lundi 30 décembre 2013

Pylar - Poderoso Se Alza En My


Date de sortie : 01 novembre 2013 | Label : Knockturne Records

Voilà un disque tout à fait particulier. Il montre beaucoup de points communs avec celui chroniqué ci-dessous : un psychédélisme singulier qui, aux opiacés, substitue l'exaspération, la colère, l'envie d'envoyer valdinguer les barrières et de recoller ensemble des univers distants qui, a priori, ne devaient jamais se rencontrer. D'un côté, des chants liturgiques, très aérés et forcément mystiques qui montrent beaucoup de réminiscences asiatiques, de l'autre, des guitares barbelées au vocabulaire féroce. À l'écoute de Poderoso Se Alza En My, on a souvent devant les yeux la même image : une chorale de moines bouddhistes hirsutes bardés de clous et de chaînes, un collectif qui écrase les fleurs à grands coups de grolles. Un truc jusqu'ici non identifié et qui se retrouve donc très logiquement sur Knockturne Records, label sévillan qui a vu le jour en 2013 et n'a sorti jusqu'ici que des disques hors normes et souvent passionnants (un petit tour sur leur page bandcamp vous permettra de vous familiariser avec son ADN foutraque, de Taaru, série d'improvisations féroces, épileptiques et crues à la contrebasse que l'on doit à Marco Serrato, moitié des fabuleux Jacob, jusqu'à Der Fliegende Holländer, collections d'expérimentations hallucinées, œuvre du trio Orthodox dont fait partie ce même Marco Serrato et dans lequel on serait bien en peine de trouver la moindre orthodoxie, en passant par le dernier Oikos). Bref, on nage ici en eaux troubles et on ne comprend souvent rien à ce que l'on entend. Parfois, on ne sait même pas si l'on apprécie. Pas souvent toutefois si l'on s'en tient au nombre d'écoutes. Et ce Pylar-là, justement, a beaucoup tourné. Dès lors, nous sommes certes un peu en retard sur celui-ci comme sur beaucoup d'autres mais en revanche, maintenant qu'on le connaît mieux, on pourra peut-être tenter d'en parler.

Pour commencer, il faut savoir que Poderoso Se Alza En My demande du temps. Du temps pour que la musique de Pylar fasse son chemin, diffuse sa mystique singulière. L'album débute par les treize minutes et quelques d'El Pylar Ha Sido Halzado et plante directement le décor : une longue psalmodie introductive déclamant quelques mantras obscurs à peine troublés par des cris incongrus. Et après exactement six minutes de cette transe liturgique déboule une guitare brutale que l'on n'attendait pas et le morceau abandonne ses atours chamaniques pour revêtir ceux bien plus psychédéliques d'un métal roide et froid. Curieux mélange. La suite est plus ou moins du même acabit et prend systématiquement par surprise : des morceaux déclamatoires à l'instrumentation chiche portés par leurs seules voix (El Más Anciano De Los Errantes), d'autres qui explorent les rivages incertains d'un jazz expérimental qui n'est pas sans rappeler le Dale Cooper Quartet ou Bohren & Der Club Of Gore en plus cru toutefois (El Primer Signatario), des pièces psychédéliques et inquiètes qui font voyager loin à l'intérieur de soi (l'intense et fabuleux ¡Alzaos, Oh, Puertas Eternas! ou encore La Gran Luminaria) et d'autres encore qui mélangent tout cela (El Secreto De Las Sendas). Ce qui frappe avant tout, c'est que la musique de Pylar est en permanence paroxystique. Le groupe peut bien jouer ce qu'il veut, avec ses idées et nos nerfs, il le fait toujours avec la même énergie. Il n'y a aucune baisse de régime, aucun apaisement. Extrêmement concentré, Pylar négocie chaque seconde de ce disque foutraque comme s'il s'agissait de la dernière. L'autre aspect qui fait toute la singularité de sa musique, c'est le travail impressionnant sur les voix : psalmodie, chuchotement, cri aliéné, monologue, dialogue, hétéroglossie, c'est la voix que l'on retrouve au cœur de chaque pièce, c'est elle qui est à l'origine de leur ossature, qui imprime la direction que les instruments se contentent de suivre ensuite. Un travail qui culmine sur le morceau final, Al Fin Te Contemplo Entre Las Ruinas Del Tiempo (Pentagramató) qui achève ainsi parfaitement le disque en livrant l'une de ses clés.

On ne sait pas très bien qui se cache derrière le collectif. Tout juste sait-on qu'il regroupe des membres d'Orthodox (évoqué plus haut) et de Blooming Látigo (auteur d'une collaboration avec Jacob particulièrement glauque et prenante qui n'était pas sans rappeler l'intensité malsaine de Khanate), deux entités extrêmes qui se rencontrent le temps d'un disque qui ne l'est pas moins. Sur scène, Pylar avance masqué ce qui, paraît-il, décuple le côté déjà fortement hypnotique de sa musique. Une véritable gageure quand on sait à quel point Poderoso Se Alza En My, avec son amalgame maîtrisé de jazz, de noise, d'expérimentations en tout genre, d'incantations et de métal, peut transporter haut et loin. Un disque qui en tout cas donne envie d'explorer plus avant les territoires flous de cette enclave ibérique autonome que constitue Knockturne Records. Un label dont on devrait rapidement reparler dans ces pages au regard de la qualité constante dont a fait preuve chacune de ses sorties tout au long de 2013. 

Exigeant et foutraque. Mais brillant avant tout.

leoluce

2 commentaires:

  1. Territoire musical original, inventif , mystique ; Envoutant un peu à la manière de Bong en plus varié. Pour amateur de Stephen o'Malley aussi......

    RépondreSupprimer
  2. Oui, tout à fait, Bong, Sunn O))) quelque part aussi mais avec des liturgies asiatiques assez singulières... Un disque vraiment original.

    RépondreSupprimer