vendredi 3 février 2012

The Third Eye Foundation - You Guys Kill Me

Date de sortie : 20 octobre 1998 | Label : Domino

En guise de manifeste, impossible de ne pas vous toucher un mot de l'album qui m'a fait basculer du côté de ces musiques singulières et inconfortables que l'on se propose de défendre ici : indubitablement ce troisième opus de The Third Eye Foundation découvert à l'époque sur les conseils d'une abonnée aux suicides manqués qui écoutait la musique de l'Anglais pour se sentir moins misérable.

C'était avant que Matt Elliott ouvre son univers à des vents plus cléments, de la musique classique aux folklores slaves ou latins en passant par l'opéra - et notamment Maria Callas - sur l'éthéré Little Lost Soul qui allait préfigurer deux ans plus tard sa reconversion en songwriter dépressif, mais après qu'il eut mené la drum'n'bass d'outre-Manche dans ses retranchements les plus noisy et malaisants, entre deux jams avec son compère de l'époque Dave Pearce aka Flying Saucer Attack - lui-même fossoyeur d'un shoegaze qui n'aura jamais fait planer sur d'aussi insondables murs de bruits blanc, MBV compris.

A l'image de The Mess We Made, premier album signé sous son véritable patronyme en 2003 et dont les troublantes complaintes électro-acoustiques n'ont pas fini de nous hanter, You Guys Kill Me se présente donc, en quelque sorte, comme un disque charnière. Plus vraiment hardcore mais pas encore raffiné pour autant, le successeur du déjà fameux Ghosts n'apparaît pas beaucoup moins sinistre ou torturé, pas forcément plus sophistiqué non plus à proprement parler mais creuse avec une toute autre ambition le sillon de l'évocation. Un véritable film imaginaire qui n'a plus rien de monolithique mais déroule ses images mentales au gré d'un véritable cauchemar labyrinthique aux confins du dark ambient, de l'électronica et de la d'n'b.

Je me rappelle d'avoir succombé, dès l'entame d'album, au son de la bossa déliquescente du troublant A Galaxy Of Scars, générique d'ouverture balafré de cordes menaçantes qui dit déjà tout sans rien dévoiler. D'avoir eu le cœur et l'esprit tailladés par les hurlements nocturnes des loups-garous de For All The Brothers And Sisters, âmes en peine condamnées à l'errance et à la solitude sous le masque de leur vernis social qui se craquèle dans une indicible douleur à la lueur des réverbères. D'avoir frissonné dans la pénombre glacée d'un tunnel déserté de Bristol en proie à un ballet d'ombres inquiétantes générées par mon propre inconscient, d'ores et déjà happé par l'atmosphère unique de ce concentré d'antimatière et de désolation.

Il y avait bien une lumière blafarde qui nous attendait au bout du tunnel mais dès l’oppressant An Even Harder Shade Of Dark et ses rythmiques jazz-indus labourées au scalpel sur fond de samples de chant lyrique transformés en clameurs de harpies brûlées vives, l'album bascule dans d'abyssales ténèbres dont il ne ressortira jamais vraiment, de l'enchaînement fantomatique et lancinant de Lions Writing The Bible et No Dove No Covenant, jusqu'au lugubre That Would Be Exhibiting The Same Weak Traits tout en cuivres sourds et plaintifs (la BO de Taxi Driver jouée au ralenti ?), en passant par l'angoissé I'm Sick And Tired Of Being Sick And Tired dont le beat martial semble résister tant bien que mal aux lacérations des stridences spectrales. Autant dire qu'au regard de la misanthropie du titre, tout cela ne pouvait finir qu'un revolver en main dans les rues de Bristol, à tirer sur tout se qui bouge sans oublier bien sûr de conserver une dernière balle dans le barillet...

Une expérience limite en somme, dont bien peu d'albums parviendront à capter par la suite l'essence d'un spleen aussi morbide que poignant : sûrement le premier Bronnt Industries Kapital, à sa manière peut-être le Geogaddi de Boards Of Canada voire pourquoi pas, quoique dans un registre nettement plus brutal et glacé, le très glauque Filth Columnist d'Imaginary Forces. Puis, finalement, The Dark, qui marquait l'an dernier le retour du Bristolien aux manettes de ce projet que l'on pensait perdu corps et bien dans les limbes de l'oubli, entre deux sorties folk tourmentées dont la dernière en date, The Broken Man, fait justement l'actualité ces jours-ci. Comme quoi, tant qu'on a Matt Elliott, il ne faut jamais désespérer du désespoir.

Rabbit



A lire également :

- chez Chroniques Électroniques : les chroniques de The Dark et The Broken Man ;

- chez Indie Rock Mag : une interview de Matt Elliott où j'essaie, en vain, de le faire parler de You Guys Kill Me...

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