jeudi 29 août 2013

GR - A Reverse Age


Date de sortie : 30 octobre 2012 | Label : Mexican Summer

Dix mois de retard et même, pour être tout à fait honnête, sept années. Le premier long-format de GR date de 2007 (Xperiments From Within The Tentacular) mais déjà, à l'époque, on y trouve tout ce qui fait sa singularité, ses partis pris et sa doxa érigés en charte esthétique. Un line-up réduit à sa plus simple expression - lui et seulement lui derrière chaque instrument - et l'utilisation du quatre pistes analogique. Agrémenté de ce qu'il écoute, ce qui l'influence, ce qu'il veut perpétuer ou qui coule en lui. Un esprit, une musique. Celui et celle qui irriguent les disques des illustres tarés de Chrome par exemple ou encore ceux de Michael Yonkers avec qui il a d'ailleurs enregistré The High Speed Recording Complex (en 2010). Et encore, il s'agit de ne pas trop se mouiller, parce qu'on pourrait également citer bon nombre de combos obscurs qui pullulaient durant les '60s/'70s dans bon nombre de garages, qu'ils soient européens ou américains, et dont on retrouve quelques maigres traces dans les compilations type Nuggets ou Pebbles. Et puis les Stooges, voire les albums solo d'Alan Vega, sans oublier le Magic Band du Captain Beefheart et quelques représentants de la Kosmische Musik. Et on s'arrêtera là car on ne peut faire une liste exhaustive des accents familiers (mais aussi souvent complètement inconnus) qui peuplent sa musique où transparait tout ce que le rock'n'roll a pu avoir de plus sauvage, transgressif, obscur et habité. D'autant plus que les disques de GR ne sont nullement des hommages et encore moins des plagiats, ils ne regardent pas en arrière mais plutôt droit devant en s'appropriant quelques codes apparus au siècle dernier pour les faire évoluer aujourd'hui. Un emprunt au service d'une interprétation, d'une vision et non pas une simple reproduction, une pâle copie. Ce qui donne l'envie de parcourir sa discographie et tant pis si on le fait à rebours. On commencera ainsi par la fin et A Reverse Age paru, donc, il y a maintenant dix mois.

GR pour Grégory Raimo que les quelques lecteurs assidus de ce blog ont déjà rencontré à la faveur de la sortie bien actuelle, elle, de Massacre-Rock Deviant Inquisitors, dernier disque en date des furieux Gunslingers auxquels il prête sa guitare et ses onomatopées. Il y a beaucoup de connexions entre les deux projets, à commencer bien sûr par la musique mais celle-ci, lorsqu'elle est élaborée en solo est sans doute un poil moins dense qu'en trio. En revanche, elle garde toute sa richesse. Et il s'agit bien plus d'une nuance que d'une réelle différence. Pour le reste, il s'agit toujours de rock'n'roll, certes tordu dans tous les sens, arraché et trituré pour lui donner une forme fuselée à même de traverser sans encombre les montagnes de sauvagerie et d'expérimentations en tout genre que GR lui fait subir, mais de rock'n'roll tout de même. Un truc binaire avec une batterie qui fait poum-tchack, des ondes caoutchouteuses qui font bong-bong et une guitare qui lance des wah-wah ou des fuzzzz à la face de l'auditeur tout en lui déversant un discours assez incompréhensible au creux de l'oreille. Enfin, en tout cas, voilà pour l'ossature principale parce qu'A Reverse Age est tout de même bien plus complexe que cela. À commencer parles accidents rythmiques qui font que l'architecture des morceaux, loin d'être gravée dans le marbre, mute sans que l'on s'en rende bien compte. C'est que chaque instrument est joué et enregistré en une seule prise. Une véritable gageure mais qui apporte beaucoup à la musique de GR, lui conférant un côté humain et vivant qui touche énormément. Ensuite la voix, qui adopte une diction et use de phonèmes anglo-saxons sans que l'on puisse reconnaître le moindre mot. Pourtant, loin de nuire au propos, elle permet de l'affermir et sans elle, les morceaux ne seraient plus tout à fait les mêmes. Et enfin, la guitare. La grande affaire d'A Reverse Age.

Modelée à grands coups de pédales d'effet, elle trace des lignes sinueuses qui rappellent que pour aller d'un point A à un point B, on peut aussi oublier la ligne droite ou le vol d'oiseau et préférer les digressions, les chemins de traverse, les courbes et les hachures. Les méandres soniques dont elle est à l'origine sont insensées et subjuguent en permanence. Le disque devient labyrinthique et on ne sait jamais trop où va déboucher un morceau. Ainsi parée d'arabesques acides, la musique d'A Reverse Age devient extrêmement psychédélique. Bien sûr, tous les morceaux sont intéressants et, bien que portés par la même personne et les mêmes instruments, font preuve d'une grande variété. Dès Low-Born, le disque accapare : une batterie très carrée tout en cymbales conquérantes qui tente de contenir une guitare qui déborde de partout. Une écoute attentive permet de mettre à jour les petits accrocs qui entaillent le tissu rythmique du morceau, lui conférant des accents drone assez intrigants. Vapours Invisible qui le suit immédiatement est quant à lui strictement instrumental et GR y laisse folâtrer sa guitare. Dès ce moment-là, elle prend le contrôle et trace les contours d'un acid-rock très punk et spontané qui culmine probablement au cours des neuf minutes du titre éponyme. Un frisson parcourt l'échine. Et se maintient tout du long, y compris au cours d'Hymn Of Pan aux paroles empruntées à Shelley, titre acoustique et légèrement plus folk aux cordes tout à la fois sèches et liquides. Morceau parfait qui clôture idéalement la face A. La B est du même acabit, alignant successivement Spectre Of the Brocken, Brädtenehend et The Primitive Hoodoo sur lesquels plane les ombres alambiquées de Beefheart ou Hawkwind, balançant des soli hallucinés ouvrant les portes de la perception à grands coups de groles. Il est alors temps pour Action Vision, punk et psychédélique, de mettre un terme à ces trente-huit minutes d'un autre temps - ou plutôt hors du temps - et d'un autre espace.

Tout ce pavé et tous ces mots pour le dire tout de même : on parle ici de quelqu'un qui s'inscrit dans une démarche totalement libre et indépendante, jouant tout seul sur ses disques, les enregistrant, les sortant sur son propre label (excepté pour celui-ci). Quelqu'un qui, avec les Gunslingers, a connu les éloges de Julian Cope (pas n'importe qui, vous en conviendrez), a été invité à participer à des festivals par Brian Turner de WMFU, par les Germs aussi, a partagé la scène avec Michael Yonkers et qui végète dans un quasi-anonymat de ce côté-ci de l'océan Atlantique. Pourtant, ses disques regorgent d'inventivité et d'intransigeance, débordent de talent et offrent une vision qui frappe par sa grande pureté. Un truc sauvage et lo-fi, qui ne s'épuise pas et n'épuise pas, quelque chose qui vous rappelle pourquoi vous êtes fanatique de musique. Allez sur le site des Disques Blasphématoires Du Palatin et achetez, même les yeux fermés, n'importe laquelle des occurrences qui y sont présentées. C'est la promesse de toucher du doigt une enclave autonome qui ne demande qu'à sortir de l'obscurité. Un fragment de sauvagerie parfaitement exécuté qui s'incruste sur la platine et qu'il devient bien difficile de déloger. 

Grand.

leoluce



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