lundi 11 février 2013

Dead Neanderthals - Polaris



 

Date de sortie : 22 mars 2013 | Label : Utech Records

DEAD NEANDERTHALS

DEAD NEANDER[TH]ALS

DEAD NETHAND[ER]LS

DEAD NETHER[AND]LS

DEAD NETHERLANDS

Mais je m'égare peut-être. Quoi qu'il en soit, tout dans la musique de ce duo néerlandais évoque immanquablement une déclaration de guerre. Simple slogan ? Quand on écoute la petite demi-heure de Polaris, on a plutôt tendance à penser que non. Un nom pareil avec une musique pareille ne peut relever de la simple coïncidence. Fidèle aux règles esthétiques que Dead Neanderthals s'impose depuis son éponyme de 2010, le propos reste ici essentiellement et majoritairement agressif. À très fort volume, on sent littéralement les couches supérieures de l'épiderme se désintégrer sous les flots d'ondes dévastatrices que balancent ces Neck-AIDS, Yamatsuka Eye le bien nommé et autres titres en fusion constituant l'ordinaire d'un disque qui ne nous veut pas que du bien. À volume moindre, on saisit l'ossature. Un tchak, un poum, un gronk, un tatapoum, un grouik qui s'éternise et ainsi de suite jusqu'au bout des six morceaux. Et puis des fois, rien. Seulement le silence. Oui, parce que si on hésite à en parler, c'est qu'on ne sait trop où catégoriser ce chapelet de pains dans la gueule. Coincé pile-poil entre le free-jazz et le grind. La liberté de l'un avec la concision de l'autre. La violence du dernier et les structures alambiquées du premier. Le tout enveloppé d'une aridité qui condamne le duo à développer ses structures sous peine de perdre l'auditeur en cours de route. C'est qu'à scruter le line-up, on pourrait avoir l'impression que l'on aura vite fait le tour de la simple confrontation d'un saxophone baryton avec une batterie. Grave erreur ! D'abord, comme le groupe l'indique, il s'agit avant tout d'instruments de torture. Ensuite, il se trouve que chacun montre un goût immodéré pour le contre-pied et les travers et lorsque le saxophone développe des stridences alambiquées mais aussi très belles, la batterie taille la route de son côté dans un déchaînement proprement monstrueux. Il y a déjà de quoi explorer beaucoup et longtemps lorsque l'on prend les deux séparément, mais lorsqu'en plus ils se percutent ou s'amalgament, lorsque l'un souligne l'autre ou au contraire tente de le faire taire, l'exploration laisse la place à la sidération. Dans le même temps, n'allez surtout pas croire qu'il faille s'attendre à une immersion totale avec une musique à telle point enveloppante qu'elle habite jusqu'à la moindre parcelle du spectre sonore. Non, l'album est assez minimaliste et même très aéré mais au même titre que les oreilles, le cortex aussi est sollicité. 

De la violence mais pas de la brutalité.

Et sur Polaris, le groupe poursuit la mue entamée sur son EP précédent, Jazzhammer /Stormannsgalskap, où Dead Neanderthals s’essayait à maintenir sur la longueur ses brûlots jusqu’ici extrêmement concis. Car si les morceaux de l’éponyme frisaient certes la minute mais ne la dépassaient que deux fois sur dix tentatives, les deux seules de l’EP s'étalaient en revanche sur un temps dix fois plus long. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais l'étirement pourrait facilement devenir l'ennemi d'une telle musique qui privilégie la fulgurance lorsque le moindre morceau débarque sans crier gare, saccage tout puis s'enfuit comme il était venu, dans un souffle ou dans un grand fracas. Le tout en quelques secondes. Une fulgurance bien plus difficile à maintenir lorsqu'elle se joue sur la longueur. Dès lors, le duo déploie un arsenal destiné à préserver sa dynamique pour le moins véloce, son urgence : répétition du même motif rythmique, du même riff de saxophone, mouvements dans le morceau où se déploient successivement vacarme, vacarme puis vacarme ou vacarme, silence puis vacarme. Bref, ça explore, ça tente, ça essaye, ça cherche. Et souvent sur Polaris, ça trouve. Médiane parfaite d'un segment qui rejoint leurs premiers disques à l'EP précédemment cité, ce dernier présente six morceaux sur lesquels on sait bien que l'on reviendra souvent. En particulier parce qu'ils sont un poil moins furieux qu'auparavant et que cela ne manque pas d'interloquer. Envolé le blast beat de Jazzhammer. À sa place, quelque chose de moins frontal mais qui n'en reste pas moins véloce. Et que l'on se surprend à aimer tout autant. Un peu moins Zu, peut-être un peu plus Zorn. Qui lui fait aussi perdre un peu de singularité. Mais les Dead Neanderthals en ont tellement en réserve qu'ils ont beau rejoindre le panier, ils n'en restent pas moins bien placés vers le haut, voire tout en haut. On notera également que le baryton a laissé la place à un saxophone ténor qui lui aussi concourt à faire sonner le duo sans doute moins grind mais plus free-jazz.

En même temps, avec des titres comme Yamatsuka Eye, que l'on ne présente plus mais un peu quand même pour qui ne connaitrait pas les Boredoms ou Plissken qui ne peut qu'évoquer un bandeau noir sur un œil torve, le duo a tôt fait d'appartenir aux sphères que l'on aime : de l'excessif, du punk, du goût. Sa devise n'est-elle d'ailleurs pas « FUCK conventions and FUCK expectations » ? Bref, c'est avec une grande jubilation que l'on se perd dans les circonvolutions de Neck-AIDS, de Knot, de Yolk et de tous ces titres, que l'on tente de suivre le saxophone quand il furète de-ci de-là en s'appuyant sur le tapis rythmique à la fois bordélique et monomaniaque de la batterie ou quand au contraire il a une idée précise en tête et sait où il va. On suit de la même façon ce que les deux instruments, ensemble, ont a offrir : des idées à la pelle et un certain jusqu'au-boutisme dans l'exécution. On se rend bien compte au terme de l'écoute, alors qu'il est impossible de résumer ce par quoi le duo nous a fait passer – de pics en abysses et de mornes plaines en chemins de traverse alambiqués – que leur folie est sans doute juste un tout petit peu plus maîtrisée mais encore bien présente. Pour preuve, The Pit, deuxième morceau, longue fuite en avant qui ne s'arrête jamais avec son saxophone à l'agonie dès les première secondes et ces toms déchiquetés sous l'impact d'une frappe toute préhistorique. Le morceau prototypique de Polaris : ça va vite, ça mute et à aucun moment on ne sait où l'on va. Un groove se crée, froid, violent, complètement maniaque. Correspondant parfaitement à l’ADN d’un disque qui disloque son jazz et épure son grind. Dès lors, sauvage, martelée, accueillant de belles plages de silence entre les notes qui ne font que multiplier l'impact de ces dernières quand elles explosent, aujourd’hui accueillie par Utech, la musique du duo ne dénote absolument pas dans l'ordinaire du label. Bien sûr il faudra patienter un peu pour pouvoir y poser une oreille mais un petit tour par le bandcamp du groupe vous permettra de vous familiariser aisément avec la musique des Dead Neanderthals, tout en vous disant bien qu’avec Polaris, le groupe est déjà ailleurs.

Alors c’est vrai, il n’y en a plus désormais que pour l’Homo Sapiens mais la petite musique des derniers Néandertals mérite bien plus qu’une écoute : pour celles et ceux qui savent aimer, c’est le souffle de la vie et celui, aussi, d'une certaine beauté.



leoluce








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