mardi 26 février 2013

Disponible en libre téléchargement : "In Limbo", le quatrième volet de notre compilation en cinq parties


Quatrième chapitre de Transmissions From The Heart Of Darkness, In Limbo se rapproche un peu plus des ténèbres promis : la lumière se fait de plus en plus lointaine, il n'en subsiste que quelques raies de-ci de-là, et le chemin emprunté de plus en plus ténu. L'air vient à manquer et le cortex s'anime d'une vie propre, oublie les autres organes, laisse tomber le corps et décide de faire feu de tout bois.

Derrière les yeux, des myriades de papillons vaporeux s'égaient, les contours et les frontières s'estompent et tout devient brumeux. Textures en avant, structures loin derrière, ce pénultième chapitre, sans doute le plus spectral et le plus flou, donne à entendre son lot de drones fantomatiques, de linceuls folk, de feedback lancinant et de froides improvisations électro-acoustiques. Au coeur des limbes, seuls leurs bruissements vous empêcheront de sombrer totalement dans un Styx évanescent dont il faudra bien se résoudre à découvrir où il mène.

Avant-dernier chapitre du périple échafaudé par le blog Des Cendres à la Cave, projet de cinq compilations illustrées par les artworks de Lou Nugues, complétées par la nouvelle d'Alister et mastérisées par Giovanni Roma, In Limbo ne demande qu'une chose : ne surtout pas lutter.

dimanche 24 février 2013

Chaos Echœs - Tone Of Things To Come


Date de sortie : 18 septembre 2012 | Label : auto-production

Une basse lugubre puis une batterie qui martèle ses peaux puis une guitare qui balance un riff monstrueux et dissonant qui affole la batterie mais ne modifie pas la pulsation morbide de la basse. Des larsens. Des murmures. Une boule se crée, grossit, se développe, bien noire. Le même motif répété de nombreuses fois, de plus en plus vite. Déjà, la tête est scotchée au plafond. Pourtant, la fuite en avant se poursuit et se fait encore plus véloce. Et plus le groupe augmente la cadence, plus il s’enfonce dans le noir. Et plus il se rapproche dangereusement du mur, plus on ouvre grand les yeux. Sur la fin de R   i  s e, la voix se fait entendre. Elle déclame on ne sait trop quoi, s’étrangle et se fracasse en même temps que la musique. Plus rien. Il ne reste plus que quelques notes de guitare, un crépitement de faux contacts, des larsens fuyants. La vitesse n’est plus, place à l’introspection deux minutes durant. Le noir, lui, demeure. Puis une explosion qui indique que l’on vient de quitter l’Interzone pour plonger dans The Innermost Depths Of Knowledge tête la première. Un motif de guitare bizarre, presque slave. Patraque. Alors qu’il courrait le cent mètres, le groupe ne semble même plus avoir la force de mettre un pied devant l’autre. Un mantra qui semble chanté à l’envers, un orgue funèbre. Ça ne rigole pas. Puis un solo où vingt-cinq doigts se baladent sur le manche et insufflent de la lumière dans les ténèbres jusqu’ici suggérés. Déjà trois morceaux et on ne sait plus trop où l’on habite. C’est dire si ce disque sait comment s’y prendre pour capter l’attention et ne plus la relâcher. En revanche, on sait que les huit minutes de The Innermost Depths Of Knowledge filent à la vitesse de l’éclair. Une tonne d’idées injectée dans une architecture mouvante qu’il est bien difficile de détailler. De bifurcations en lignes droites, de boulevards en chemins de terre, Chaos Echœs poursuit une voie qu’il semble bien être le seul à connaître. Même si, pas dupe, on en connaît très vite la destination : l’obscurité.  

Tone Of Things To Come peut assumer son titre en forme de clin d’œil que l’on imagine potache et rejoindre  ainsi crânement les quelques disques fondamentaux qui partagent ce « … Of … To Come », le Shape Of Jazz To Come d’Ornette Coleman ou le Shape Of Punk To Come de Refused pour ne citer que les plus connus. Bien sûr, pas de free-jazz ici, pas plus que du hardcore mais du death metal et encore, c’est pour essayer de coller à la va-vite une étiquette sur un disque fuyant qui mue en permanence et ne cesse d’expérimenter. Une chose est sûre, comme ses frères de titre, Chaos Echœs est radical et exigeant. Pas facile facile mais splendide. Et surtout, complètement, dramatiquement, irrémédiablement noir. Voire malade et parfois malsain. Et intransigeant tout le temps.  Il rappelle tout à la fois Blut Aus Nord pour le goût du carillon morbide couplé à une voix d’outre-tombe qui psalmodie bien plus qu’elle n’éructe, Mayhem pour la noirceur réelle et dégénérée, Sunn O))) et même Khanate pour cette même couleur mais sans doute plus conceptuelle et fantasmée. Tout en empruntant des chemins expérimentaux qui n’appartiennent qu’à lui dans sa façon de s’affranchir des stéréotypes et de privilégier l'exploration d’un morceau à l’autre ou dans le même morceau : ici, un blast beat qu’on n’avait pas vu venir, là un solo saignant que rien n’annonçait ou encore l’irruption inattendue d’une voix délavée à la fin d’un long développement instrumental, voire une plage de calme très travaillée qui gonfle pour ne finalement jamais exploser. Impossible de décrire les morceaux, il s’y passe trop de choses. Un souffle froid parcourt le disque dont le son semble presque voilé, déformé, comme si ses intentions avaient passé trop de temps au soleil et on a plus d’une fois l’impression que l’édifice a du mal à se maintenir, au bord de l’implosion, comme s’il allait s’écrouler sur et dans lui-même. Un mouvement tourné vers l’intérieur, comme le trou noir qui orne la pochette, avalant tout ce qui l’entoure, la vitesse, les riffs, le martèlement de la batterie et les ondes noires de la basse, les cris et la lumière jusqu’à ce que ne subsiste plus que le noir. Le tout forme patiemment, inéluctablement, une boule translucide et dense qui fascine autant qu’elle repousse. 

Car oui, le disque est dégueulasse : l’exécution clinique d’une chape de boue, le putride mis en musique, l’expérimentation de tout ce que l’odeur de souffre peut offrir. Les membres de Chaos Echœs sont tous formidables et maîtrisent parfaitement leur sujet. Il faut dire que Tone Of Things To Come n’a beau être que leur premier disque, Chaos Echœs n’en a pas moins eu plusieurs vies dont la première débute au beau milieu des ‘90s sous le nom de Bloody Sign réunissant, entre autres, Kalevi (guitare) et Ilmar (batterie) Uibo. Chaos Echoes était d’ailleurs le titre de leur troisième album où le groupe semblait avoir atteint l’équilibre un brin casse-gueule entre exécution death prototypique et ambiance typiquement black. Sans doute fallait-il changer de nom et de line-up (Etienne Testart à la guitare et Stefan Thanneur à la basse sont venus rejoindre les deux Uibo) pour continuer à arpenter les versants les plus obscurs et les moins empruntés de ce côté-ci des musiques amplifiées. Et il fallait bien une telle expertise pour aboutir à ces divagations glauques qui suggèrent énormément, pour permettre à un morceau comme Weather The Storm de tenir debout douze minutes sans fléchir et de parfaitement clore le disque quand, dès le premier pas, il semble s’arc-bouter sous le poids de ses idées noires. Lorsque le geste renforce le discours, il en résulte quelque chose d’imparable. Et si on ne sait trop ce qui se trame là-bas, en Alsace, on se demande tout de même ce que la région peut offrir de si inspirant : C R O W N (dont on attend le premier long format avec impatience) était déjà impressionnant et voici maintenant Chaos Echœs et sa dynamique complexe et cabossée au service de textures désespérées et torturées. 

Alors c'est vrai que cet E.P. a déjà six mois mais qu'importe, il n'est jamais trop tard pour mettre la main sur des disques de cette trempe. D'autant plus que l'on imagine que le groupe ne s'arrêtera pas là et qu'il devrait vite refaire parler de lui quand il se murmure qu'il vient de rejoindre les rangs jusqu'au-boutistes de Debemur Morti. Mais arrêtons là les mots et place aux presque neuf minutes de The Innermost Depths Of Knowledge parfaitement représentatives des atmosphères développées au sein de Tone Of Things To Come.

Une belle tâche bien noire sur un fond complètement noir. 

Et l'on ne voit qu'elle.
leoluce


lundi 11 février 2013

Dead Neanderthals - Polaris



 

Date de sortie : 22 mars 2013 | Label : Utech Records

DEAD NEANDERTHALS

DEAD NEANDER[TH]ALS

DEAD NETHAND[ER]LS

DEAD NETHER[AND]LS

DEAD NETHERLANDS

Mais je m'égare peut-être. Quoi qu'il en soit, tout dans la musique de ce duo néerlandais évoque immanquablement une déclaration de guerre. Simple slogan ? Quand on écoute la petite demi-heure de Polaris, on a plutôt tendance à penser que non. Un nom pareil avec une musique pareille ne peut relever de la simple coïncidence. Fidèle aux règles esthétiques que Dead Neanderthals s'impose depuis son éponyme de 2010, le propos reste ici essentiellement et majoritairement agressif. À très fort volume, on sent littéralement les couches supérieures de l'épiderme se désintégrer sous les flots d'ondes dévastatrices que balancent ces Neck-AIDS, Yamatsuka Eye le bien nommé et autres titres en fusion constituant l'ordinaire d'un disque qui ne nous veut pas que du bien. À volume moindre, on saisit l'ossature. Un tchak, un poum, un gronk, un tatapoum, un grouik qui s'éternise et ainsi de suite jusqu'au bout des six morceaux. Et puis des fois, rien. Seulement le silence. Oui, parce que si on hésite à en parler, c'est qu'on ne sait trop où catégoriser ce chapelet de pains dans la gueule. Coincé pile-poil entre le free-jazz et le grind. La liberté de l'un avec la concision de l'autre. La violence du dernier et les structures alambiquées du premier. Le tout enveloppé d'une aridité qui condamne le duo à développer ses structures sous peine de perdre l'auditeur en cours de route. C'est qu'à scruter le line-up, on pourrait avoir l'impression que l'on aura vite fait le tour de la simple confrontation d'un saxophone baryton avec une batterie. Grave erreur ! D'abord, comme le groupe l'indique, il s'agit avant tout d'instruments de torture. Ensuite, il se trouve que chacun montre un goût immodéré pour le contre-pied et les travers et lorsque le saxophone développe des stridences alambiquées mais aussi très belles, la batterie taille la route de son côté dans un déchaînement proprement monstrueux. Il y a déjà de quoi explorer beaucoup et longtemps lorsque l'on prend les deux séparément, mais lorsqu'en plus ils se percutent ou s'amalgament, lorsque l'un souligne l'autre ou au contraire tente de le faire taire, l'exploration laisse la place à la sidération. Dans le même temps, n'allez surtout pas croire qu'il faille s'attendre à une immersion totale avec une musique à telle point enveloppante qu'elle habite jusqu'à la moindre parcelle du spectre sonore. Non, l'album est assez minimaliste et même très aéré mais au même titre que les oreilles, le cortex aussi est sollicité. 

De la violence mais pas de la brutalité.

Et sur Polaris, le groupe poursuit la mue entamée sur son EP précédent, Jazzhammer /Stormannsgalskap, où Dead Neanderthals s’essayait à maintenir sur la longueur ses brûlots jusqu’ici extrêmement concis. Car si les morceaux de l’éponyme frisaient certes la minute mais ne la dépassaient que deux fois sur dix tentatives, les deux seules de l’EP s'étalaient en revanche sur un temps dix fois plus long. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais l'étirement pourrait facilement devenir l'ennemi d'une telle musique qui privilégie la fulgurance lorsque le moindre morceau débarque sans crier gare, saccage tout puis s'enfuit comme il était venu, dans un souffle ou dans un grand fracas. Le tout en quelques secondes. Une fulgurance bien plus difficile à maintenir lorsqu'elle se joue sur la longueur. Dès lors, le duo déploie un arsenal destiné à préserver sa dynamique pour le moins véloce, son urgence : répétition du même motif rythmique, du même riff de saxophone, mouvements dans le morceau où se déploient successivement vacarme, vacarme puis vacarme ou vacarme, silence puis vacarme. Bref, ça explore, ça tente, ça essaye, ça cherche. Et souvent sur Polaris, ça trouve. Médiane parfaite d'un segment qui rejoint leurs premiers disques à l'EP précédemment cité, ce dernier présente six morceaux sur lesquels on sait bien que l'on reviendra souvent. En particulier parce qu'ils sont un poil moins furieux qu'auparavant et que cela ne manque pas d'interloquer. Envolé le blast beat de Jazzhammer. À sa place, quelque chose de moins frontal mais qui n'en reste pas moins véloce. Et que l'on se surprend à aimer tout autant. Un peu moins Zu, peut-être un peu plus Zorn. Qui lui fait aussi perdre un peu de singularité. Mais les Dead Neanderthals en ont tellement en réserve qu'ils ont beau rejoindre le panier, ils n'en restent pas moins bien placés vers le haut, voire tout en haut. On notera également que le baryton a laissé la place à un saxophone ténor qui lui aussi concourt à faire sonner le duo sans doute moins grind mais plus free-jazz.

En même temps, avec des titres comme Yamatsuka Eye, que l'on ne présente plus mais un peu quand même pour qui ne connaitrait pas les Boredoms ou Plissken qui ne peut qu'évoquer un bandeau noir sur un œil torve, le duo a tôt fait d'appartenir aux sphères que l'on aime : de l'excessif, du punk, du goût. Sa devise n'est-elle d'ailleurs pas « FUCK conventions and FUCK expectations » ? Bref, c'est avec une grande jubilation que l'on se perd dans les circonvolutions de Neck-AIDS, de Knot, de Yolk et de tous ces titres, que l'on tente de suivre le saxophone quand il furète de-ci de-là en s'appuyant sur le tapis rythmique à la fois bordélique et monomaniaque de la batterie ou quand au contraire il a une idée précise en tête et sait où il va. On suit de la même façon ce que les deux instruments, ensemble, ont a offrir : des idées à la pelle et un certain jusqu'au-boutisme dans l'exécution. On se rend bien compte au terme de l'écoute, alors qu'il est impossible de résumer ce par quoi le duo nous a fait passer – de pics en abysses et de mornes plaines en chemins de traverse alambiqués – que leur folie est sans doute juste un tout petit peu plus maîtrisée mais encore bien présente. Pour preuve, The Pit, deuxième morceau, longue fuite en avant qui ne s'arrête jamais avec son saxophone à l'agonie dès les première secondes et ces toms déchiquetés sous l'impact d'une frappe toute préhistorique. Le morceau prototypique de Polaris : ça va vite, ça mute et à aucun moment on ne sait où l'on va. Un groove se crée, froid, violent, complètement maniaque. Correspondant parfaitement à l’ADN d’un disque qui disloque son jazz et épure son grind. Dès lors, sauvage, martelée, accueillant de belles plages de silence entre les notes qui ne font que multiplier l'impact de ces dernières quand elles explosent, aujourd’hui accueillie par Utech, la musique du duo ne dénote absolument pas dans l'ordinaire du label. Bien sûr il faudra patienter un peu pour pouvoir y poser une oreille mais un petit tour par le bandcamp du groupe vous permettra de vous familiariser aisément avec la musique des Dead Neanderthals, tout en vous disant bien qu’avec Polaris, le groupe est déjà ailleurs.

Alors c’est vrai, il n’y en a plus désormais que pour l’Homo Sapiens mais la petite musique des derniers Néandertals mérite bien plus qu’une écoute : pour celles et ceux qui savent aimer, c’est le souffle de la vie et celui, aussi, d'une certaine beauté.



leoluce