec lui les paysages minéraux et dévastés qui constituent le fondement même de sa musique. C'est sans doute ainsi que chantent les volcans et les séismes. Ou en tout cas, s'ils le faisaient, ils joueraient cette espèce de noise bluesy monolithique et typique dont Wreck est une parfaite incarnation.
Unsane nous gratifie ainsi d'une nouvelle et incontestable réussite.
Magnifique.
leoluce