lundi 28 janvier 2013

Saåad - Orbs & Channels


Date de sortie : 29 janvier 2013 | Label : Hands In The Dark 

Qui a dit que la scène expérimentale française vivait recluse ? Sa visibilité demeure certes marginale, mais s'il y a un groupe qui tend à servir de contre-exemple, on peut en attribuer la casquette à Saåad. Même si leur succès critique grandit davantage par delà les frontières que sur notre propre plancher (Fluid Radio est fan), on est tenté de croire que Orbs & Channels participera à combler l'écart. Composé à l'origine du seul Romain Barbot, le projet devient un duo en 2011, avec l'arrivée de Greg Buffier. Dès lors les deux Toulousains s'attèlent notamment à Sustained Layers, qu'ils composent avec EUS et Postdrome, puis à Confluences, une commande de la part du festival Toulouse d'Eté sortie en décembre dernier. Alors que leurs travaux ont jusque-là vu le jour sur leur label BLWBCK, ce nouveau long format sort chez Hands In The Dark, sous la forme d'une cassette en édition limitée à 100 copies.

Saåad accomplit le petit exploit de réaliser un album de drone purgé de toute aridité. Comme un bourdon continu autour duquel les souffles se modulent, Orbs & Channels joue de ses variations d'épaisseur, du lent mouvement de volumes d'air, pour agripper l'oreille et l'accompagner en lieu sombre, rassurant mais inconnu. Le duo travaille l'ambient comme un matériau sourd et voilé, creuse des résonances en cascade et enrobe les cellules sonores d'une écorce doucement psychédélique. Si l'album parvient à maintenir le voyage sans rupture, c'est grâce au travail de tissage des nappes à la manière d'un ouvrage de filigrane, à la spatialisation des sons qui nous amène à nous questionner sur leur existence. Une luxuriance de détails baigne dans des flots grondants et hiératiques, à l'image de ce fantôme baroque qui s'éveille sur les dernières secondes de Hieronimus.

Orbs & Channels démontre l'étrange capacité d'animer des souvenirs anonymes, l'assurance d'une perception familière mais dont l'origine échappe. Le flou permanent a des couleurs de forêts, la volatilité de la poussière des combles et l'atmosphère de réduits au parquet fatigué. L'entrée dans l'album ne cache pas sa gravité, des couches plus terrassantes qu'un ciel plombé disposent de l'espace et décident que vous ne relèverez pas la tête de sitôt. Au Delà et surtout Savarà s'attardent sur des formes de volutes saccadés, un élément constitutif de leurs pièces, évoquant des cordes jouées en spiccato et dont les échos s'égareraient dans la brume. Avant de diluer les masses grondantes dans des flux plus liquides, le coeur de Orbs & Channels ne délaisse pas la gravité du propos. Dans l'attente des faisceaux d'ambient pâle qui le traversent progressivement, Potsdamer Platz se fait l'introduction à une débâcle industrielle qui ne vient jamais. Alors que Forever Late a sonné le retour au calme, le superbe Hangover #8 questionne l'équilibre entre des froissures menaçantes et un halo de candeur, dans un usage toujours subtil des vibrations. Mais le vrai trésor de ce disque réside dans ses deux derniers titres – il est toujours judicieux de finir sur la note la plus haute. L'attention se cristallise sur la marée frémissante qui reflue le long de Cross Orguan, comme si la tonalité de ce lent dépôt avait trouvé le degré ultime, celui qui fait tressaillir puis paralyse. Sur Soft Drug enfin, les drones se sont apaisés, à défaut d'affluer la lumière perce, se réfléchit sur des dizaines de facettes. C'est l'aube qui pointe, et avec elle le goût d'une lasse euphorie.

Saåad sort cet album demain, il ne reste qu'une poignée – voire plus du tout – de versions cassette, c'est donc sur le digital que les retardataires devront se retrancher. Ceci est bel et bien une invitation.

Manolito

1 commentaire:

  1. Chronique exceptionnelle, qui donnerait presque envie de se convertir aux cassettes. Juste presque. Bravo tout court.

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