Date de sortie : 31 octobre 2012 | Label : Latitudes
Une guitare légèrement amplifiée, complètement pelée,
près de l’os, une voix féminine bien plus parlée que chantée et c’est bien
tout. Quelques distorsions quand même, quelques drones aussi. Et une ambiance
qui évoque immanquablement les derniers Earth. Après tout, Carlson
est joliment planqué entre les lettres et c’est bien de lui dont il s’agit.
Augmenté toutefois du vocable Albion. Et imaginer l’americana singulière et
toute personnelle de Dylan Carlson se mêler au folklore occulte des
landes désertes de l’Angleterre mais grouillantes d’une vie invisible aux
profanes est déjà en soi intrigant. Le résultat quant à lui est tout simplement
un enchantement. Un melting-pot culturel et bipolaire qui voit le visage buriné
et travaillé au bourbon d’un cow-boy maussade et complètement perché scruter le
petit peuple de l’herbe, elfes, trolls, fées et tout le toutim en provenance
directe des bruyères mélancoliques de la légende celtique. C’est sec, comme à
l’habitude de Carlson depuis quelques disques mais surtout encore plus
mystique, ce qui aura la valeur d’un déjà bel exploit pour qui s’est perdu dans
les entrelacs immersifs et introvertis d’Earth et y erre sans doute
encore depuis Hex : Or Printing In The Infernal Method. Les
tentations initiales et rageuses de plus en plus loin et l’épure de plus en
plus prés. Le premier et seul titre original, qui donne
d’ailleurs son nom à l’album, suffit à planter le décor puisque tous les
suivants, pêle-mêle de reprises de folk antédiluviennes et de chansons plus
contemporaines (PJ Harvey, Kinks, Richard Thompson, une certaine idée de l’Angleterre) que Carlson est allé puiser aux confins des îles britanniques lors d’un récent voyage en leur sein, sonnent exactement comme l’entame. Une guitare solennelle et esseulée accompagnée de drones inquiets, la confrontation de la luminosité de l’une avec la noirceur des autres. Et cette voix tout à la fois désincarnée et bien présente qui l’accompagne sur certains titres. Pourtant, dire que rien ne s’y passe serait une trahison.
C’est qu’à son écoute, les poils sont restés dressés. Tout du long. À aucun moment, le cerveau n’est allé voir ailleurs. Aucun
morceau en-dessous des autres, tous frappent par leur évidence dès les premières
secondes, tous sont essentiels, des treizes minutes et quelques de The Faery
Round tout à la fois trop longues et trop courtes au refrain de Wicked
Annabella, seule véritable « chanson » d’un disque vaporeux et
comateux qui enveloppe et fait voyager loin. Dans sa tête, dans son corps,
au-dessus des océans, au plus profond du plus profond des trous les plus perdus
de la Terre, là où l’idée de la magie devient tout à coup pérenne, partout et
longtemps. Poser ce disque sur la platine, c’est arrêter le temps, c’est voyager
dans la psyché de Carlson, voire dans celle de l’Amérique et de sa
vision fantasmée de l’Europe. C’est beau, très souvent à pleurer, encore plus
souvent impressionnant, tout le temps simplement magnifique. En sept morceaux
seulement, Drcarlsonalbion met à jour rien de moins qu’un classique,
tout du moins un disque dont on sait bien qu’il nous accompagnera longtemps. Sa
simplicité, sa beauté pure de diamant brut, son goût de l’épure, sa lenteur
exacerbée qui font résonner les notes et les morceaux longtemps à l’intérieur
de la boîte crânienne rendent son appropriation légèrement ardue : à
suivre le délicat mouvement des cordes lumineuses s’égrenant tranquillement
devant, autour, sur et dans ces drones inquiétants, plus d’une fois on perd le
fil et une vision d’ensemble devient compliquée. Ainsi The Faery Sound
en deviendrait presque invertébré alors qu’à aucun moment il n’a manqué
de substance mais c’est qu’à côtoyer ainsi la finesse du papier le plus fin, Drcarlsonalbion tutoie en permanence le néant. Tout en n’y tombant jamais. Et c’est sans doute là sa plus belle réussite.
Un morceau tel que Reynardine le montre bien, le retour de la voix magnifique de Teresa Colamonaco habitant
parfaitement les guitares de Dylan Carlson et Jodie Cox, leur
réverbération sur cette voix caverneuse ajoutant force fragilité, voire
quelques accents tragiques, à une mélodie déjà en soi vulnérable et
dévastatrice. Les larmes ne sont pas loin mais on se tient. En revanche, on ne
résistera pas à Night Comes In, emprunté à Richard et Linda
Thompson : Reynardine était triste et prenant, celui-ci est
tout simplement déchirant. Comme si le morceau n’avait existé que pour n’être
joué que par ce trio. Un trio vecteur de forces qui le dépassent, un trio qui
transcende les morceaux qu’il joue et qui se transcende à leur contact,
atteignant une frontière inconnue, floue, difficile à cerner, mystique. Il
faudra bien les quelques minutes plus roots et basiques de Little Woman
– à l’allure plus conventionnelle de simple americana électrifiée
toutefois parfaitement exécutée – puis la reprise assez étonnante du Last
Living Rose de PJ Harvey – qui voit Colamonaco injecter une
pulsation complètement folk dénaturant assez joliment la sensibilité du morceau original – pour nous faire redescendre. Il était tout à fait évident qu’un disque tel que celui-ci trouve sa place au sein des impressionnantes Latitudes Sessions de Southern Records dont le concept est, rappelons-le, d’offrir aux artistes invités « the opportunity to spend some time recording something
spontaneous, collaborative, fun or experimental ». Pour le fun, bien
sûr, on repassera, pour la spontanéité et tout le reste en revanche Carlson
s’en est donné à cœur joie et la confrontation de son americana baroque de plus
en plus épurée aux benshees et aux légendes britanniques est bien trop
jubilatoire pour que le disque coure le risque de rencontrer un jour la
poussière. Sur cet album, il donne l’impression d’inventer rien moins qu’un
nouveau langage musical que l’on pourrait qualifier de doom folk occulte et victorien ou quelque chose comme ça. Quoi qu’il en soit, il ajoute ici une nouvelle corde à son arc pourtant bien fourni qui amplifie, si besoin était, l’impact déjà grand de sa musique et ce faisant, pour nous, un nouveau chef-d’œuvre dans nos étagères.
Pour vous donner l'envie d'y jeter une oreille, ce magnifique Reynardine devrait parfaitement faire l'affaire car tout dans La Strega And The Cunning Man In The Smoke est comme ceci : simple et beau. Gare au folklore, l'envoûtement guète, la magie opère, les fées et les korrigans ne sont pas loin quand, avec un tel album, il devient tout à fait possible de les envisager.
Magnifique.
leoluce
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