dimanche 7 octobre 2012

Aluk Todolo - Occult Rock


Date de sortie : 21 septembre 2012 | Label : Norma Evangelium Diaboli

L'occulte rocke ou d'occultes rocks ? Les deux à la fois, indéniablement. Disque d'outre-tombe où rien n'est mort. Au contraire, ça déborde. De furie, de riffs, de martellements, de stridences, de déviances, de violence et de vie. De tout. Partout. Tout le temps. Fûts sur courant alternatif, pulsation majoritairement lapin duracell, batteur fou, rythme aliéné et aliénant. Guitare qui explore un bon milliard de directions, méthodiquement, consciencieusement, avec un sens de la trajectoire imprévisible intrigant. Basse qui recolle, décolle, extrapole, tantôt greffée aux six cordes, parfois jouant cavalier seul. Dès la première micro-seconde, le disque accapare. On le prend en pleine face comme un trente-huit tonnes déboulant des enceintes, projeté avec force directement contre le mur, le poids de cent éléphants furieux sur le thorax. Physiquement, inutile de dire que l'on ressent quelque chose. Mais ça ne s'arrête pas là parce qu'en plus, il y a la répétition. Des structures et des idées. Le riff sur le même riff sur le même riff sur le même riff qui n'est d'ailleurs plus tout à fait le même que celui de départ. Tout cela mute sournoisement. Mentalement, inutile de dire que l'on ressent également quelque chose. D'autant plus que l'éventail sonore développé ici est franchement varié : attaque frontale qui vous transforme en sparring-partner, coup droit, uppercut et papillons derrière les yeux, approche larvée qui rampe par derrière, une lame à la main qui se retrouve bien vite sur la gorge, guerre psychologique enfin qui sait mettre le doigt là où il ne faudrait pas. Et Aluk Todolo prend son temps. Tous les morceaux autour des dix minutes, parfois un peu moins mais souvent un peu plus. Et pourtant, à aucun moment l'ennuie ne guète, ni même la lassitude. Il se passe bien trop de choses ici pour qu'à aucun moment l'attention ne s'épuise.

On l'aura compris, Occult Rock est un patchwork magnifiquement retors : rien pour le confort de l'écoute ou de l'auditeur. L'enjeu est bien ailleurs, dans la recherche des multiples chemins amenant à la transe. Que celle-ci pousse à regarder à l'intérieur de soi avec un regard bien plus réaliste que simplement bienveillant en dit long sur ce disque et ses intentions. C'est bien à notre part d'ombre qu'il s'adresse en priorité. Car après tout, pourquoi adhère-t-on à un instrumental de presque douze minutes comme Occult Rock V qui n'est rien d'autre qu'un amas fuselé de stridences patraques sur une rythmique increvable ? Qu'y trouve-t-on de plus qu'une hypnose passagère ? Eh bien, un peu tout ce que l'on aime et qui oriente l'atmosphère et les morceaux dans la pénombre, loin de la lumière : une guitare avant tout psychédélique et dysharmonique aux intonations noise rock et même surf parfois, exsudant des gerbes de fuzz acides, une basse maousse et malléable qui récite ses tables de multiplication et une batterie quatre roues motrices qui n'a peur de rien et suit sans problème les changements nombreux que l'apex du morceau impose à son architecture. Long serpent hypnotique aux circonvolutions nombreuses et à la mue constante, à aucun moment on ne se rappelle d'où l'on est parti tout en étant absolument sûr de ne pas savoir où l'on va. Le titre nous perd mais ne se perd pas. N'est-ce pas cela, la transe ? Frère sombre et renfrogné des jusqu'au-boutistes Psychic Paramount, Aluk Todolo, comme eux, sait nous envelopper dans des cercles éthérés et vaporeux peuplés d'animaux sournois qui bouffent nos synapses après nous avoir ensorcelés. En revanche, il fait preuve de bien plus de variété.

Disque papier de verre, disque ébarbeuse aussi parfois, la mixture d'Occult Rock n'est pas si simple à détailler : des soubassements extrêmes qui prennent racine principalement dans le metal, essentiellement black, parfois post, dans le punk un peu et dans la noise beaucoup, un sens de la digression et du patraque probablement hérité du psychédélisme acide des '60s agonisantes, une attirance pour la répétition et le labyrinthique directement empruntée à la kosmische musik du début des '70s, le tout saupoudré d'un petit goût pour le n'importe quoi et le bizarre dont on ne saurait dire d'où il vient, peut-être de This Heat sinon d'Aluk Todolo lui-même. Il en résulte huit épopées instrumentales et telluriques qui nous font marcher sous la terre, au plus près de la lave en fusion. Le tempo ralentit puis s'emballe puis ralentit à nouveau tout du long, la guitare explore toutes les nuances du spectre clandestin de l'occulte et la basse balance ses ondes à tout va. Il se crée une sphère extrêmement sombre, un big bang à l'envers, le disque implosant bien plus qu'il n'explose. Ainsi, quand toutes les forces du trio sont jetées dans le même instant, le spectre sonore devient complètement engorgé. Des notes partout qui grimpent les unes sur les autres, s'accumulent en strates épaisses et compactes, la musique atteignant alors une densité extrême qui enfonce la platine de quelques bons mètres dans le sol. Plus la moindre fréquence de libre pour caser une pause ou ne serait-ce qu'une respiration. Dans ces moments-là, Aluk Todolo asphyxie. Mais il arrive également qu'un instrument passe au premier plan et fasse jeu égal avec le silence qui l'accompagne. La tempête se calme, le morceau se distend, la musique ne tient plus qu'à un fil. Le disque devient alors opalescent, presque transparent. Et ce sont toutes ces différences d'opacité et plus encore le passage de l'une à l'autre qui en font un disque à ce point remarquable.

Car tous les morceaux se ressemblent, d'ailleurs tous portent le même titre affublé d'un simple numéro, mais uniquement dans leurs velléités hypnotiques puisque les armes qu'ils utilisent pour arriver à la transe sont, elles, des plus variées. On ne les détaillera pas ici, simplement dirons-nous qu'après une entame coup de poing et massive, Occult Rock bifurque dès le deuxième titre vers quelque chose de bien plus larvé et insidieux puis tous les suivants mélangent dans un fracas assez ahurissant ces deux nuances et développent un climax revêche où de longues explosions succèdent à de longues montées en puissance dans un mouvement de va-et-vient permanent franchement désaxé. D'ailleurs, on a tôt fait d'oublier qu'Occult Rock est constitué de la succession de plusieurs morceaux puisque tous finissent par s'emboîter pour ne former qu'un seul et même instrumental complètement noir et protéiforme, tout aussi massif qu'aéré, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes. Quoi qu'il en soit, le disque sidère tout du long, la palme du bizarre pour le tarabiscoté Occult Rock VII qui nous gratifie d'une guitare dont on peut penser qu'elle remonte le temps en jouant complètement à l'envers alors que la batterie taille la route, allant, elle, complètement de l'avant. Il en résulte quelque chose d'assez inédit, une dynamique oxymore pendant quelques instants que l'on prend plaisir à détailler. Mais de toute façon, tout dans Occult Rock est comme cela, un parfait condensé de ce qu'il se fait de mieux en terme d'agression sonore ténébreuse et détraquée. Mais arrêtons-là les mots, le mieux étant encore d'écouter et pour cela Occult Rock deuxième et cinquième du nom feront largement l'affaire, parfaitement représentatifs de la dynamique si particulière développée par ce trio français que l'on n'est pas prêt de lâcher.

Dépourvu de la moindre once de gaieté, sombre, pâle, faussement calme comme une eau dont on sait bien qu'il faut se méfier, acariâtre, voire hargneux, ce disque est avant tout simplement, extrêmement, sans l'ombre d'un doute, brillant.





leoluce

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