lundi 30 juillet 2012

Delphine Dora - A Stream Of Consciousness


Date de sortie : 02 juillet 2012 | Label : Siren Wire Editions

Deux mains, un seul instrument. Un disque tout aussi contemplatif qu'urgent. À la fois minimaliste et foisonnant. Aride, pelé et sec. Minéral et instrumental. De prime abord A Stream Of Consciousness revêt un masque de rigueur, roide et bien peu avenant. On n'y entend que du piano, quatorze morceaux durant. Pas une voix ou quoi que ce soit d'autre. Un piano. Seul. Un piano et rien que lui. Quelque chose comme une âme sans son chien. La dernière fois qu'on a tenté un truc équivalent, c'était avec A New Way To Pay Old Debts (puis tous ses successeurs) et encore, on triche parce qu'au moins Bill Orcutt balançait de temps en temps quelques borborygmes et quelques pains à sa guitare, des poussières de fioritures dans une mer majoritairement asséchée. Mais il s'agissait bien là aussi du disque d'un seul instrument, sans le moindre effet ni la moindre altération concernant ce qui pouvait bien en sortir. En revanche, la comparaison s'arrêtera là car tout en explorant le même paradigme, on ne peut pas trouver plus éloigné musicalement que le blues sauvage et déglingué de Bill Orcutt et le post-minimalisme enveloppant de Delphine Dora. Quelques points communs certes, cette façon de rentrer dans le vif du sujet sans attendre, cette impression d'entendre cohabiter un bon milliard de notes dans la même seconde mais c'est bien tout. Car A Stream Of Consciousness n'est pas le disque d'une seul émotion ou d'une seule atmosphère et tout au long de ces quatorze plages, il se passe une multitude de choses.

On pouvait craindre énormément d'une telle formule puriste et jusqu'au-boutiste, craindre l'ennui ou l'indifférence, craindre également de rester sur le bord du chemin sans réussir à rentrer complètement dans le disque mais il n'en est rien. On suit les circonvolutions des pédales et des marteaux effleurant ou fracassant les cordes d'abord avec étonnement puis avec fascination. Les entrelacs qu'ils dessinent, les ondulations ou les remous qu'ils provoquent à la surface de morceaux majoritairement limpides enferment les synapses dans un canevas qu'il est bien difficile de détailler. Disque mouvant, disque en mouvement, A Stream Of Consciousness finit par effacer tous les repères et on a tôt fait de s'y perdre complètement, les motifs se succèdent sans qu'il soit facile d'en identifier le début ou la fin, se répètent et changent énormément mais par petites variations régulières et progressives. Tantôt calme, tantôt turbulent, le flux de notes tintinnabule vers une destination que Delphine Dora est bien la seule à connaître et on la suit les yeux fermés. Et peut-être qu'elle même ne sait pas très bien vers quoi elle nous emmène, découvrant le dessein au fur et à mesure qu'il sort de ses doigts en vagues ininterrompues mais qu'importe, lorsque l'on se retourne à la toute fin pour scruter le chemin parcouru, on ne peut qu'être soufflé par l'architecture ainsi dévoilée et son relief cabossé. Qu'ils soient simples clapotis ou martellements rugissants, ces agrégats de notes captivent insidieusement.

Depuis An Ode To Infinity en ouverture, tendu et habité jusqu'à ce Fragments Of Dreams Are Only Echos Of Memories en négatif, contemplatif et solennel, de If We... qui balancent ses notes entre descente et montée le long d'un col escarpé jusqu'aux sept minutes d'une Conclusion qui porte si bien son nom, le disque n'a cessé d'hésiter entre tension et apaisement. Et puis A Stream Of Consciousness n'en fait jamais trop, préfère largement suggérer quand il était si facile, avec un tel parti pris, de démontrer. Aux couleurs criardes et aux contours repassés au feutre noir, Delphine Dora privilégie le monochrome et l'effacement : les mouvements vont et viennent, apparaissent et s'estompent dans un souffle, on remarque souvent leur présence parce qu'ils ne sont plus là. Forcément expérimental, un brin atonal et/ou avant-gardiste mais tout le temps accueillant, l'album provoque ainsi nombre d'émotions et même s'il arrive que l'on soit moins convaincu au détour d'un morceau (personnellement, Obsessions me laisse de marbre), il y a matière à explorer longtemps. Alors que l'on découvrait Delphine Dora en compagnie d'Half Asleep en début d'année le temps d'un You're Not Mad, You're Just Lonely où les voix mêlées de l'une et de l'autre dessinaient les contours de proto-morceaux pop, taillés à la serpe et franchement singuliers, A Stream Of Consciousness est bien l'album que l'on attendait. Sans sa voix mais tout aussi étrange. La pochette la montre courant sur l'herbe bleue dans un mouvement dont on a bien du mal à déterminer s'il s'agit d'une fuite ou d'une course en avant. Elle représente parfaitement un disque dont on saisit le mouvement mais que l'on n'interprète pas.

Dès lors, que vous soyez réfractaire au piano ou au tout instrumental, surtout ne fuyez pas ! Quand le minimalisme se fait si foisonnant, quand ce type de végétation luxuriante naît d'un tel caillou pelé, quand il devient possible de donner plus alors que l'on part de tellement moins, il faut clouer ses stéréotypes au pilori et écouter. L'évidence ne viendra peut-être pas à la première écoute mais elle viendra. Elle s'installera au détour d'un motif ou d'un autre, d'un train de notes qui frôle le calme mais ne l'atteint jamais ou d'un mouvement furibard patiemment martelé. Elle apparaitra là, quelque part, au cœur même de l'abstraction ou lorsque vous arpenterez l'un des multiples versants impressionnistes d'un disque qui au départ, rappelons-le, n'a pas grand chose pour lui. Ce piano qui prend la main pour ne plus la lâcher. Ces vignettes contrastées au sein desquelles les notes se meuvent comme des insectes affolés. Torrent fou, simple rivière et pour finir, gouttes de pluie. Tout cela n'appelle qu'une seule chose : écouter, surtout ne pas analyser, laisser la musique couler à l'intérieur de soi et partir en errance à ses côtés. A Stream Of Consciousness est ce genre de disque qui vous le rendra au centuple.

Jamais joli mais très souvent beau.
 leoluce



jeudi 19 juillet 2012

A Bleeding Star - The Wolfbitten Melodies Of My Snowfallen Memories


Date de sortie : 13 juin 2012 | Label : Twisted Tree Line

Si cet objet est officiellement la première sortie physique et signée de A Bleeding Star, l'histoire musicale de son auteur ne démarre pas là. Autrement connu sous le nom d'Alex Goth, le Canadien a donné naissance à ce projet en 2008 et depuis, pas moins d'une quinzaine d'albums auto-produits ont vu le jour. Dark ambient, drone, spectres et guitare acoustique, tels sont les instruments que manie et qui caractérisent sa patte. Accorder à ses morceaux des titres sans fin en fait partie, et ce nouvel EP n'échappe pas à la règle. Alors que The Aesoteric Cartography Of My Astral Travel'd Phantasmasy sortait discrètement en novembre dernier, aujourd'hui c'est Twisted Tree Line, label affilié au très intéressant Somehow Recordings, qui lui ouvre ses portes. Consacrées à l'ambient et à l'électro-acoustique nébuleux, ces deux structures sont gérées par Tim David Brice et Nico Brice, et accueillent en leurs rangs des artistes comme Hakobune, Ex-Confusion, Isnaj Dui et bien d'autres. The Wolfbitten Melodies Of My Snowfallen Memories a trouvé maison mère.

On pourrait poser que le cœur de la musique de ABS n'a que peu varié. Un cocon de ténèbres autour duquel il brode d'infinies volutes demeure le noyau de ces fraîches et macabres compositions. Si avoir recours à des crépitements en tous genres pour révéler une dimension organique a cessé d'être original, l'usage ici de grésillements et de puissantes interférences représente l'armature même des morceaux. Le parti pris est donc tout autre. Lorsque notre homme décide d'érailler ses sons, c'est le bruit que ferait un bout de croûte terrestre en train de cuire dans un chaudron qui vous inonde le crâne. Toute la capacité hypnotique et intrigante repose sur les cabrioles de guitare, sur les étreintes des cordes et des drones écumeux. Si le dark ambient est l'apanage des présentes compositions, il n'est pas impossible d'y entrevoir des étincelles de musique concrète ou les traces d'un shoegaze décharné. La noirceur a beau embrasser la moindre sonorité, The Wolfbitten Melodies... n'est pas de ces œuvres flippantes creusant leur route au cœur des catacombes. Le ton choisit d'être plus grave et plus poétique que cela. 

Le titre liminaire, As the Snow Fell Beautifully...I Found Myself Night-Possessed Into A Deep Wintry Sleep s'amorce avec lenteur sur une mélodie cinématique, jouée au piano. Doucement, l'enveloppe fantomatique se met à vibrer puis se craquèle, laissant la guitare affleurer. S'ensuit une tempête sur le fil du rasoir, oscillant entre le crescendo des accords et un refus tout net de la mélodie. Une fois n'est pas coutume, aucun des quatre titres de cet EP ne dépasse les cinq minutes. Beware: The Wolven'ly Daemonic Beasts Of thy Darkest Dreams Shall Always Be There annonce une toute autre couleur. Deux coups sourds, sorte de gong des bas-fonds, précèdent un déluge de riffs rageurs et magnifiques. Torrentielle, la guitare de A Bleeding Star crie, se fracture et chatoie. Derrière elle, le ciel craque et s'ouvre, les deux se répondent. Le désespoir s'allume parfois d'éclairs de folie violente et ironique. 

Le troisième chapitre, Upon Awakening From My Wild Revery... (je tronque) laisse retomber le souffle, dessine le flamboiement d'un âtre, peut-être la proximité de l'ombre ciselée d'un verre d'absinthe. La scission à nouveau entre le début et la fin du morceau se révèle troublante. I Suddenly Felt A Surge Of Deadly Lycantropy dit la fin de son titre. Sûr que les pulsions incompatibles et autres paradoxes existentiels peuvent, en ces heures tourmentées, trouver une illustration. C'est avec l'immense dernier titre que toute la beauté fragile et hantée de la musique du Canadien prend toute sa consistance. Presque une mise à nue, By Her Full Moon's Cherish'd Rise... sonne comme l'acceptation de la mélodie et de la cohérence. Si elle demeure floue et vaporeuse, la danse des cordes s'est faite plus fluide. Les nuances adoptées sont belles à pleurer, et il faut attendre plusieurs minutes pour qu'un grésillement caverneux zèbre l'atmosphère. Répétition de l'équivalent musical d'un sourire maussade, les cinquante dernières secondes touchent au sublime.

Pénétrer et apprécier les œuvres noires de A Bleeding Star n'est pas anodin. Le chemin paraît convulsif et capricieux et l'aboutissement réserve son lot de fièvre et de frissons. Entre ses strates de noise et son ballet enivré de cordes, The Wolfbitten Melodies Of My Snowfallen Memories en est peut-être la meilleure porte d'entrée.

Manolito



mercredi 18 juillet 2012

Kshhhk - s/t


Date de sortie : 10 juillet 2012 | Label : Xtraplex

En attendant que Kvitnu remette les bouchées doubles ou que Stroboscopic Artefacts nous gratifie d'un ou deux formats longs à la hauteur de ses séries d'EPs, ne cherchez pas plus loin le label électro de l'année. Révélation pour beaucoup au gré des ses dernières sorties signées Olkin Donder, Sluggart ou Ynoji, Xtraplex a vu le jour en 2011 avec l'ambition de cristalliser l'excellence d'une scène belge tragiquement mésestimée. Même si jusqu'ici la palme en revient à l'Italien Monade et son monumental Pt#9, l'objectif semble définitivement atteint. Avec dans le collimateur des beatmakers aussi audacieux que Bang Haas, Sk'p ou Cyan Sun, sans parler des soundscapes plus insidieux de Virlyn, Kingstux ou Etherik, la petite structure chapeautée par le Gantois Laurentz Groen - également graphiste maison sous le pseudo Han Leese - n'a pas fini de briller dans les champs du glitch cybernétique, de l'IDM organique, du dubstep astral ou de l'ambient déstructurée. Pour y voir plus clair, on vous renvoie vers cette interview du bonhomme qui en dit long sur ses convictions de défricheur désintéressé. Toutes les sorties d'Xtraplex sont ainsi téléchargeables à prix libre via Bandcamp, à commencer par cette compilation séminale prête à stimuler comme il se doit votre ganglion géniculé.

Mais venons-en à Kshhhk. Il se pourrait que l'on sache qui se cache derrière cette mystérieuse identité et qu'il n'en soit pas à son premier coup de maître cette année. Il se pourrait aussi que percer le secret n'ait pas la moindre importance au regard du concept résolument nébuleux qui préside à cette suite aussi abstraite qu'avant-gardiste, où le beatmaking passe régulièrement au second plan d'un travail sur les textures poussé dans ses retranchements les plus singuliers, au diapason d'un artwork aux couches pastel superposées. A-t-on affaire à une création originale ou au remixage déconstructiviste d'une ou plusieurs œuvres déjà existantes ? Pour ce qu'on en sait, ces 8 titres parfaitement emboîtés pourraient tout aussi bien venir droit de l'espace, transmis par quelque émetteur extradimensionnel avant d'être soumis aux distorsions magnétiques d'un trou noir. Le label avance même l'idée d'une session générée en temps réel par une intelligence artificielle inconnue qu'auraient captée par hasard ses antennes inquisitrices, et à dire vrai il est parfois difficile d'imaginer qu'une telle déferlante d'interférences stellaires puisse être le fruit d'un esprit partageant pleinement notre idée de la rationalité.

"Où que tu sois", affirme la piste d'ouverture, et d'emblée la musique de Kshhhk s'emploie à balayer de ses rayonnements ionisants toute l'immensité de l'espace en quête d'une oreille attentive, à moins qu'il ne s'agisse plutôt pour l'énigmatique entité de tendre la sienne, puisqu'il faudra attendre que nous parvienne par bribes le chant plaintif d'une fillette des Balkans au milieu du flot des grouillements cosmiques pour que la mécanique d'un vortex artificiel se mette en marche, encodant en flux de pulsations mathématiques les données analogiques du passager dématérialisé pour un embarquement immédiat en direction de notre dimension. Le trajet en vitesse lumière est cahotant voire chaotique mais de courte durée, tout juste le temps de voir défiler quelques rais de photons étirés sur des millions de kilomètres au son des balises de sécurité, mais à l'arrivée rien ne fonctionne comme prévu, la technologie s'emballe et les capteurs deviennent fous, le briefing est approximatif et les conditions inconnues, notre explorateur désincarné est dans le flou.

C'est alors que commence la prospection dans notre étrange système solaire (At Kshhhk Gardenz), les beats implosant comme autant d'ondes de choc tandis que des sondes propulsées à intervalles réguliers dans toutes les directions zèbrent l'obscurité du cosmos en quête de surfaces où s'écraser et de traces de vie à consigner. Les images affluent déjà de toutes parts lorsque l'évènement se produit : l'un des engins, au lieu de heurter la roche dans un fracas métallique, vient s'enfoncer dans un lit de matière organique (The Not So Much Space Place). Colorimétrie : un spectre inhabituel, situé entre le bleu et le jaune... curieusement reposant. Surface : meuble, irrégulière et tapissée d'organismes eucaryotes dénués de mobilité. Avec une vélocité, une froideur et une ténacité toutes mécaniques, le système d'analyse se met en branle (Where Pixelated Dandelions Bloom), mesurant chaque donnée à sa portée, de la composition de l'atmosphère ambiante à la fréquence des processus de synthèse biochimique.

Et soudain survient le phénomène. Une épiphanie qui fait taire les senseurs dans un souffle. Un miracle banal pour nous autres humains mais dont le voyageur et son super-calculateur ne peuvent qu'effleurer l'éphémère beauté. Un épanouissement de vie et de couleurs qui pour ces spectateurs d'un instant ne revêtira d'autre nom que celui que leur imaginaire limité aura bien voulu leur évoquer. Mutation physiologique, induction pluricellulaire, le vert laissant place au jaune avec une lenteur consommée qui aux yeux d'une A.I. venant de traverser une bonne moitié de l'univers semble filer avec la fugacité d'une comète. Une fleur vient d'éclore, l'existence a pris sens et les robots rêvent désormais de pixels organiques (And Glitched Minds Find Rest), soudainement au fait de leurs indicibles carences. L'appel de l'espace a donné naissance au spleen cybernétique, et bientôt l'être digitalisé entrapercevra son passé effacé des archives numérisées, et l'homo sapiens le fruit de ses ambitions déshumanisées. La leçon fut sidérale et non moins sidérante... fin de transmission.

Rabbit



On vous le disait en début d'article, l'idée de partage et de libre diffusion est primordiale pour Xtraplex et ses artistes. Le label nous invite ainsi à télécharger l’œuvre et à la sampler, la malmener et la réinventer, dans nos rêves ou sur nos softwares de producteurs en herbe. Ce qui bien sûr n'exclut pas une petite donation en cas d'affinité, même le plus esthète des ascètes du cosmos ne pouvant se contenter tout à fait de nourriture spirituelle. A bon entendeur.

jeudi 12 juillet 2012

Fire! With Oren Ambarchi – In The Mouth - A Hand



Date de sortie : 2 juillet 2012 | Label : Rune Grammofon

Chacun ses marottes ! L'une des miennes, actuellement, c'est d'essayer de suivre la discographie pléthorique de Mats Gustafsson. Une gageure car à l'instar d'un Merzbow ou d'un Zorn, le saxophoniste suédois semble passer sa vie avec son instrument et passer son temps à enregistrer tout ce qui en sort. Le plus petit souffle est capté, la moindre improvisation consignée, qu'il soit seul ou accompagné, en studio ou en concert, parfois même dans une chambre d'hôtel en Éthiopie. Une gageure car le problème avec ce genre de stakhanoviste, c’est que les accointances avec le dispensable deviennent inévitables. Mais pour l’instant, l’éclat de Gustafsson semble être préservé. Même si, bien sûr, je n’ai pas écouté tous ses enregistrements. Même si j’émets aussi quelques doutes sur la dernière collaboration entre The Thing et Neneh Cherry où chacun semble être resté dans son coin sans jamais se rencontrer. The Thing fait du The Thing et Neneh Cherry, du Neneh Cherry. Or jusqu’ici, ce qui a fait la grande force des projets auxquels son saxophone furibard participe, c’est le mélange qui en résulte. Ni tout à fait les uns, ni tout à fait l’autre mais bien au milieu. Sur The Cherry Thing, tout ce petit monde semble n’avoir fait que se croiser, la confrontation est restée molle, la suavité soul et la sensibilité pop de Neneh Cherry n’ont pas arrondi les angles free de The Thing qui lui-même n’a pas écorché et battu en brèche le tapis vaguement hip-hop de la Suédoise. Enfin, tout cela est bien évidemment subjectif et à chacun son Gustafsson après tout. Le mien se croise au détour d’In The Mouth – A Hand, troisième disque des nucléaires Fire! après une rencontre avec Jim O’Rourke qui avait placé la barre à un niveau stratosphérique l’an dernier. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la confrontation du trio avec la guitare d’Oren Ambarchi, autre stakhanoviste que l’on ne présente plus, maintient Fire! à des hauteurs insoupçonnées

Ici, c’est le génotype brötzmannien de Gustafsson qui prend le dessus, impeccablement mis en valeur par la rythmique ahurissante de Fire! (Andreas Werlin à la batterie, Johan Berthling à la basse) et la guitare tout en larsen vicieux de l’Australien. Pas le moindre temps mort, tous les morceaux sont paroxystiques, les frissons envahissent l’échine tout du long. Furibard, explosif, parsemé de saine violence et de profondes échardes soniques, In The Mouth – A Hand fait l’effet de sa pochette : un grand coup de poing dans la gueule. Et si You Liked Me Five Minutes Ago et Unreleased ? mettaient en valeur le kosmische groove implacable du trio, ce troisième opus montre toute sa sauvagerie, sans doute transcendée par la présence d’Oren Ambarchi, maître es-expérimentations jusqu’au-boutistes s’il en est (son Knots d’une demi-heure a d’ailleurs beaucoup marqué cette année). Alors bien sûr, on peut avoir l'impression que je mets l’accent sur Gustafsson mais en fait il n’en est rien. C’est bien l’alchimie tellurique entre ces quatre musiciens qui fait mouche et s’il est rare qu’une confrontation rêvée sur le papier ne déçoive pas, force est de constater que ce n’est pas du tout le cas ici. Trop de rigueur, trop de passion, chacun pénétré par l’envie d’aller au-delà des frontières (du free, du rock, du drone et même de l’expérimentation) pour atteindre cette enclave autonome où ne subsiste que le plaisir pur de jouer. Et là où Fire! With Oren Ambarchi fait très fort, c’est qu’il garde cette générosité qui fait qu’à aucun moment le disque n’est abscons. On peut être réfractaire au saxophone, au free jazz ou au bruit et adhérer quand même. La jubilation est palpable et communicative, on sent bien que chacun se donne le sourire aux lèvres et que l’auditeur à aucun moment n’est écarté ou oublié. 

Ce qui frappe, c’est quand même la grande diversité d’In The Mouth – A Hand. L’attaque n’est pas toujours frontale, loin de là. A Man Who Might Have Been Screaming privilégie par exemple les stridences dispersées et le trio les développent longuement pour voir où elles l’emmènent. La basse se tord, la batterie fracasse le morceau et les blocs de larsen explosent en gerbes régulières et aigues qui maintiennent la tension intacte jusqu’à ce que le saxophone reprenne la main à la toute fin dans un râle agonisant. And The Stories Will Flood Your Satisfaction (With Terror) est quand à lui presque structuré sur son entame quand la piste précédente explosait sa rythmique à grands coups de distorsion. On suit les gifles des cymbales et le tapis caoutchouteux de la basse amalgamé au Fender Rhodes. Autres mœurs, autres tensions : le morceau n’est qu’une longue, très longue ascension et on a bien du mal à envisager les sommets atteints alors que l’introduction partait déjà de très haut. Cette fois-ci la guitare reste bien en bas, ne surgit pas, ne trace aucune zébrure acide et corrosive. Elle se contente de tapisser la rythmique et c’est le saxophone qui s’évade mais elle gagne toutefois le droit de conclure et se démultiplie alors pour atteindre une fois encore les aigus. Cette deuxième piste indescriptible, c'est un peu le point culminant à partir duquel on se dit qu'il faudra bien redescendre. Une épiphanie qui dure plus de vingt minutes. C'est alors que les basses véloces et le piano électrique d'He Wants To Sleep In A Dream (He Keeps In His Head) prennent place. Cette fois-ci, pas d'explosion, juste un long mouvement répétitif sur lequel se greffent quelques échappées belles. A priori, le quatuor semble se calmer. Comme on se trompe. Le deuxième morceau était l'Everest du disque, celui-ci sera son Annapurna.

C'est donc bien au cours du dernier morceau que se situe la descente : les trois premiers nous avaient emmenés bien haut, celui-ci nous conduira bien bas. Sépulcral, solennel, implosif, beaucoup plus court, I Am Sucking For A Bruise suggère une tension à l'envers, casse le paradigme, développe un autre climax qui n'en est pas moins impressionnant. Et comme son titre le suggère, alors que le silence point, on suce ses ecchymoses et on compte les points. Entre les hachures sauvages de l'entame, le long crescendo violent de la deuxième piste, les motifs répétitifs de la troisième et les abysses moribondes de la conclusion, pas une minute où l'attention n'a faibli et dès la fin du disque, il ne reste bien que l'envie de le remettre immédiatement au début. L'accoutumance est donc grande et immédiate. La créativité de chacun exacerbée par la présence des trois autres, conduisant Fire! et Oren Ambarchi à amorcer un pas de travers, ou plutôt un mouvement vers le milieu où tout ce petit monde fusionne pour offrir un disque saisissant.  Rectangulaire, le quatuor joue serré et fracasse le free jazz à grands coups de krautrock (et réciproquement), injecte des particules harsh noise dans ses drones fuselés. Une dynamique absolument jubilatoire qui naît d'un grand foutoir somme toute très organisé alors même qu'il est le plus souvent improvisé. Le Prométhée post-moderne ainsi créé, vif et physique, devrait faire date. En tout cas, pour l'instant, le moins que l'on puisse dire, c'est que son ombre paradoxalement élancée est franchement imposante. Bref, on l'aura compris, ce n'est clairement pas avec celui-ci que Gustafsson commencera à côtoyer l'anecdotique et c'est même à se demander si Fire! sera un jour capable de sortir quelque chose de mauvais ou de simplement quelconque. Il en va bien sûr de même pour Oren Ambarchi pourtant particulièrement prolifique cette année.

Mais le mieux est sans doute d'écouter. Pour se faire, cette captation live devra faire l'affaire faute de mieux, montrant les musiciens concentrés, possédés, presque en transe, se lancer dans un long crescendo qui commence à exploser lorsque la vidéo s'arrête. C'est terriblement frustrant et peu représentatif de la sauvagerie d’In The Mouth – A Hand même si cet extrait donne à voir l'un des multiples visages que revêt la collaboration. De quoi se faire une idée en creux toutefois alors qu'il manque des morceaux, en se disant bien que le plus stupéfiant ici est l'amalgame de ce que l'on entend avec ce que l'on attend mais que l'on n'entend pas. De quoi peut-être donner envie de découvrir le reste.


Un uppercut.


Puis une accolade.


Grand disque.







leoluce

mardi 10 juillet 2012

Jim Coleman - Trees



Date de sortie : 7 août 2012 | Label : Wax & Wane

Noise, salement industriel et abrasif. Complètement bancal aussi. Ce sont en gros les premiers adjectifs qui affleurent lorsqu'on lit le nom de Jim Coleman sur la pochette de Trees. Mais on comprend très vite, à peine le disque posé sur la platine, lorsque ses premières mesures emplissent l'espace, qu'il ne subsiste désormais plus rien du paradigme développé par Cop Shoot Cop. Ce qui n'est pas le cas de Tod A. par exemple qui a, lui, gardé le goût pour le foutraque et le déglingué avec Firewater. Non, rien de tout ça ici. L'urgence, le discours au vitriol – parfois lucide, souvent nihiliste – l'attirance pour le bruit blanc et la sauvagerie sont loin derrière. Trees en est d'ailleurs un peu l'antithèse. Aux vignettes cinglantes et barrées de son passé noise comme claviériste des new-yorkais, Jim Coleman préfère désormais les explorations labyrinthiques ouvertes à tous les vents.

Il continue à parcourir le versant crépusculaire de ses expérimentations ambient débutées pour le cinéma, poursuivies au sein de collaborations multiples (The Children, Baby Zizanie avec le Foetus en chef J. G. Thirlwell, Here...) ou en solo sous le nom de Phylr, en beaucoup moins électronique toutefois. En beaucoup moins daté aussi. Premier album où son nom apparaît enfin au grand jour, Trees n'en demeure pas moins l'œuvre d'un musicien qui traîne derrière lui un itinéraire musical on ne peut plus riche au cours duquel il n'a eu de cesse de muer pour devenir ce qu'il est aujourd'hui. C'est sans doute pour cela qu'il ne se cache plus derrière aucun pseudonyme et qu'il avance seul désormais tant il semble avoir atteint une forme d'équilibre et de plénitude qui lui sied parfaitement.

Trees s'enracine dès les premières secondes, déploie ses branches feuillues et fournies alors que les fougères, les arbustes et les chênes centenaires envahissent les enceintes et tout ce qui les entoure, la bruyère recouvre les murs, l'herbe pousse sur le carrelage et l'on se retrouve à déambuler pieds nus le long d'un sentier vaguement tracé au milieu d'une forêt dense. Rien ne bouge, rien ne crie, à peine entend-on les gouttes de rosée perler sur nos épaules et s'écouler le long du dos. L'album enferme le cortex dans un cocon végétal dès Sideway et ne le lâche plus. S'ouvrant sur des cordes stridentes et mystérieuses, un violoncelle se charge de maintenir une pulsation lourde et lente, des percussions discrètes soulignent les méandres qu'emprunte le morceau puis subitement, un cor d'harmonie signale que l'on vient de changer de plage.

Place au bourdon solennel d'Under Current, suivi du très contemplatif et anxieux Summer Heat où une voix – un murmure à peine, une vocalise fragile qui dialogue avec les instruments qui la portent – se fait entendre pour la première fois. L'atmosphère devient étrange, le jour agonise et Trees est maintenant inquiétant. On le voit, le climax est mouvant, pourtant les instruments restent les mêmes, mais la manière dont ils s'emboîtent, s'empilent, dialoguent, se rencontrent ou s'évitent amène des visions bien différentes derrière les yeux. Complétement immersif, Trees captive tout du long et l'on sent bien à quel point son expérience de compositeur de scores pour le cinéma ou la télévision a pu modeler la silhouette musicale de Jim Coleman.

Bien sûr, il arrive que l'impact soit moins fort, il me semble par exemple que l'enchaînement Tracks / Dawn / Override en milieu d'album plombe légèrement celui-ci bien qu'au final, les trois morceaux soient indéniablement tout aussi réussis que les autres, en dehors peut-être de leurs mélodies un peu trop appuyées ou évidentes, de leurs accents synthétiques stéréotypés qui rappellent fortement les B.O. d'un Vangelis à certains moments (Override en particulier) mais, à bien y regarder, c'est assez peu comparé à la majesté de l'ensemble. Pour le reste, ses drones cinématographiques aux atmosphères changeantes mais majoritairement ciel de traîne, son bourdon et son spleen omniprésents ensorcellent littéralement.

Il faut dire aussi que Jim Coleman a su bien s'entourer. Ainsi retrouve-t-on Kirsten McCord (collaboratrice de feu Eliott Smith et feu Vic Chesnutt ou encore de Jarboe) derrière le violoncelle grave et profond, Phil Puleo (ancien frère de sauvagerie au sein de Cop Shoot Cop) aux percussions élégantes et variées (et à la flûte aussi), Ellen Fullman à la manipulation d'un long stringed instrument qu'elle a elle-même créé quand Dawn McCarthy (de Faun Fables) prête sa voix sur quelques titres. Bref, pas n'importe qui et encore moins n'importe comment car on ne peut que louer la belle alchimie instrumentale qui règne dans ce disque. Ces morceaux denses et hypnotiques lui doivent beaucoup indéniablement et sans doute a-t-elle permis leur éclosion.

Et le label de promettre une suite "which is based on recordings of individual’s near death experiences". Impatience, impatience !

leoluce


Pour se faire une petite idée de Trees, il suffit simplement de fixer son attention sur les atours solennels qui accompagnent le saxophone légèrement trop bavard de Rain, dernier titre de l'album.

dimanche 8 juillet 2012

Kiyoko - Sea Of Trees


Date de sortie : 18 juin 2012 | Label : Auxiliary

Ne fuyez pas tout de suite à la vue de cet artwork délicatement pastoral. Les cerisiers du Japon certes, ne poussent pas dans les caves. Mais ce serait sans compter le potentiel neurasthénique de la musique de Kiyoko, entité qui unit Joe McBride et Jack Lever. Le premier est plus connu sous le pseudonyme de Synkro derrière lequel il officie comme producteur de 2 step / UK garage, avec un penchant pour l'hypnotique et l'aérien. Du second, qui se fait appeler Bering Strait, on ne sait pas grand chose. Synkro collaborait récemment avec ASC, et c'est sur son label, Auxiliary, que James Clements  accueille Sea Of Trees. Une sortie qui tranche avec le catalogue de la maison comme avec les habituelles productions du Mancunien.

Le duo s'est attelé à son matériel analogique et a troqué la bruine britannique contre un couvercle limpide. L'environnement ici composé s'établit hors de toute civilisation ou réalité. Kiyoko fait de la nature, la nostalgie et la quiétude les objet centraux de l'album. Minimaliste et élégante, cette plage downtempo se déroule au gré discret des samples vieillots, des craquements et des murmures de guitare. Les bribes évoquent des arrondissements tokyoïtes et le spectre des shamisens traditionnels ne quitte pas les échos de cordes pincées qui pointent à l'occasion. On aura compris l'influence principale. Si cette entière errance sonne épurée, le travail du beat compte parmi ce qu'il y a de plus attrayant dans ce disque. Aéré, lentement gondolé, fait de percussions concrètes ou de fines dislocations, le squelette évanescent des rythmes souligne l'ensemble sans dominer. 

Alors que les ondes synthétiques et planantes guident l'oreille au sein d'espaces en clair-obscur, on ne peut s'empêcher de se rappeler que l'aura nippone de ces rêveries demeure le fruit des bidouillages éclairés de deux jeunes types du North West anglais. Esbroufe ? Justement pas. L'humanité et la poésie qui exhalent des languides divagations du duo ont tout à voir avec le caractère complètement fantasmé de leur musique. Tout deux n'auraient pas forcément dépeint avec tant de netteté ce climat de mélancolie vive et de piqures de spleen s'il en avait été autrement. Sea Of Trees n'est ni sombre ni lumineux, il investit seulement le crépuscule et parvient à capter cet instant où les corps s'animent d'une sorte de légèreté maussade.

Les sons qui charpentent cet album n'ont pas vocation à révolutionner le genre, ils semblent simplement sortis de nulle part. Long d'une courte trentaine de minutes, Sea Of Trees maintient l'idée fugace du sentiment qu'il dégage jusque dans son format. Une discrète progression se fait sentir sur les premiers titres. First Light ouvre sur de l'ambient filé de touches acoustiques tandis qu'Open fait naître au coeur de rayons affleurant un beat aussi discret qu'un insecte. Un point fort du disque s'inscrit sans doute possible dans l'élégiaque Shinagawa, à la rythmique plus marquée et au charme tourbillonnant et feutré. Une vraie trace de noirceur intervient avec Rainfall, au court duquel l'atmosphère s'est sensiblement assombrie. Un grondement de basse, la modulation d'un écho perdu amène une charge dramatique nouvelle. La douceur a tôt fait de renaître au creux du flottant Dulcimer. Entre balbutiements de cordes et percussions tristes, Sea Of Trees s'éteint dans un souffle.

On pourrait finir en évoquant sa dimension introspective, l'humilité qui perle de chacun des titres, la capacité de Kiyoko à dessiner un monde irréel et pur. Ou simplement conclure sur le fait que Sea Of Trees est un très bel album.

 Manolito

lundi 2 juillet 2012

Anthea Caddy & Thembi Soddell - Host


Date de sortie : 2 avril 2012 | Label : Room40

En 2012, l'écurie de Lawrence English semble avoir radicalement dissocié ses préoccupations, confiant aux sous-labels A Guide To Saints et Someone Good l'exclusivité de ses sorties plus accessibles, qu'elles arpentent une ambient contemplative (Motion Sickness Of Time Travel, Heinz Riegler) ou une poptronica kaléidoscopique (FilFla, Tralala Blip), pour se concentrer en tant que Room40 sur des albums plus difficiles d'accès voire ouvertement radicaux.

On avait ainsi vu passer en début d'année dans les rangs du label australien la drone-folk déconstruite de l'Anglais Mike Cooper, les étranges progressions mystiques de l'Italien Andrea Belfi ou encore le sound design déstabilisant du Français eRikm, puis plus récemment les nappes statiques du prolifique Asher, héritier du minimalisme de William Basinski, sur les deux volumes fantomatiques d'Untitled Landscapes. Autant d'habitués du catalogue Room40 à l'exception peut-être de l'auteur de Wege sur lequel on reviendra, soit rien de vraiment surprenant dans ces choix mais au vu d'une telle succession de travaux sans concession au confort d'écoute de l'auditeur, on aurait presque pu se croire chez Touch, une once de prétention en moins.

A charge donc de cette seconde collaboration entre les Australiennes Anthea Caddy (Bogan Ghost, Splitter Orchester) et Thembi Soddell non pas de rétablir la balance, mais l'élargir encore le champ de prospection de la structure basée à Brisbane puisque si Andrea Belfi se retrouvera bientôt chez Miasmah au générique d'une collaboration attendue avec Aidan Baker et le patron Erik K. Skodvin aka Svarte Greiner, c'est justement à l'univers résolument hanté du label norvégien que fait penser ce Host, à la croisée de l'impro concrète et de la BO stridente pour film d'épouvante à l'ancienne.

Six ans après Iland, sorti à l'époque sur le micro-label Cajid Media piloté par Soddell, le duo sollicité entretemps pour un certain nombre de concerts communs et d'installations d'art contemporain remet donc le couvert sur album et incorpore des field recordings d'insectes nocturnes, d'oiseaux charognards, de planches qui brûlent ou de portes qui grincent pour instaurer une atmosphère des plus inquiétantes, propice aux saillies dissonantes du violoncelle d'Anthea Caddy. Et si Dissembling ouvre le disque sur une succession de saynètes décousues aux ruptures souvent abruptes, qui déjouent tout suspense en alternant silences pesants et pics de tension malaisante sans jamais suggérer le moment précis où le danger survient, ce parti-pris déroutant vole en éclats dans les 5 dernière minutes des 20 que compte ce morceau-fleuve pour une ultime progression qui nous plonge dans l'horreur d'un abîme de cordes grouillantes.

Dans la continuité, A Shut In Place se fait plus cinématique, déployant ses crins déliquescents sur une longue montée en intensité qui se perd un temps dans le fracas d'une tempête de craquements boisés avant de resurgir pour mieux s'évanouir dans le néant. Un flot dense et ininterrompu de sonorités organiques qu'Intimate Geometry viendra finalement mettre à mal en clôture d'album, charriant vague par vague ses fantasmagories anxiogènes faites de bruit blanc, de crissements instrumentaux et de sons trouvés pour mieux jouer avec nos nerfs et les faux-semblants de nos perceptions.


Et si cet hôte du titre, que l'on ne voit jamais vraiment mais dont l'ombre ne cesse de louvoyer aux limites de notre champ de vision, n'était autre que cette psychose qui s'approprie tel un coucou les moindres recoins de notre inconscient quand la raison perd pied ?

Rabbit