Date de sortie : 02 avril 2013 | Label : Land Of Decay
Nous étions immédiatement tombés amoureux d'Ecotono, le précédent album d'Oikos - duo madrilène formé de David San Martin et Rafael Femiano - paru chez Utech en 2011. La faute à ses drones solaires qui tutoyaient les cieux dans leurs mélodies et s'ancraient profondément dans la fange par le biais d'arrangements saturés et bien dégueulasses. Un magnifique album qui retrouve encore aujourd'hui régulièrement le chemin de la platine quand le besoin de subtilité se fait sentir et que l'on cherche un disque à même de tromper le cerveau et ses envies d'équations réductrices du type triste = beau ou drone = sombre. Avec Oikos, les paradigmes volaient en éclats, les égalités n'étaient plus si égales et les habitudes-certitudes arboraient des atours inhabituels-incertains. Toute la question est de savoir si Solve Et Coagvla revêt la même singularité qu'Ecotono. Suspense, suspense. La réponse est oui. Tout en étant non. C'est que les cinq pièces que contient cette cassette ont été composées entre 2008 et 2011 et il n'est donc pas étonnant de retrouver cette même patte qui faisait les riches heures d'Ecotono. Ces mélodies célestes défigurées par ces drones crades et sursaturés. Dans le même temps, elles ont été mixées et réarrangées pour devenir de nouveaux morceaux et le moins que l'on puisse dire, c'est que depuis 2011, le visage d'Oikos a bien changé. David San Martin vit maintenant en Russie et ne contribue plus qu'à distance et c'est essentiellement Rafael Femiano qui s'est occupé de retravailler la masse sonore léguée par l'alors encore duo. Un visage dont on retrouve toujours les traits caractéristiques mais qui est aussi plus buriné, arborant les stigmates du temps qui passe, quelques rides ici et là faisant ressortir des yeux gris d'orage qui va frapper. La tension qui habitait chaque morceau est encore bien présente mais surtout encore plus forte et il suffit d'écouter les cinq minutes de Solve qui ouvrent le disque pour s'en convaincre : un mur de bruit extrêmement dense lézardé de frottements vicieux et répétés qui rythment l'ensemble. Un squelette industriel et abrasif autour duquel virevoltent une pluie de stridences et de larsens. On a déjà vu des introductions plus accueillantes mais pourtant celle-ci ne rebute pas, au contraire. Un ersatz de mélodie, petit à petit, apparaît et ce qui n'était de prime abord qu'un bloc bruyant et invertébré se transforme en chaos structuré. Une métamorphose qui laisse bouche bée.
Oikos ne s'était encore jamais montré si jusqu'au-boutiste dans ses arrangements. Où est donc passé le tapis mélodique qui s'opposait à l'âpreté du soubassement ? Toujours là, mais un peu plus en dessous. En tout cas sur Solve mais aussi sur une bonne partie d'Omniscience qui le suit immédiatement et qui s'adjoint le renfort des guitares d'André Foisy (membre de Locrian et co-fondateur de Land Of Decay). D'ailleurs, c'est lorsqu'elles se taisent à la toute fin et que le morceau ne tient plus qu'à un souffle que la mélodie apparaît, vibrante et magnifique, on se rend alors compte qu'elle a toujours été là mais enfouie sous le grain surexposé des strates de guitare. Oui, la tension, indéniablement, entre beau et sale perdure mais ces deux aspects sont ici tellement creusés en profondeur qu'Oikos devient encore plus beau et encore plus sale. Coagvla est quant à lui beaucoup plus typique et n'aurait d'ailleurs pas dépareillé sur Ecotono sans doute parce que l'enluminure passe au premier plan. Solennelle, imposante, la longue mélopée qui habite le morceau a beau être accidentée, subir les assauts de moult bruits conquérants, elle n'en reste pas moins de toute beauté. Sur Altered - un titre on ne peut mieux trouvé - elle se disloque même en blocs de bruits abstraits tout en demeurant toutefois identifiable. Y compris lorsque les drones expérimentaux déshumanisent complètement la musique, menaçant de la faire disparaître dans une sorte de dilution conceptuelle où n'en subsisterait qu'une vague idée mais subitement, tout s'interrompt au profit d'un silence assourdissant de quelques secondes. Il fallait bien les presque huit minutes de Vimana pour synthétiser tout cela, genre de long serpent métaphysique à l'ambient revêche et au timbre shoegaze qui impressionne carrément. En tout cas, au terme de l'écoute de ces cinq morceaux magnifiques, on comprend mieux le titre Solve Et Coagvla : les deux pièces les plus représentatives de cette entité à la musique bicéphale. Pour l'une qui sacrifie la mélodie sur l'autel du bruit, l'autre montre le bourreau devenir victime dans un mouvement inverse. Quoi de mieux pour schématiser en quelques mots ce Janus ibérique ?
Alors bien sûr, une petite demi-heure passe bien trop vite mais quand elle est à tel point maîtrisée, qu'importe qu'elle soit trop courte puisqu'il y a dans chaque morceau de quoi explorer longtemps. En multipliant les écoutes, les détails deviennent perceptibles et on finit par oublier même l'ossature pour déboucher dans une sorte de no man's land abstrait qui ne cesse d'interloquer. Où Oikos puise-t-il cette singularité puisque, après tout, ce n'est quand même pas la première fois que l'on associe le beau et le moche, que l'un naît de l'autre ? Sans doute dans le tiraillement qui résulte de sa façon de se tenir exactement entre les deux et qui les exacerbe, leur donne une grande densité. Ces textures synthétiques parcourues de strates de guitares écorchées, ces tableaux de sable colorés aux contours indéfinis qui ne donnent rien de près mais dévoilent de loin leur message, ces harmonies défigurées par le mouvement continu des échardes sonores qui se fracassent contre elles comme le ressac, tous ces moments-là où la tension est palpable et où Oikos dévoile sa nature profonde et ses atavismes, refuse de choisir et fait avec ce qu'il est. Tout cela concoure à rendre Solve Et Coagvla sidérant. Louons Rafael Femiano pour avoir retravaillé une matière qu'il a concouru à édifier, de s'être réapproprié les muses passées pour en faire celles d'aujourd'hui, d'avoir
maintenu l'inspiration et l'âme d'une musique à la fois subtile et
rugueuse, écorchée et apaisée, fluide et hachée. Une musique qui vibre
et fait vibrer.
Pour une cassette sortie en catimini, de
quoi en tout cas donner l'envie de se battre pour qu'elle touche le plus
grand nombre. Et comme les mots ne sauraient suffire,
écoutez simplement mais attentivement ce qui suit.
Vite, vite, la suite.
leoluce
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