samedi 24 mars 2012

Unsane - Wreck

 Date de sortie : 19 mars 2012 | Label : Alternative Tentacles

Inutile de revenir sur la carrière d'Unsane, tout le monde la connaît, ou plutôt non, devrait la connaître... Wreck est le septième album du trio depuis 1991 et succède au splendide Visqueen qui avait illuminé, écorché et désossé l'année 2007. Une vingtaine d'années d'existence, peu d'albums et toujours le même formule : Unsane fait du Unsane et semble incapable de faire autre chose, ce n'est de toute façon pas ce qu'on leur demande et comme il y a fort à parier que Chris Spencer se foute également de ce que l'on peut bien souhaiter, les choses sont très bien comme ça. Au menu donc, toujours cette même mixture tellurique qui emplit les tympans de son magma sonore et monolithique dès lors que l'on lance n'importe lequel des disques du trio : une basse menaçante, une batterie baraquée mais non exempte de finesse et une guitare agressive, parfois slide, toujours méchante, sans oublier cet harmonica lugubre qui hante les compositions du groupe depuis Scattered, Smothered & Covered en 1995. Et bien sûr la voix de Chris Spencer

Ses cris. 

Sa rage. 

Son intensité désespérée.

Dès Rat, les choses sont bel et bien posées : quatre minutes d'uppercuts et de crochets du droit qui nous emmènent directement dans les cordes, du sang dans la bouche et devant les yeux mais le sourire aux lèvres. Même chose du coté de Pigeon, Ghost, Don't ou encore Roach, ce blues singulier joué le plus souvent le pied au plancher même si le groupe excelle également dans les tempi plus lents, pour preuve No Chance et son harmonica dégénéré et dégueulasse qui intensifie l'impact déjà important de sa musique. Mais rien de nouveau là-dedans, tout cela a déjà été entendu bien souvent depuis leur Unsane inaugural de 1991 et encore une fois, au risque de me répéter, ce n'est absolument pas un problème. Il n'y a bien qu'Unsane pour bien faire du Unsane et la sidération est telle à son écoute qu'ils pourraient sortir douze disques en douze mois que l'on serait pourtant parfaitement impatient d'entendre le suivant. Et qu'importe les changements de line-up (il n'y en a pas eu beaucoup d'ailleurs), l'entité Unsane est bien plus forte que les trois membres qui la constituent, excepté sans doute Chris Spencer. Bien qu'à l'époque de Celan, son aventure berlinoise avec Ari Benjamin Meyers (d'Einstürzende Neubauten), Halo (2008) ne sonnait pas comme Unsane qui ne se résume donc pas qu'à Chris Spencer. Quelque chose de très mystérieux se niche sans doute quelque part au cœur du trio, quelque chose qui transcende sa musique.

En revanche, il est temps de parler de Decay, deuxième morceau de Wreck. Si l'on reconnaît sans peine le groupe et sa puissance dévastatrice, quelque chose d'assez inédit se fait entendre, quelque chose comme un ersatz de mélodie que l'on pourrait presque fredonner. Et ça, c'est une vraie nouveauté. Le trio semble desserrer ses poings, relâcher son étreinte et laisser entrer un peu d'air dans ses morceaux. Même chose du côté de Stuck à l'introduction magnifique et tranquille, la voix de Spencer se calme et ne crache plus son lot de rage et de démons le temps de quelques couplets. Il chante même. Et s'en sort magnifiquement bien dans ce registre-là aussi. Mais bon, chassez le naturel et cætera, le groupe retrouve sa dynamique et ses tempi sur la fin et poursuit sur un Roach dévastateur et complètement jouissif avant de conclure par une reprise de Flipper, Ha Ha Ha (tirée de leur live Blow'n Chunks ) où le rire gargantuesque de Chris Spencer se fait entendre à tel point qu'il résonne encore longtemps après que la musique s'est tue. Une reprise ! Chez Unsane ! Oui, sur Wreck, il n'y a plus de doute, le trio lâche un peu son paradigme et explore de nouvelles voies même si on ne parlera pas de grands changements. Et ça lui réussit plutôt très bien.

Car après tout, qu'importe qu'il y ait changement ou non, le plus important reste tout de même ce que le trio a à offrir, sa rage indomptée et son sens de l'agression vicieuse, ses riffs directs et flippants, sa basse sépulcrale et ses peaux matraquées. Unsane reste Unsane et le restera encore tant que le groupe n'aura pas effectué sa catharsis et à l'écoute de ses albums, celle-ci semble inépuisable. Il y a bien trop de sincérité là-dedans pour que ses démons ne soient qu'abstraits ou imaginés, ou même fantasmés. Sa musique est violente car la vie est violente et ce que nous montre le groupe n'est sans doute qu'un reflet de nous-mêmes. Bref, on n'a pas fini de prendre la main ensanglantée qui orne la pochette de Wreck (fidèle aux pochettes morbides précédentes), à moins que ce ne soit elle qui nous prenne par la main, pour partir en errance aux côtés du trio et traverser avec lui les paysages minéraux et dévastés qui constituent le fondement même de sa musique. C'est sans doute ainsi que chantent les volcans et les séismes. Ou en tout cas, s'ils le faisaient, ils joueraient cette espèce de noise bluesy monolithique et typique dont Wreck est une parfaite incarnation.  

Unsane nous gratifie ainsi d'une nouvelle et incontestable réussite.

Magnifique.

leoluce

vendredi 23 mars 2012

___dREàgänN!!!, Julia LaDense & Mantichora - Dark.


Date de sortie : 1er janvier 2012 | Label : I Had An Accident Records

Avis aux nostalgiques du walkman et autres radiocassettes, après Field Hymns sur IRM c'est un autre label d'outre-Atlantique en guerre avec l'idéologie consumériste de son époque que l'on a choisi de mettre à l'honneur dans nos modestes pages numériques. I Had An Accident Records, le webzine au masque anti-gaz vous en avait déjà touché un mot ici pour les intrigants agglomérats lo-fi et vaguement hip-hop de FRKSE, beatmaker de Boston également connu sous le nom de Rajbot, ou encore pour son coup de pouce à la distribution américaine des vinyles de l'écurie hip-hop Decorative Stamp (l'apocalyptique Babel Fishh y étant d'ailleurs allé de sa propre sortie cassette l'été dernier), mais sans s'étendre plus avant sur le catalogue d'une structure dont l'excellence, n'en déplaise à son nom, n'a rien d'un hasard de parcours.

En témoigne notamment cette collaboration de la cofondatrice Julia LaDense (tiers de Heart Heart Julia), basée comme son label à Annapolis dans la Maryland, avec le Polonais Marcin Łojek aka Mantichora, qui pour nous faire mentir sortira en CD prochainement, entorse tout à fait exceptionnelle à l'éthique vintage que prônent la musicienne et son compère Justin Bieler. Une édition qui fera fi des deux pièces du Belge __dReàgäN!!! occupant à elles seules toute la face-A de la cassette, ce qui devrait quelque peu épargner les conduits auditifs des heureux acquéreurs de l'objet, sachant qu'à côté de cette noise pour machines-outils où larsens métalliques, oscillations sursaturées et crissements de vieille ponceuse à l'agonie se font souffrir mutuellement, les expérimentations de Merzbow ont presque des allures de comptines pour enfants.

Restera donc la face-B et son dark ambient chaotique et déliquescent qui nous plonge d'entrée de jeu dans une atmosphère oppressante de film d'horreur claustro, à mi-chemin de la descente dans les méandres d'un souterrain putride et de la traque dans les couloirs d'un vaisseau spatial désaffecté façon Alien. On avance ainsi au gré des pulsations hypnotiques d'une alarme en sourdine sur Marc Jacobs Model, craquements électriques et grouillements organiques emplissant tout l'espace, avant d'être enseveli par une vague de drones noisy et d'interférences radiophoniques aux déformations inquiétantes sur Kurt Cobaine dont le seul point commun avec le frontman de feu Nirvana est peut-être à chercher du côté du déferlement médiatique qui vint alimenter jusqu'à l'issue fatale que l'on sait le comportement autodestructeur du chanteur.

Car c'est dans un flot implacable de détonations sourdes que le titre s'éteint, et la suite sera dès lors nettement plus insidieuse, des vibrations anxieuses de Methods aux échos fantomatiques de Glue/Hold, nous préparant peu à peu à la fin de toutes choses, cet orage malsain de matière noire qui accompagne sur Pictures/Words les lacérations et lampées gloutonnes d'une Bête que l'on imagine jamais rassasiée. Vous l'aurez compris, il faut aimer la torture mentale mais les masochistes ne seront certainement pas déçus, pas plus d'ailleurs qu'avec l'abrasif mais truculent Nothing Is Special qui voit Julia triturer ses field recordings, court-circuiter ses amplis et même malmener quelques samples de hip-hop ou de berceuses acoustiques en compagnie cette fois de Norihito Kodama (aka NRYY) pour un résultat plus dadaïste que flippant mais toujours aussi violent pour les tympans, le Japonais se chargeant de la dimension anxiogène à coups de crépitements fébriles, de percussions martiales et de drones venteux entre deux réminiscences de folklore oriental ou d'opéra nippon.

Les deux cassettes, éditées respectivement à 50 et 30 exemplaires, sont toujours disponibles sur le site du label, extrait à l'appui pour chacune d'elles ici et . Avant il y avait Bandcamp, l'écoute libre et tout le toutim mais les ventes diminuaient proportionnellement à la multiplication des leaks sur la Toile, et parfois l'idéologie doit se plier aux aléas de la nécessité. Alors soyez trendy et achetez des cassettes, vos acouphènes vous le rendront au centuple et vous n'aurez plus qu'à mettre à profit les nuits d'insomnies pour écumer 5 années de back catalogue. Quant au suivi de l'actu de l'écurie ricaine avec une dizaine de sorties rien que depuis janvier, c'est encore sur IRM que ça se passe.

Rabbit

mardi 20 mars 2012

The Carapace - Moments in Time.


Date de sortie : 3 janvier 2012 | Label : Signifier

Basé à Middletown dans le Connecticut, Joshua Colella officiait encore il y peu dans les sphères hardcore sous l'identité de scrap.edx, projet dont la mixture de breakcore, d'IDM et de techno industrielle a fait les belles heures de feu DTA Records et plus récemment du label Hands Productions - Empusae, Xabec, Klinik, Winterkälte, Orphx... autant de beatmakers et de formations portés sur le côté sombre, violent et mécanique de la musique électronique qu'on aime.

Une assise post-indus que l'Américain su conserver avec The Carapace tout en la pliant à de nouvelles ambitions, plus atmosphériques et nuancées. Moments in Time empile ainsi en un subtil organigramme de boucles différentielles les couches de beats pulsés, de glitchs fuyants, de distorsions cybernétiques, de mélodies synthétiques et de nappes éthérées comme il aligne ces moments aussi fugaces que troublants où la vie questionne notre identité et semble soudain faire sens.

A la croisée de l'abstraction mentale et de l'évocation cinématique, la musique de The Carapace quoiqu'en plus acide et uptempo rappelle un peu dans sa démarche celle de Grauraum chez Raumklang Music, dans cette capacité à faire dialoguer des boucles rythmiques à la fois massives et précises avec d'autres plus brumeuses et contemplatives, mais également pour ce parfait compromis entre efficacité et sens du détail, impact somatique et dimension onirique. A ce titre on pourrait également citer Hecq ou pourquoi pas Architect du côté d'Hymen Records, mais c'est bien l'ex Hotaru Bay qui était peut-être le plus proche jusqu'ici de réussir le tour de force de mêler avec une telle limpidité épure hypnotique et foisonnement épique sur la longueur d'un album. Jusqu'ici, car The Carapace, en terme de virtuosité et de complexité mais également de profondeur et de substance, place d'emblée la barre deux crans plus haut - à l'altitude justement d'un Hecq.

Essentiellement composé à partir de field recordings retravaillés par le musicien jusqu'à en devenir méconnaissables, les huit compositions de l'album brassent en effet autant d'humeurs et de sensations qu'a pu en éprouver Joshua Colella durant ces instants éphémères mais prégnants. Étonnement songeur (08/02/2009), urgence inquiète (10/06/2009), curiosité mystique (12/19/2009), étrangeté gothique (02/27/2010) ou peur panique (08/08/2010) sont ainsi quelques-uns des sentiments expérimentés à l'écoute de Moments in Time, particulièrement propice à ce processus d'identification qui fait de l'aventure une véritable expérience extra-corporelle.

Et lorsqu'au détour d'un morceau une respiration nous rouvre au monde extérieur comme à la fin du cyclothymique 12/24/2010 alors même que les accords apaisants d'une harpe semblent vouloir saisir la beauté fugitive d'un bonheur d'enfants, les cris des bambins s'estompent aussitôt pour mieux nous laisser replonger en apnée dans le malaise sourd de l'oppressant 03/06/2011, malice de l'ellipse dont le beatmaker use sans en abuser sur un disque dont la construction semble couler de source, jusqu'à la conclusion martiale d'un 06/29/2011 aux prises avec le pouvoir d'inertie de la fatalité.

"J'ai envisagé cet album comme une méditation pour aider à soulager l'esprit durant des périodes de changement et de complexité", explique-t-il dans un court manifeste sur sa page Bandcamp. Heureusement, le résultat n'a rien d'une bande-son New Age et risquerait fort de plomber votre séance de développement personnel. L'esprit se nourrit de doutes et contradictions, et ça l'Américain l'a bien compris : il en a même fait un chef-d’œuvre.

Rabbit

samedi 17 mars 2012

Relmic Statute - Untitled


Date de sortie : 9 février 2012 | Label : Cotton Goods

De Windy & Carl à Radere en passant par From The Mouth Of The Sun, Listening Mirror, Marcus Fischer ou The Boats, les chefs-d’œuvre d'ambient éthérée ne manquent pas en ce début d'année. Malgré quelques EPs et un album chez Hibernate, l'Anglais David Horner ne bénéficie certes pas de la même visibilité que ces sorties attachées aux prestigieux labels Kranky, 12k, Tench, Experimedia... et pourtant, fort de ses premières parties pour Svarte Greiner, Stephan Mathieu, BJ Nilsen, Machinefabriek, Simon Scott, Library Tapes ou encore feu Jasper TX (aujourd'hui moitié des sus-nommés From The Mouth Of The Sun), Relmic Statute avec ses deux précédents longs formats édités par la très discrète structure Cotton Gods évolue déjà dans la cour des grands. Quant au monde du drone, il ne l'est pas tant (grand) puisque le label en question n'est autre que celui de Craig Tattersall, ex Hood et tête pensante de Mancuniens de The Boats dont on vous parlait pas plus tard que la semaine dernière.

Mais venons-en à la musique. Le respect de cadors du genre tels que Lawrence English ou Wil Bolton ne trompe pas, la grâce cotonneuse des boucles de Morning Tapes non plus, avec leur spleen scintillant tout en économie de moyens mêlant field recordings aux allures de rêves éveillés et instrumentation parcimonieuse. Un album composé sur près de 10 ans sans véritable ambition d'en faire une œuvre "construite", mais si l'ensemble paru en 2010 et disponible à l'écoute via Bandcamp envoûte et fascine déjà d'un bout à l'autre, Untitled apparaît d'emblée comme étant d'un tout autre acabit.

Sans titre, la première piste fleuve des quatre que compte l'album aurait très bien pu l'être elle aussi, sobrement affublée du nom de Cassette Recording. Peut-être parce qu'il n'y pas de mots pour véritablement décrire pareille plongée en apnée dans les abîmes océaniques, vertigineuse épopée aquatique dont les cascades de percussions étouffées produites par différents objets et les sonorités plus limpides d'un idiophone délicat s'enfoncent peu à peu dans la pénombre des grands fonds, s'effaçant à mesure de la lumière du soleil s'estompe et que nous parvient l'écho d'une communication échappée on ne sait trop comment du continuum espace-temps. Puis une douce lueur apparaît, bleutée, mouvante, comme vivante et la plaine abyssale devient cathédrale d'un culte mystérieux, dont l'aura naturelle le dispute au halo du sacré, cette impression de faire face à un Inconnu dont la dimension nous dépasse.

Pas facile après ces 23 minutes de reprendre sa respiration mais Luthrimel 3 va quelque peu nous y aider, méditation lo-fi aux textures granuleuses où s'entremêlent progressivement, à l'aune d'un carillon balloté au gré des courants, des bouts de mélodies cristallines dont on ne saurait trop dire si elles sont jouées à la harpe ou au clavier. Plus monolithique mais non moins gracile, le poudroyant Floor 3 Room 1-06 s'inscrit dans la continuité de cette divagation en suspension avant qu'Archive Weather avec ses boucles de pulsations glitchy et ses coups de sonars analogiques aux fragiles réverbérations subaquatiques ne vienne mettre à profit les incursions dans l'électronica et la dub-techno du bien-nommé EP A Cognitive Trail Of Abstraction de l'an dernier, mais en mode résolument impressionniste, la sauce rythmique se diluant avant même d'avoir pris.

La remontée est enivrante et bientôt les rayons du jour emplissent tout l'espace, nous guidant jusqu'à la surface. Et pourtant, une fois la tête hors de l'eau et que le rêve commence à se dissiper au son des cloches de bateaux, des insectes et des chants d'oiseaux comme si toutes ces sensations n'avaient jamais existé, on ne peut s'empêcher de ressentir une certaine amertume. La chance nous sera-t-elle offerte de vivre l'expérience à nouveau ? Quelle part notre imagination a-t-elle joué dans l'aventure ? C'est toute la beauté de cet Untitled dont les évocations ne prennent corps qu'aux confins du songe et de la suggestion.

Rabbit

samedi 10 mars 2012

The Boats - Ballads Of The Research Department


Date de sortie : 10 janvier 2012 | Label : 12k

Après quelques albums sur de petits labels et notamment leurs propres structures Moteer et Our Small Ideas, Andrew Hargreaves et Craig Tattersall débarquent en 2009 chez Home Normal, de quoi offrir davantage de visibilité à leurs instrumentaux à la fois mélodiques et texturés, à la croisée de l'ambient, du glitch et de l'acoustique. L'année suivante, avec l'arrivée de Danny Norbury au violoncelle, le duo devient trio et s'ouvre à l'influence remarquable de retenue d'un certain lyrisme post-classique avec l'élégant et versatile The Ballad Of The Eagle, suivi en ce début 2012 par un premier opus pour la prestigieuse écurie 12k de Taylor Deupree, on ne peut mieux adaptée aux compositions aussi aventureuses qu'accessibles de la formation du comté de Manchester.

Car derrière The Boats se dissimule partiellement l'héritage de Hood, groupe séminal au sein duquel Craig Tattersall (tout comme Andrew Johnson son compère de Famous Boyfriend et Remote Viewer) fit ses premières armes du temps des fameux Rustic Houses, Forlorn Valleys et The Cycle Of Days And Seasons coproduits par un certain Matt Elliott. Ainsi, en attendant de retrouver ces boîtes à rythmes aux incursions proches de l'ambient techno sur un court passage de The Ballad For The Girl On The Moon puis sur The Ballad Of Indecision en toute fin d'album, c'est bien la dynamique d'une batterie organique aux claquements presque lo-fi qui rythme par intermittence les trois premiers titres de Ballads Of The Research Department, minimaliste et feutrée certes, parfois même échantillonnée et pliée à la volonté d'une boucle démiurgique mais à la dramaturgie néanmoins bien affirmée.

Et puis, il y a toujours ces voix dont le groupe use avec le même degré de parcimonie, décuplant leur pouvoir d'évocation : celles de Chris Stewart (régulièrement entendue chez les Anglais depuis leur troisième opus Tomorrow Time en 2006), passée au filtre d'un effet quasi psychédélique sur The Ballad Of Failure, et de Mayuko Nakagawa sur The Ballad Of Indecision, pensionnaire quant à elle sous le pseudo Cuushe du label japonais Flau qui avait vu passer le groupe en 2008 avec Faulty Toned Radio, et dont les couplets rêveurs et caressants semblent répondre en bout de parcours à ces imposantes élégies chorales qui ouvraient The Ballad For Achievement, comme si l'auditeur au fil de sa progression en était arrivé à dépasser sa crainte de l'éternité pour toucher du doigt une certaine sérénité.

De la batterie, du chant, des bouts de mélodies mis en avant sans le moindre complexe... autant d'éléments peu habituels pour 12k, et pourtant, avec leur spleen délicat, leur splendeur rêveuse et leur romantisme majestueux, les quatre ballades fleuves qui composent ce nouvel opus aussi ambitieux que son prédécesseur était concis ne dépareillent en rien au côté des Minamo, Illuha ou autre Murralin Lane. Car la durée des titres aidant, de 10 à 12 minutes chacun, la musique de The Boats se fait ici plus immersive que jamais, évoluant progressivement pour distiller ses bribes de mélancolie acoustique, d'accords de piano impressionnistes en riffs de guitare solaires, de percussions scintillantes en arrangements de cordes poignants et de bois flâneurs en contrebasse ronde, au rythme de ces mystérieuses marées de drones analogiques et de grésillements balayés par le vent. Laissant en somme à l'auditeur tout l'espace nécessaire pour en arpenter les courants à son gré, à la recherche d'espoir et de réconfort dans le Savoir.

Un savoir qui pourrait finalement se résumer à faire rimer quelques notions trop souvent antagonistes : complexité avec spontanéité, liberté avec espace, tristesse avec chaleur et naturel avec souplesse, dans cette façon de se lover dans le creux des contraintes, tout un art hérité du jazz et de ces groupes pionniers qui surent faire du silence un élément à part entière de leur musique, de Talk Talk à Labradford en passant, évidemment, par Hood. Un piédestal devenu aujourd'hui bien étroit sous l'influence de labels tels que Room40, Kranky, Hibernate et bien d'autres mais qui devra, forcément, faire un peu de place à The Boats, auteurs de l'un des grands incontournables de ce début d'année.

Rabbit

vendredi 2 mars 2012

A Native Hundred - Down To Your Hairs


Date de sortie : 20 février 2012 | Label : Decorative Stamp

Pour une fois, on sortira des ornières pour aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Le disque qui nous intéresse ici n’est pas franchement expérimental, ni dramatiquement sombre, ni quoi que ce soit qui pourrait correspondre aux quelques albums chroniqués au-dessous. Non, ce disque-là est fait de bouts de ficelle, de quelques cordes de guitare en bois ou amplifiée et on y trouve de beaux textes en anglais qui parlent de mal-être, d’ours, de lapins et même de loup-garou avec un soupçon d'ironie douce-amère. Bon évidemment, chassez le naturel et cætera... il est aussi assez triste, voire franchement désespéré et dans sa façon d’œuvrer dans le mélange des genres tout en étant très sec et minimaliste, il devient tout à fait naturel d'en parler ici. Et puis, pour ne rien gâcher, il s’avère être absolument superbe.

Premier disque de l’entité A Native Hundred, Down To Your Hairs, après une courte introduction qui pose idéalement les bases des atmosphères à venir, entre directement dans le vif du sujet dès son deuxième morceau, Bear Trap, amalgame à peine stabilisé d’une mélodie qui se ruban-adhésive très fortement au cortex et d’arrangements mêlant dans un même élan claviers sombres, voix légèrement fatiguée, percussions sèches et guitares amplifiées. Un morceau formidable qui n’est pourtant pas l’arbre qui cache la forêt puisque tous ceux qui le suivent sont du même tonneau, l’évidence mélodique et l'immédiateté un poil en-dessous sans doute mais à tel point bucoliques et immersifs que l’on aura bien du mal à remplacer ce disque quand on l’aura usé jusqu’à la corde, d'autant plus que, bien sûr, tant de simplicité fait que l'on n'est pas près de l'user. 

On le doit à une seule et même personne, Rhys Jon Baker, membre de Wild Dogs In Winter (quintette londonien mélangeant allègrement shoegaze délétère et post-rock véloce) et poète à ses heures. Seul, mais tout de même épaulé par Jamie Romain au violoncelle et Nadia D'Alò aux claviers, James Reindeer se chargeant quant à lui de la boîte à rythmes et de la production. Trois noms bien connus pour qui connaît Decorative Stamp, label fureteur s'il en est qui se montre aussi à l'aise dans le hip-hop déviant que la folk barrée et qui peut s'enorgueillir d'une belle référence de plus dans son catalogue déjà parfaitement remarquable en soi. Alors oui, le violoncelle fait des merveilles, ouvre idéalement le déchirant Chinchilla qui rappelle de loin les complaintes de Robin Proper-Sheppard à l'époque du premier Sophia (Fixed Water pour ne pas le nommer), le même dénuement, la même tristesse atavique et décuplée par la simplicité de l'ensemble.

Aucun risque qu'une nappe trop appuyée vienne vous glisser dans le creux de l'oreille que c'est là, maintenant, tout de suite, qu'il faut verser une larme ou que les guitares s'amusent à sonner l'Adieu aux armes, tout est trop ténu et sans fioritures, la musique à tel point sincère qu'elle ne se paie pas de mots. Sans artifices donc et suffisamment bizarre pour éviter que le pathos ne montre sa sale gueule, en particulier lorsque les field recordings, discrets mais marquants ou les samples de voix tirées d'on ne sait trop où rehaussent les guitares, elles mêmes devenant joliment saturées sans que l'on s'y attende vraiment (We Are Hope), sans oublier certaines interventions du violoncelle qui aime de temps en temps tailler la route et se lancer dans des divagations faussement fausses. Tous ces accidents et approximations ponctuant le disque suffisent à le rendre habité et vibrant et c'est en partie de là que vient sa réussite.

Dès les premières mesures, sa sincérité vous saute au visage, Bear Trap, All The Fucking Best, Alice, Jooga Bone, Reds And Blues ou encore We Are Hope, un chapelet de morceaux magnifiques qui provoquent pas mal de frissons et poussent à réitérer son écoute, inlassablement, encore et encore. Sans compter tous ceux qui ne sont pas cités ici et même si la tentation est grande, inutile de détailler la tracklist de toute façon. Sachez simplement qu'une fois happé, ces morceaux somme toute déglingués, n'hésitant pas à se parer d'atours lo-fi tout en étant parfaitement produits, progressant de beats ténus et carrés en nappes fantasmatiques, de guitares parfois légèrement surexposées en silences habités aux poussières de vie, deviennent la bande-son idéale de cet hiver agonisant. Dans le même temps, l'atmosphère ciel de traîne qui les recouvre, tout à la fois particulière et accueillante, est si enveloppante que l'on sent bien qu'ils nous toucheront et nous accompagneront encore longtemps. Down To Your Hairs, sous ses dehors de grande simplicité, montre une réelle profondeur qui en fait un classique instantané bâti pour durer. Decorative Stamp commence donc l'année comme il avait terminé la précédente, dans la qualité et l'originalité. Gageons qu'un tel disque puisse les sortir de la confidentialité.

Au programme, du spleen et des larmes, des mélodies et des mots comme seul crédo.

Que l'on peut écouter ci-après qui plus est.

leoluce