Date de sortie : 31 août 2012 | Label : Karlrecords
Le duo italien ULNA, composé de
Valerio Zucca Paul (Abstract G, 3EEM) et Andrea Ferraris (Airchamber,
Ur, Luminance Ratio) revient quatre ans après Frcture, leur dense et
brillant premier album. Depuis celui-ci, les deux se sont affiliés
pour ce projet à Karlrecords. Alors que 2012 a vu se succéder Lucen
d'afaOne et l'anxiogène The Sum Of Disappearing Sounds de Cezary
Gapik, en sortant Ligment, le label hambourgeois poursuit un parcours
annuel sans fautes mais avec de grandes claques. Que l'autre roux se
retourne dans son tank si l'on présume que l'IDM se meurt, pendant
ce temps, ULNA se régale de son cadavre et fait de ses ossements un
festin.
Métallique, fragmenté mais émouvant,
Ligment ne cesse d'interroger le clivage entre le sensible et le
déshumanisé, l'apport substantiel des instruments et l'inflexible
saccage du glitch. Si au sein du duo, Ferraris se charge de
l'instrumental, le travail synthétique revenant à son compère,
plusieurs invités apportent une certaine humanité à l'édifice,
notamment Barbara De Dominicis (Cabaret Noir), qui pose sa voix - ou du moins de troublantes bribes - sur Chrnc Sleep Db
et sur le lancinant Gze, et Mark Beazley (Rothko,
Strings Of Consciousness) qui, à deux reprises, intervient à la
basse. L'équilibre demeure toujours en jeu, et ULNA contourne,
sautille d'un décor à l'autre sans que nous autres pauvres mortels
n'y comprenions rien. La cohérence est totale mais de titre en
titre, le corps dominant se renouvèle, passant par la frénésie, la
flottaison, la poésie. Les nuances s'effacent et renaissent. Ligment
est de ces albums qui déclenchent des remous dans la poitrine, qui
cognent et doucement déchirent.
La qualité des enchevêtrements et la
spatialisation du son laissent aisément pantois. Tandis que le fond
gronde de ténèbres et que les brumes d'ambient se dilatent, le
devant devient le terrain de course d'innombrables mécanismes.
Cliquetis, bourdonnements et brisures se rencontrent comme au sein de
la jonction d'une autoroute stellaire. Il serait hérétique de
tenter de réduire ce disque à un genre défini. Les contours
post-industriels enveloppent drones et broken beats d'une même
brassée, les trames électro-acoustiques piquent des sursauts
technoïdes et les auteurs citent la musique concrète de Schaeffer
et l'hantologie comme références. Si ULNA s'avère un mélange de
tout cela, les Italiens savent établir une distance de rigueur avec
leur influences. C'est en cela que Ligment peut faire date, il évite
la redite et, de près, ne ressemble à rien d'existant.
Au plan de la liaison avec leur premier
essai, point de volte-face. L'album s'inscrit dans la lignée de
Frcture, offre un développement étoffé et plus qu'à la hauteur.
L'ostéologie comme thématique également persiste. Je me permets de
revenir sur l'apport de la basse de Mark Beazley. Les deux titres sur
lesquels il opère, Pgava et Nhndred, comptent parmi ce qu'il y a de
plus beau dans tout ça. Et il n'y a pas de hasard. Le premier
s'avère l'illustration première de l'idée d'humain derrière la
machine qui plane sur ce disque. C'en est la pièce la plus apaisée,
toute en courbes et en pulsations éperdues. Le second termine
l'album. Des décharges noise dessinent une rythmique soutenue, le
ton est vicieusement progressif, à un point que l'on s'étonne à
quatre minutes d'avoir le coeur serré. Tout le long, la basse de
Beazley plane, alourdit l'espace, et à elle seule transcende le
ressac tortueux et gris qui git sous elle. On pourra citer d'autre
part le fulgurant Prmary Schl, Lnce Wrner, Mssv et le sus-cité Gze,
même si nul fragment ne se révèle en deçà de la rougeoyante
beauté de l'ensemble.
Cette musique-là se prête mal à la
mise en mots - cela fait néanmoins quatre paragraphes que je m'y
évertue, me diriez-vous. S'immerger dans cet album, voilà la seule
recommandation. Ah, et ne pas lâcher des yeux Karlrecords également,
et prier pour qu'ULNA ne mette pas quatre ans avant le prochain.
Manolito
Suite à cette chronique,je commande les yeux fermés. Karlrecords va finir dans mes labels favoris. Le Cezary Gapik (découvert ici), dans un tout autre registre, est déjà pour moi un album majeur de 2012. J' attends celui-ci avec impatiente.
RépondreSupprimerMerci pour la découverte