lundi 30 avril 2012

The Peoples Republic Of Europe - Military Industrial Complex


Date de sortie : 23 avril 2012 | Label : Dark. Descent./Noisj.nl

Sous leur imagerie réminiscente du communiste radical de l'ex URSS, de la Chine maoïste ou encore de la Corée du Nord, The Peoples Republic Of Europe ne manquent pas d'humour. Tenter d'imaginer comment Lady Gaga aurait pu influencer de près ou de loin l'univers de ces Néerlandais qui ambitionnent de "faire du monde un endroit pire, noircir les cieux, polluer les mers et les rivières, propager la haine et la colère, énerver autant de gens que possible, voler nos tartes dans nos cuisines et régner sur le monde d'une main de fer depuis une tour sombre", il faut avouer que c'est assez fendard. Quoique, en admettant que l’objectif ultime soit comme ils le soulignent "d'exploser les dancefloors, d'avoir un hit au top 40 et de devenir célèbre", quelque part ça se tient.

Pour prolonger un peu le plaisir, on pourrait aussi essayer de se représenter la tête de l'excentrique fashionista confrontée aux martèlements volcaniques et aux nappes délétères du trio, qui continue de dérouler 12 ans après ses débuts son obsession malsaine pour une noise rythmique fébrile et abyssale, à la croisée de la techno industrielle et du dark ambient. Forts d'une belle réputation dans le milieu indus et d'un joli succès en festivals depuis la parution en 2005 de Monopoly Of Violence réédité 5 ans plus tard par le label américain Vendetta Music (responsable par ailleurs des trois dernières sorties du groupes), The Peoples Republic Of Europe n'ont désormais plus rien à prouver... et le prouvaient justement pas plus tard que l'an dernier en délaissant à nouveau les drum machines sur Sollipsism, petit chef-d’œuvre d'ambient crépusculaire et froid comme la mort, avant de revenir à leur "premières amours" avec le forcené Reign Of Terror : un EP qui sous ses beats implacables tirait déjà le meilleur des expériences plus texturées du groupe, préfigurant le parfait Military Industrial Complex qui nous occupe ici.

Cette fois, le deal de trois albums avec Vandetta s'étant terminé l'été dernier sur le décadent Machine District (quelques extraits ici), c'est du côté de Dark. Descent., sous-label hardcore de l'écurie noise hollandaise Noisj.nl que la formation a élu domicile. Pas de gros changement en dehors de ce retour à leur terre natale, nos trois artilleurs font d'abord ce qu'ils savent faire de mieux et le font toujours aussi bien : balancer des grosses rythmiques mécaniques, urgentes et martiales mâtinées de programmations hostiles, de leitmotivs vocaux empruntés à d'obscurs enregistrements de propagande et autres samples cinématiques assénés avec violence jusqu'à l'abstraction. Pour autant, tPROE n'en a pas oublié ses origines, dans les synthés analogiques et les clics de Cubase de Krat lorsque celui-ci était seul aux commandes du projet qui prit alors naissance sous la forme d'une demi-douzaine d'instrumentaux noise/ambient regroupés sous le nom de Cumulonimbus, premier rejeton houleux et ténébreux à souhait d'une série de sorties parallèles dont Sollipsism n'était autre que la troisième incarnation. Le fondateur du groupe n'a en effet jamais cessé de chérir et de cultiver dans l'ombre ce background ambient plus immersif sans oser parfois le repasser au premier plan comme il l'aurait souhaité, en témoigne l'abrasif Gravity Machine d'abord dévoilé en tant que Subduction Zone avant d'être livré en pâture via Bandcamp comme le chaînon manquant des Cumulonimbus (et en partie "cloné" d'ailleurs pour le deuxième volet de la série à télécharger librement ici), un EP de ce side project "dark drone" ayant en outre servi de base de travail pour certains des titres de Sollipsism.

Tout ça pour dire que désormais, tPROE n'hésite pas à mêler voire à alterner les deux univers, un paradigme qui contribue ici à façonner un disque d'autant plus captivant. The Holographic Principle démarre ainsi sur quelques nappes de synthé aux relents de soufre, avant qu'un piano tâtonnant de vienne imposer son rythme erratique sous une salve de beats tranchants comme des coups de canon laser mais plus downtempo qu'à l'accoutumée. Plus loin, après le tabassage tumultueux de Black Sky, The General And The Mountain noie un monologue plaintif en coréen sous un flot de drones fuligineux, de pulsations étouffées et de cris assourdis. Une dimension dark ambient qui reparaîtra après un enchaînement sans pitié de déferlantes power noise sur le diptyque doomesque Hell Part One (Fire) et Hell Part Two (Earth) mais cette fois totalement dénuée de rythmique et particulièrement magnétique, fausse accalmie lourde de menace avant un final cyclonique culminant sur les presque 8 minutes du morceau-titre Military Industrial Complex. L'apocalypse sera technologique ou ne sera pas, c'est ce que semble nous dire cette marche schizophrénique et quasi hystérique vers le charnier d'un avenir déshumanisé. Parce que bon, allez, on ne vous avait pas dit toute la vérité d'emblée : The Peoples Republic Of Europe, c'est quand même loin d'être drôle.

Rabbit


samedi 21 avril 2012

JK Flesh - Posthuman


Date de sortie : 30 avril 2012 | Label : 3by3

Tout commence par une masse de bruits assez difficile à déterminer, une ouverture grouillante et saturée quelques secondes durant puis arrivent les rythmes synthétiques, simples et massifs, et surtout les ondes destructrices de la basse. On est en terrain connu si on s'en tient à la rythmique mais c'est sans compter sur la multitude de scories rugueuses et poussières saturées qui viennent à la fois méthodiquement la salir et lui donner, par opposition, tout son éclat. C'est d'ailleurs l'un des traits dominants de Posthuman, cette façon d'associer systématiquement dans un même mouvement une chose et son contraire. Ainsi la basse lisse et ronde s'oppose aux grognements sursaturés de la voix, la simplicité des beats est contrebalancée par des textures complexes et détaillées, l'électronique omniprésente se heurte aux guitares agressives et tous ces éléments disparates et antinomiques concourent pourtant à la mise en place d'une atmosphère monolithique qui ne dévie jamais neuf morceaux durant. Le disque est hermétique, recroquevillé sur lui-même, totalement clos. Aucune aération pour chasser la forte odeur de souffre qui règne en son sein, pas la moindre ouverture qui pourrait permettre à la lumière de caresser les angles. Tout ici est sombre, vicié, larvé, flippant et l'absence totale d'ironie montre à quel point il faut appréhender Posthuman au premier degré.

En ressuscitant son pseudonyme JK Flesh utilisé jadis au sein de Techno Animal, monstre pseudo hip-hop mais vraiment déviant, Justin K. Broadrick donne pourtant quelques indices : pour les harmonies aériennes, contemplatives et faussement apaisées, c'est bien vers Jesu qu'il faut se tourner et pour l'abstract purement synthétique, prière de lorgner du côté de Pale Sketcher. Ici, ce n'est même pas le fantôme de Godflesh qu'il convoque, pas plus que les métissages collectifs et plombés de The Blood Of Heroes ou même de Greymachine, il s'agit bel et bien d'une nouvelle incarnation, d'un nouveau visage qui vient s'ajouter à l'éventail déjà assez large de ses avatars tonitruants. Alors bien sûr, il emprunte à droite à gauche, injecte des gouttes d'abstraction dans la sauvagerie, de l'agressivité dans les contours électroniques, des pièces de métal dans l'ossature synthétique mais le tableau ainsi créé ne rappelle pas précisément une période au détriment des autres. Ni Jesu, ni Godflesh, même pas Pale Sketcher ou quoi que ce soit d'autre mais peut-être tout à la fois et dans le même temps, rien de tout ça. Ce que l'on sait en revanche, c'est que JK Flesh fait appel au côté le plus conquérant et menaçant de J. K. Broadrick et si l'ensemble  sonne de prime abord indubitablement familier pour les habitué(e)s du travail de l'Anglais, son observation plus précise montre des aspects réellement inédits dans sa pourtant très riche discographie.

Bien sûr, on ne rentrera pas dans le détail de ces neuf morceaux, il vous suffira de les découvrir par vous-mêmes, mais en revanche sans doute nous arrêterons-nous sur quelques uns d'entre eux susceptibles de vous mettre l'eau à la bouche, car Posthuman se révèle être une sidérante expérience sonore à côté de laquelle il serait bien dommage de passer. Ainsi, Earthmover, long reptile technoïde qui mêle growl saturé et souterrain, nappes profondes et malsaines, rythmique martiale et guitares pesantes impressionne carrément, les stridences synthétiques qui le parcourent s'écrasant contre une pulsation grave et syncopée particulièrement aliénante. Comme si le morceau tordait l'espace et le temps autour de lui à la manière d'un trou noir qui apparaîtrait à la naissance des enceintes : le caisson de basse souffre et s'enfonce dangereusement sur lui-même alors que les baffles hésitent entre bouillie sonore et restitution fidèle de la masse indéterminée qu'elles déversent péniblement. Un peu avant, les larsens vicieux qui ouvrent Punchdrunk s'acoquinent à un grunt véritablement maléfique, cri primal pourtant prémédité qui se tait un temps pour permettre sans doute aux guitares d'explorer consciencieusement tout l'éventail des aigües. Plus loin, JK Flesh revêt les fulgurances noires de Scorn le temps d'un Devoured déchiré d'un delay fracassant qui montre bien que les deux anciens Napalm Death gardent ce goût marqué pour l'intransigeance hérité de leurs jeunes années. Complètement noir, souvent terrifiant.

Rien ici n'est fait pour le confort de l'écoute, rien n'est accueillant et le posthuman que dessine Broadrick et qu'il nous jette à la face laisse perplexe : sa vision de l'avenir a de quoi inquiéter et à écouter ses instrumentaux, ce sont bien nos parts d'ombre les plus enfouies qui prendraient le dessus, post-humains technologiques dotés d'un sang froid comme les reptiles et qui s'entre-dévoreraient à la nuit tombée. Rien ne nous oblige à partager son pessimisme mais il faut bien reconnaître que pour sombres qu'elles soient, ces images mentales sont franchement sidérantes et qu'une certaine beauté froide, incontestablement, s'en dégage. Et puis à bien y regarder, peut-être ne s'agit-il là que d'une mise en garde ? Et celle-ci serait alors des plus efficaces. Quoiqu'il en soit, qu'il y ait ou non message, le plus important est tout de même ce que ce superbe disque donne à entendre : une électronica martiale, industrielle, avec de curieux accents dubstep, parsemée de noyaux métalliques et parcourue de lames de fond synthétiques qui fait plonger de quelques bons mètres à l'intérieur de soi, tout près de l'abîme. Prévu pour la fin du mois chez 3by3, label électronique s'il en est, ce bout de peau grise en plan serré est appelé à interroger pour un bon bout de temps : une structure orientée Metal aurait tout aussi bien fait l'affaire, voire un label porté sur l'indus et on voit bien à quel point on aura du mal à catégoriser le disque, à moins qu'on le range sous l'étiquette J. K. Broadrick qui finalement serait la plus à même de cerner Posthuman. Et puis, après tout, au diable les étiquettes, on sait juste vers qui l'on se tournera désormais pour s'offrir une expérience sensorielle qui modifie tout autant le corps que l'esprit.

Dès lors, délaissant les rivages contemplatifs de Jesu pour se rapprocher de ceux bien plus contondants de Godflesh tout en injectant dans ses morceaux les apports électroniques glanés au fil de l'expérience Pale Sketcher, J. K. Broadrick commet une sorte de disque-somme oblitérant pourtant un pan important de sa discographie, à moins qu'au creux de certains morceaux ne se trouve malgré tout une forme d'apaisement (on pense en particulier à quelques passages abstraits et hallucinés d'Underfoot ou de Walk Away qui vient clore le disque) mais à tel point cernée par la pénombre et les ténèbres qu'il est bien difficile de la distinguer. Le disque n'est certes pas des plus faciles et montre bon nombre d'échardes soniques qui vrillent les tympans quand les basses se chargent d'attaquer le reste mais le moins que l'on puisse dire, c'est que l'on ressent littéralement la musique, elle est là, à l'intérieur et fait vibrer le corps entier, électrise la moindre parcelle de peau. Et c'est bien pour ça que l'on plonge dans Posthuman tête la première. Alors que dans le même temps paraît l'éponyme de Valley Of Fear qui le voit cette fois-ci tenter d'injecter une forte dose de Black Metal dans Greymachine (pour résumer les choses rapidement), J. K. Broadrick semble bien décidé à marquer cette année de son empreinte massive et sulfureuse. Mais trêve de mots et bien plus que les quelques versions promo tronquées qui se baladent de-ci de-là sur la toile, cette version live d'Idle Hands (deuxième morceau de Posthuman) exécutée le premier jour du Roadburn 2012 devrait suffire à montrer, malgré un son hélas approximatif, le genre de fulgurances bien noires que réserve l'écoute de JK Flesh.

Impressionnant, tout simplement.








leoluce


mercredi 18 avril 2012

Steve Roden & Machinefabriek - Lichtung


Date de sortie : 23 avril 2012 | Label : Eat, Sleep, Repeat

Alternant des compositions du musicien et plasticien californien Steve Roden et de son homologue néerlandais Rutger Zuydervelt aka Machinefabriek, Lichtung ne choisit pas la solution de facilité pour marquer les débuts du label londonien Eat, Sleep, Repeat, qui publiera également en CD ce même 23 avril le quatrième album des Anglais Minus Pilots dont on vous reparlera sûrement (en attendant, un avant-goût par là). Ces 9 pièces font en effet partie de la bande-son d'une installation audiovisuelle signée par l'Allemande Sabine Bürger, un exercice dont sont particulièrement friands ces deux stakhanovistes de l'improvisation et du sound design portés sur les enregistrements de terrain (les fameux field recordings).

Ainsi, Machinefabriek livrait récemment via Bancamp le très abstrait 15/15, ballet évolutif de fréquences synthétiques évanescentes spécialement étudié pour le système Soundpiece, soit 32 haut-parleurs installés sous le square Schouwburgplein de Rotterdam, mais tout aussi fascinant sur disque. Quant à Steve Roden, il vient de sortir Berlin Fields sur le jeune mais prometteur 3Leaves, label du Hongrois Ákos Garai spécialisé dans les rapports entre musique et environnement : un carnet de voyage couché sur enregistreur portable ou téléphone et documentant ses interactions sagement pesées avec les univers sonores de Paris, Berlin ou Helsinki, usant d'objets trouvés ou d'éléments naturels comme autant d'instruments de fortune à exploiter dans un rapport quasi mystique avec les différents lieux visités (aperçu ici).

Enfin, à ceux qui préféreraient démarrer par un album plus accessible voire mélodique, une collaboration avec le vétéran Steve Peters vient également de voir le jour via 12k. Disponible depuis février, Not A Leaf Remains As It Was déroule sur quatre morceaux fleuves lancinants et néanmoins reposants ses méditations acoustiques improvisées autour de phonèmes tirés aléatoirement de poèmes japonais et récités à l'oreille par les deux musiciens. Pour vous faire une idée du résultat, le site du label de Taylor Deupree vous en propose deux extraits, et pour en savoir davantage, heureux hasard du calendrier, il vous suffit d'aller faire un tour chez nos confrères de Chroniques Électroniques qui en publiaient justement la review il y a quelques jours.

Quant au Lichtung qui nous occupe ici, il est d'une approche nettement moins évidente. En adéquation avec l'installation qu'il accompagne, inscrite dans une série évoluant autour du concept allemand de "heimat" - le lieu où l'on est né, où l'on a vécu ses premières expériences formatrices, qui a marqué notre identité en somme - la musique des deux soundscapers est aussi nébuleuse et fragmentée que nos souvenirs peuvent l'être, confondant espace et temps au fil d'instrumentaux emboîtés dont la cohérence fait fi des techniques particulières à chacun des deux musiciens, davantage dans l'impressionniste concret pour Roden ou dans l'agrégat abstrait pour Zuydervelt.

Mêlant bribes de mélodies acoustiques et échantillonnages assemblés avec un respect évident du matériau d'origine, ces évocations imprécises semblent errer au gré des récollections de leurs auteurs et de leurs sensations indécises, culminant sur la mélancolie caverneuse d'Ice Bow dont les grouillements mouvants signés Machinefabriek sont transcendés par le violoncelle dramatique d'Aaron Martin, collaborateur de Dag Rosenqvist (Jasper TX) au sein de From The Mouth Of The Sun. Toutefois, des très zen et engourdis Ice Strings et Snow Bellsnow (Roden) au radiant Floor Radio tout en drones solaires et percussions chaotiques (Machinefabriek) en passant par le bien-nommé Wind particulièrement spleenétique et entêtant (Zuydervelt également), l'album compte bien d'autre sommets, jamais ostentatoires mais toujours parfaitement à leur place pour rendre compte de cette régression fœtale empreinte d'une sagesse ancestrale que le duo expérimente ici sur près de 45 minutes.

C'est au lac Mindelsee, situé à quelques centaines de mètres du lieu d'exposition, que Sabine Bürger a tourné ses vidéos, c'est donc également là que Machinefabriek a constitué sa sonothèque faite de bric et de broc. Pour autant, rien d'indissociable entre les deux médias qui nous ferait ressentir un quelconque manque à l'écoute du seul CD hormis peut-être celui du surround dont bénéficie la galerie, Steve Roden lui même ne s'étant d'ailleurs jamais rendu sur place, répondant aux compositions largement improvisées de son correspondant par des enregistrements réalisés dans son propre environnement aux abords de Los Angeles. Lichtung se termine ainsi non pas sur une collaboration au sens strict mais bien sur une réinterprétation live par Zuydervelt, à l'occasion du vernissage, de sons fournis par Roden agrémentés de ses propres field recordings de bruits naturels tels que des craquements de brindilles, le bruissement des feuilles ou l'écoulement de l'eau. Suintant le mystère à l'image de son titre, Vayhinger est également la pièce la plus inquiétante de l'album, laissant entendre par ses basses fréquences bourdonnantes et ses étranges imprécations en canon que creuser dans la roche des souvenirs les plus profondément enfouis n'est pas toujours recommandé pour l'équilibre de l'esprit...

Rabbit

L'album sort dans une semaine mais s'écoute d'ores et déjà via la page Bandcamp de Machinefabriek, particulièrement surchargée en ce début d'année :

lundi 16 avril 2012

The Human Elephant - White Thunder

 

Date de sortie : 22 novembre 2011 | Label : Umor Rex Records

Mais enfin, qu'est-ce donc ? Ces synthétiseurs primesautiers mais tristes, cette basse énorme et véloce qui tapisse la moindre fréquence de ses méandres sonores mélancoliques, le tout accompagné d'une batterie sèche et économe. Et puis cette voix d'Outre-Tombe qui retrouve les accents graves et étranglés de Ian Curtis. Dès le premier titre, The Human Elephant nous expédie quelques années en arrière, au temps où les jeunes gens modernes ne juraient que par une poignée de groupes engoncés dans leurs habits noirs aux reflets anthracites, une fine cravate autour du cou comme la corde autour de celui d'un pendu, les pensées arachnéennes et sombres infusant de la tête aux pieds. Dès 1726, Joy Division, The Cure et autres enfants tristes du thatchérisme naissant se tiennent là, en face de nos yeux écarquillés, rappelant leur urgence triste et leur élégant désespoir à notre bon souvenir. Et ça ne s'arrange pas avec The Star qui creuse le sillon de manière bien plus profonde avec ses nappes morbides en ouverture et son court refrain qui semble sortir tout droit des catacombes. En deux ou trois titres on se dit que l'on se trouve en présence d'un disque qui tente de ressusciter (une fois encore) le fantôme du post-punk et qu'il a beau s'y prendre d'une assez belle manière, tout cela manquera forcément d'originalité puisque, on le sait bien, les choses ont déjà été dites et bien dites et ce depuis bien longtemps (à ce titre, inutile de rappeler la réédition ces temps-ci  de quelques essentiels de The Sound à un prix enfin abordable). Bref, on se laisse certes prendre au jeu de The Human Elephant, un peu captif, un peu complice parce que ces accents-là résonnent encore en nous mais on sent bien que le disque est appelé à connaître une carrière météorique près de la platine et ne tardera pas à rejoindre les étagères les plus éloignées.

Et puis, contre toute attente, non, il s'incruste et finit par rester-là, jamais trop loin, disponible dès que le spleen se fait sentir et que la pluie succède à de trop courtes éclaircies. C'est qu'à bien y regarder, White Thunder montre également quelques accents supplémentaires à ceux, bien plus gris, qui nous avaient poussés à le cataloguer un peu trop vite. L'ossature est post-punk, c'est vrai, mais pas seulement. Un titre comme Ausland par exemple va plutôt fureter du côté du rockabilly, ce qui est assez surprenant après une telle entame marquée et inquiète. Un rockabilly certes actualisé, avec guitares déglinguées en arrière-plan, stridences synthétiques sur le refrain et tutti quanti mais dont la dynamique ne trompe pas et tranche avec le reste ou en tout cas avec le morceau suivant, Terrorist, ouvertement folk et lo-fi, rappelant le Beck de la période One Foot In The Grave, voire The Halo Benders et toute la clique K Records avec du chant féminin en contrepoint de la voix caverneuse et un refrain jusqu'au-boutiste. Toutefois, Ceremony qui suit ces deux-là permet à The Human Elephant de payer son tribut à Joy Division et il faut bien dire que là aussi, il ne s'en sort pas si mal. Le champ d'investigation de White Thunder est donc bien plus éclectique qu'il ne le laissait penser de prime abord et le mélange des genres s'avère être des plus addictifs et c'est bien là que se situe sa réussite : point de calcul derrière cette musique maussade, le ciel de traîne n'est pas un écran de fumée et on comprend très vite que le moteur du disque est avant tout sa grande sincérité.

Une sincérité qui excuse les petites maladresses qui parsèment les morceaux, ces synthétiseurs parfois trop envahissants, la voix légèrement approximative (Somehow We Know) ou encore ces quelques propositions manquant de réelle originalité mais la dynamique, elle, montre un souffle qui ne s'épuise jamais et c'est finalement avec un réel plaisir qu'on se balade au fil des titres. Et puis sans doute ne faudrait-il pas oublier qu'il s'agit là du premier long format de The Human Elephant, projet singulier du seul John Edward Donald dont on ne sait pas grand chose si ce n'est qu'il a grandi à Chicago et que sa musique porte en elle les stigmates d'une disparition qui l'a, semble-t-il, beaucoup marqué. Mais cela suffit tout de même à mieux cerner les nuances musicales à l’œuvre dans ce disque : les grands espaces américains pour le côté folk déglingué et sensible et les fêlures pour ces instantanés mélancoliques, insulaires et gris dont on croyait seuls les Anglais capables. Et bien que ce galop d'essai se montre parfois un peu gauche, on en connait quand même beaucoup qui seraient prêts à se damner pour des morceaux de la trempe d'All Chorus, No Verse par exemple qui n'hésite pas à jouer crânement dans la cour d'un Neil Young miniature. Alors c'est vrai, l'album est sorti l'année dernière et on le découvre un peu à la faveur de l'actualité récente du label Umor Rex Records qui lance ce mois-ci le premier Deadman’s Ghost dont on reparlera sans doute mais il n'est jamais trop tard pour faire de belles découvertes et celle-ci en est incontestablement une. D'ailleurs, pour finir de convaincre les derniers récalcitrants, White Thunder s'écoute ci-après : jetez-vous alors sur les circonvolutions tendues et contrastées de The Human Elephant avec délectation, son post-punk canal historique mâtiné de folk lo-fi possède d'indubitables arguments.

Le spleen communicatif de The Human Elephant vous fera danser au milieu des porcelaines sans accidents.

leoluce





lundi 9 avril 2012

Vertonen & At Jennie Richie - Leaving Ocean For Land


Date de sortie : 3 avril 2012 | Label : Debacle Records

Vertonen, c'est Blake Edwards, homonyme du célèbre réalisateur américain de The Party mais en beaucoup, beaucoup moins drôle puisqu'en plus de 20 ans de carrière le Chicagoan aux allures d'informaticien schizophrène s'est surtout évertué à maltraiter le bruit blanc et autres sonorités plus ou moins abrasives tirées de ses machines, au gré de ses divers projets solo et autres collaborations mais le plus souvent sur son propre label Crippled Intellect Productions consacré aux expérimentations les plus radicales de l'underground électro/noise d'outre-Atlantique.

At Jennie Richie, c'est un mystérieux collectif à géométrie variable basé à Seattle et emmené depuis le milieu de la décennie passée par Happiness et Forever, bidouilleurs dadaïstes rompus à l'héritage de la musique concrète qui triturent ou échantillonnent tout ce qui peut bien passer à leur portée pour façonner leurs textures et leurs atmosphères. Tout ce joli monde s'était déjà croisé en 2007 sur la cassette limitée Time: Or Fractal Waves Of Increasing Novelty / Soilure mais chacun dans son coin, ou plus exactement chacun sur sa face. A notre connaissance, il s'agit donc de la première véritable association des deux projets sur un travail commun.

Quant à Debacle Records, en étant un tout petit peu péremptoire, ça n'est rien d'autre que le meilleur label noise/ambient de l'année 2011, sur lequel on se reviendra pas ici, Indie Rock Mag l'ayant déjà très bien fait pour nous au détour de cette interview du patron Sam Melancon (Megabats). Contentons-nous donc de pinailler en disant que quatre mois pour remettre son titre en jeu c'est long, surtout après avoir sorti plus de 20 albums en un an pour presque autant de sommets couvrant tout le prisme de la musique expérimentale qu'on aime, du drone à l'impro jazz en passant par le doom metal ou la kosmische music.

Mais trêve de pérorage, l'attente en valait la chandelle. Car une telle rencontre ne pouvait être le fruit du hasard et Leaving Ocean For Land, pièce unique de 46 minutes subdivisée en quatre principaux mouvements, témoigne d'emblée d'un dessein autrement plus ambitieux que celui d'ajouter son grain de silice au grand bac à sable des soundscapes drone/ambient. Quelle que soit la mystérieuse catastrophe qu'aient choisi d'évoquer Vertonen et At Jennie Richie, nous n'aurons d'autre choix que de la vivre et d'en ressentir chaque conséquence, fût-elle réelle ou imaginaire.

En quelques boucles de drones fantomatiques et de pulsations infrasoniques rappelant le bruit des machines de réanimation, le décor est planté : tout est joué depuis longtemps et nous sommes déjà morts. Ces pales qui tournent au ralenti, sont-elles celles de l'hélicoptère de sauvetage qui atterrit sur les lieux du drame ? Et d'abord, de quel drame parle-t-on ? A peine a-t-on le temps de se poser la question qu'une onde longue distance perce le voile de notre linceul de brouillard. D'abord timide, le ballet des voix commence, passées au filtre d'une transmission radio ou de nos neurones défaillants encore sous le choc de... l'explosion ? On pense à Steve Reich et à son récent WTC 9/11 évoquant le chaos humain du 11 septembre, mais ici le concept passe au second plan de l'immersion, et après un premier évanouissement, à mesure que les connexions synaptiques se renouent et que les évènements ressurgissent, l'angoisse monte, nous vrille le cerveau au gré des vagues de bruit statique et de percussions en cascades.

Mais bientôt pourtant, la marée se retire et à nouveau ces pales, celles peut-être que contemple en plein trip le capitaine Willard dans Apocalypse Now, entre deux visions d'un avenir inconnu et néanmoins inéluctable ? Bruits de pas dans les branchages, cris des singes, piaillements des oiseaux et stridulations des insectes sur fond de ronronnement sourd, peut-être celui d'un groupe électrogène, nous sommes dans la jungle par une nuit d'encre, mais tout cela est-il bien réel ? La vision disparaît dans un cut abrupt et la quatrième partie nous replonge dans cette même purée de pois cosmique où temps et espace se confondent. A la différence près que les voix, désormais, ne sont plus qu'un magma informe, bien vite balayées par le souffle intangible de l'infini, lequel finit lui-même, tout à fait paradoxalement, par s'évaporer dans le néant.

Si la coque rouillée de la pochette était bien notre moyen de transport dans cet étrange voyage mental, nous sommes arrivés à bon port... mais à en juger par les brefs échos d'entre deux guerres venant clore l'album sur un air de swing fantomatique que ne renierait pas The Caretaker, ce mouillage là semble de toute façon être celui où toutes nos ancres finissent un jour ou l'autre par venir s'échouer. Le rideau tombe, personne n'a rien compris au film mais on n'en sort pas moins avec la certitude d'être passé à côté d'une vérité trop nébuleuse pour être cristallisée en pensée concrète. Était-ce donc une allégorie de la mort ou une métaphore de la vacuité de nos existences ? Le sens se cachait-il au cœur de la sensation ou au creux de l'abstraction ? Qu'importe après tout, l'expérience fut totale, et nourrie de nos propres incertitudes. Personne n'a la réponse, mais nous seuls avions les questions. Et si on peut être certain d'une chose, c'est qu'à l'image de ce disque sans fond, elles nous hanteront encore longtemps.

Rabbit

dimanche 1 avril 2012

Cezary Gapik - The Sum Of Disappearing Sounds


Date de sortie : 2 mars 2012 | Label : Karlrecords

Après l'Italien afarOne en février et l'IDM post-classique de son excellent Lucen aux allures de Murcof midtempo (en écoute ici), on gardait une oreille pointée vers Hambourg et son rare mais précieux label Karlrecords - notamment distributeur européen en 2008 du fabuleux Lodge, collaboration drum & bass aux effluves dub-jazz entre Fanu et Bill Laswell parue chez Ohm Resistance. Bien nous en a pris, car malgré leur parcimonie coutumière, il n'aura pas fallu un mois aux Allemands pour nous dégotter le genre de perle drone monolithique et oppressante dont rêvent les admirateurs d'Illusion Of Safety, KTL, Svarte Greiner ou des plus méconnus mais tout aussi imposants Methuselah.

Cet album, The Sum Of Disappearing Sounds, on le doit au Polonais Cezary Gapik, ex punk que certains connaissent peut-être sous le pseudo de Cezar mais dont beaucoup ignorent sans doute la prolificité via Bandcamp, une demi-douzaines de sorties par an depuis 2009, la plupart autoproduites, et quatre fois plus en 12 ans que le label entier en deux fois moins d'années d'existence. Autant dire que ceux qui le découvrent avec ce disque auront du retard à rattraper, à commencer pourquoi pas par cette récente compilation d'archives des débuts, plus courtes mais tout aussi immersives avec leurs éléments plus épurés et dissociés (oscillations électroniques, programmations hypnotiques, drones fantomatiques, percussions machiniques...) ou pourquoi pas The String dont les deux longues pièces tour à tour abrasive et anxiogène offraient l'an dernier les prémices de l'abum qui nous occupe ici.

Après Cabaret Voltaire ou PIL, ce sont donc les pionniers de l'avant-garde acousmatique, du minimalisme électronique et du drone (de Stockhausen à LaMonte Young en passant par Phill Niblock ou Eliane Radigue à laquelle rendait récemment hommage l'excellent Keith Fullerton Whitman) puis la découverte de la musique de Scorn qui contribuèrent à façonner la prédilection de Cezar pour les chapes de textures grouillantes, les discordances fuligineuses et autres pulsations pesantes, une inspiration dark ambient d'obédience post-industrielle et néanmoins profondément organique qu'il explore également avec son compère du collectif Sub Spa, Bartłomiej Kuźniak, au sein de QG/GQ.

Voilà pour les présentations, venons-en à la bête. Il semblerait à en juger par Uncertainty qu'elle se nourrisse de glitchs, de field recordings et d'instruments préparés, méconnaissables une fois engloutis par ses puissants sucs gastriques. Mais à vrai dire, à partir du flippant The Gradual Loss Of Elasticity avec ses faux-airs de Ligeti post-apocalyptique, on entend surtout le bruit du métal qui corrode en accéléré, cette matière qui saigne sur la pochette, se tord d'une douleur sourde sur un Idiomat aussi menaçant que plombé et dont les longs cris sans timbre ne font que s'amplifier à mesure que les drones sinistres du Polonais font leur office, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que l'os sur Still, No Beginning, And..... Without End. Et de l'os de métal, ça ressemble un peu à un synthé de John Carpenter sans la mélodie, le genre de son parfaitement approprié pour accompagner la fin de toutes choses.

Appelez-ça de l'isolationnisme vorace, en référence au terme avancé par Kevin Martin du temps de God ou des premiers Techno Animal, ou du "dépressionnisme abstrait" comme Cezary Gapik aime lui-même à qualifier ses instrumentaux d'une opacité sans fond qui engluent lentement mais sûrement telles d'immenses marées noires toute forme de vie environnante. Mais si une chose est certaine, c'est que vous n'en sortirez pas avec l'envie de manifester de l'amour à votre prochain. On vous aura prévenus...

Rabbit


Ci-dessous, de courts extraits des quatre pièces de l'album, dont les durées vont en réalité de 11 à 16 minutes :