lundi 27 mai 2013

Eluvium - Nightmare Ending


Sortie : 14 mai 2013 | Label : Temporary Residence Limited 

Matthew Cooper, l'homme derrière Eluvium, vient d’enrichir son œuvre d’un septième et double album. Trois ans après l’ambient-pop de Similes et le plus drone Static Nocturne, l’américain présente Nightmare Ending, toujours sur Temporary Residence Limited. Mais temporellement, tout n’a pas été si simple. La matière qui constitue cette dernière sortie devait à l’origine représenter la suite de Copia, réalisé en 2007. Ebauches qui furent laissées au repos, puis dont Cooper se rempara pour en livrer une version finale de presque une heure et demie, dense et puissamment troublante. 

Cooper décrit – dans une interview récente - le rapport singulier qu’il a entretenu avec ces morceaux inachevés. Tentant pour une fois de se délester de sa tendance perfectionniste, il s’efforca de tout conserver et d’éviter de se mettre des barrières, à l’image du format pop qu’il s’imposa - et avec lequel il joua - sur Similes. S’ensuit un classement de sa part entre les « imperfections » et les pistes qu’il juge accomplies, qui, s’élevant en généralité, l’emmène jusqu’à la distinction entre réalité et rêverie. C’est par cette réconciliation avec l’imparfait et par le questionnement de cette dualité que s’est construit Nightmare Ending. En découle un objet étoffé et riche de la multiformité que prennent ses différents éléments, sorte de mosaïque liante, piquetée de plages de piano, d’ambient pur, de tonalités romanesques et de froissures agitées. 

Une des forces de ce disque réside dans sa manière d’embrasser des sentiments élégiaques sans risquer de dérive mielleuse. L’écueil a beau roder, Eluvium manie le lyrisme avec délicatesse et les émotions décrites renient le lumineux. Si le dosage se fait avec minutie et que le romantisme n’est pas en reste, c’est bien du spleen dont on évoque les méandres. Un vague à l’âme doucement chatoyant qui hésite entre apercevoir la fin de la souffrance ou envisager la fin elle-même comme un tourment. Telle est l’ambiguïté du titre de l’album.

Eluvium choisit de ne pas placer les deux disques sous des bannières singulièrement différentes. Ainsi la mutation des teintes emprunte des chemins fortuits qui n’ont que faire de cette fracture. Si le début du premier album sculpte de longues vagues atomisées, imprégnant l’ambient de nobles mélodies, la fin paraît plus creusée de détails. Alors que le piano sur Caroling s’affiche seul et narratif, il se fond sur Sleeper au creux d’une boucle engourdie, laissant à penser que sortir de la nuit demandera une patience sereine et résolue.  Le conclusif Evenom Mettle surprend par sa rythmique tout en plissures, auréolée d’échos à la limite du folk. Du deuxième chapitre, plus attachant encore que le premier, s’élèvent en particulier Covered In Writing, dont la beauté de simples nappes étrangle littéralement le cœur lors de l’acmé de leur ascension et qui vaut à lui seul de pénétrer l’album, et Happiness, concentré de pure mélancolie, nimbé de la voix claire de Ira Kaplan, chanteur de Yo La Tengo

Nightmare Ending subjugue par sa capacité à absorber sur toute sa longueur, par la tension entre tendresse et marasme émotionnel qui imprime son déroulement, et par certains instants, dilués, sonnant comme des  pics de sublime.


Manolito


dimanche 26 mai 2013

Witxes - A Fabric Of Beliefs


Date de sortie :  17 mai 2013 | Label : Denovali Records

(((witxes))) sera toujours plus que sa musique. D'apparence ténue, celle-ci empile en fait quantité de strates inaudibles, invisibles, inodores et incolores. Alors que l'on a de prime abord l'impression que quelque chose de chétif se dresse devant nous, on comprend petit à petit que cette enveloppe n'est qu'un leurre, le petit être fragile et malingre qui se construit à la sortie des enceintes se révèle être un gros malabar capable de vous briser d'un simple regard. Dès lors, user d'étiquettes pour circonscrire A Fabric Of Beliefs et par extension (((witxes))) ne leur rend vraiment pas service. "Ambient", "drone", "jazz", "metal", "expérimental", "électronique", autant de mots qui, une fois mis ensemble, ne font naître à la fin et pour beaucoup qu'une seule vision, celle d'un caillou pelé, d'un fragment de bakélite perdu au beau milieu de la masse de galets qui jonchent la plage désolée, un truc triste et introverti qui distille un sentiment proche de l'ennui et au sein duquel rien ne se passe. Le poids des stéréotypes, souvent bien utiles, parfois vraiment réducteurs, toujours figés. Et pourtant un paysage aride peut se révéler bien plus luxuriant qu'une jungle tropicale. Exactement comme Sorcery/Geography, A Fabric Of Beliefs dispense le même venin - le même sortilège ? - et sa musique déborde très largement le cadre délimité par son architecture : ses dimensions intérieures sont bien plus grandes que celles que l'on perçoit à l'extérieur, un peu à la manière d'une petite chambre coincée au rez-de chaussée qui abriterait un espace aussi grand qu'un département. Une distorsion spatiale qui ne cesse d'interloquer car il est bien difficile d'imaginer qu'une telle densité habite des morceaux à ce point secs et dégarnis, que quelques grésillements suffisent à raconter une histoire, qu'un piano atone puisse être si captivant ou que la beauté naîtra de quelques field recordings et d'une nuée de tambours glanés aux quatre coins du monde.

A Fabric Of Beliefs ressemble à s'y méprendre aux coordonnées géographiques enfermées dans sa pochette, une longue fuite en avant ou plutôt une errance qui tangue vers l'est jusqu'à rejoindre l'ouest sans but précis, traversant une multitudes de paysages inscrits dans sa musique, que ce soit par les émotions qu'ils ont suscitées, par l'atmosphère qui y régnait ou par les idées qu'ils ont, par association, convoquées. Ainsi, Through Abraxas décline ses trois volets qui n'ont strictement rien à voir, le I martèle un rythme synthétique qui accompagnerait parfaitement la traversée d'une mégalopole occidentale au cœur de la nuit, le II s'accroche à un grésillement auquel s'additionne une guitare solaire, le tout débouchant sur un fragment de vie capté pourquoi pas dans le Maghreb et le III s'appuie sur des nappes inquiètes rehaussées de tambours tribaux vite rejoints par une guitare fuselée évoquant tour à tour l'Asie et une forêt de béton. En seulement trois morceaux, on est complètement désorienté et pourtant, le voyage ne fait que commencer. Il sera avant tout intérieur. Parce qu'après tout, ses incursions en Afrique ou au fil de la steppe, c'est bien mon cerveau qui les construit et sans doute celui de Maxime Vavasseur ne visait-il pas les mêmes destinations, Abraxas étant polysémique, qu'il soit le nom d'un papillon, d'un démon, d'un ensemble de logements finement architecturé sis à Marne-la-Vallée ou même, encore, d'un titre de Therion. Bref, à chacun de s'approprier A Fabric Of Beliefs et d'en faire le score de ses propres pérégrinations, ce qui montre bien le pouvoir infiniment évocateur de cette musique si subtile et travaillée qu'elle dépasse largement le cadre de l'écoute, nous accompagnant longtemps et partout. On n'écoute plus (((witxes))), c'est lui qui nous suit, il s'insinue pour ne plus nous quitter. Dès lors écouter le disque, c'est partir en voyage et dans le même temps, en contempler le carnet. Errer et dans le même temps interroger le souvenir de cette errance. C'est bien en ça que cette musique dépasse le cadre strict de son écoute.

Et puis surtout, le travail ahurissant derrière les arrangements, encore une fois, impressionne : tout cela s'enchevêtre sans fracture et on ne s'étonne même pas d'entendre un passage ouvertement jazz mêlé à un soubassement glitch (The Pilgrim ou encore le magnifique The Apparel) suivre une attaque de drones inquiets (The Weaver entre autres), eux-mêmes succédant à une ossature plus typiquement électronique dans laquelle se cachent des fragments de metal (The Breach). Et ce piano liquide qui apparaît par intermittence (The Visited) et recouvre d'un voile mystérieux des morceaux en soi déjà bien intrigants. Bref, tout se mélange au même moment et concoure à la grande densité sus-mentionnée. Parce que c'est vrai que lorsqu'on parle de voyage, on pourrait croire que l'on ne parle pas de musique mais c'est précisément en voulant ne parler que de musique que l'on se rend compte que celle-ci n'évoque que le voyage. Fut-il le long de la mappemonde musicale qui, avec (((witxes))), remonte le temps en allant à l'envers du mouvement des continents. A Fabric Of Beliefs reconstitue une Pangée quand, pour beaucoup d'autres disques, y compris d'ambient, celle-ci est complètement fragmentée. En empruntant à tout un tas de styles, Maxime Vavasseur définit et renforce le sien, celui d'une ambient-mais-pas-que voyageuse et ravageuse en permanence sur les frontières. De quoi comprendre en tout cas son obsession pour la géographie et peut-être aussi le choix de ce patronyme parce qu'il faut être un peu sorcière pour tout mélanger ainsi, textures et atmosphères, organique et synthétique, retenue et majesté. De quoi comprendre également la présence de Lawrence English au mastering dont la propre musique partage, en plus de quelques points communs avec celle de (((witxes))), le même paradigme. Deux explorateurs du son et de la narration qui montrent qu'il n'est nul besoin de voix pour raconter quelque chose.

Alors, "Un Tissu De Mensonges" comme le promet le titre ?

Écoutez donc ce qui suit et quand vous serez revenus...

Enfin, si jamais vous en revenez car de cela, rien n'est moins sûr.

Magique.

leoluce

mardi 7 mai 2013

The Ashes Of Piemonte - Winter's Fire


Date de sortie : 17 mars 2013 | Label : Time Released Sound

The Ashes Of Piemonte est la réunion de Wil Bolton et de Lee Norris. Le premier est connu comme co-fondateur du label Boltfish et habitué d’Hibernate et de sa sous-division Rural Colours, tandis que le second répond aux alias de Norken, Nacht Plank ou Metamatics. Les deux s’associent pour un projet qui s’inspire du massacre piémontais d’avril 1655, durant lequel les Catholiques attaquèrent les Vaudois réformés. De cet épisode barbare, les Anglais tirent un disque éthéré, à l’image du souffle qui retombe sur une terre et des corps labourés. L’exigent Time Released Sound, label de Colin Herrick, qui a déjà publié plusieurs sorties de Wil Bolton, se démarque par les écrins artisanaux dans lesquels sont proposés ses disques. Il offre ainsi à Winter’s Fire une édition sous forme d’objet garni de parchemins, tissé de brindilles et scellé à la cire.

Si le climat dépeint ne donne pas dans les errances bucoliques, le duo insuffle une dimension hautement organique, ainsi qu’une douce poussière, à ses errements hantés. Le parcours se fait de la rivière aux collines, le paysage a beau paraître riche, il n’en est pas moins aride, indéfini et plongé dans la grisaille. Pourtant l’écoulement des trames d’ambient revêt une étonnante langueur. Au cœur du magma caressant que constituent les épaisseurs sonores composées par Bolton et Norris s’épanouissent de lentes nuées de guitare, les craquements attendus du feu hivernal et des field-recordings qui se noient avec grâce dans les textures pluvieuses des strates. L’indolent mouvement de l’air s’accompagne parfois d’échos de voix cinématographiques ou de souffles à peine humains, s’enroulant autour d’une boucle. Sur Under The Shadow Of Religion, c’est le piano de  Shintaro Aoki qui escorte avec régularité la guitare et quelques lucioles synthétiques. 

Outre la finesse de la composition et la luxuriance de ce dédale de cendres, on peut s’attarder, plus prosaïquement, sur la beauté des introductions de ces sept morceaux. Durant autant de minutes en moyenne, les enchaînements de l’un à l’autre se font de manière liquide, les drones se soulevant comme autant de masses aériennes et empruntant un méandre nouveau, traversé d’essaims grésillants. Ainsi la structure doucement pulsée du rythme qui achève Under The River se fond dans l’ouverture à la fois aquatique et caverneuse du majestueux Ordained By Winter’s Fire. Dans leur prolongement, Faraway sonne comme la pièce la plus veloutée, la plus magnifiquement sereine de l’album, tandis que les remous gémissants de God On The Hill charrient des lambeaux d’angoisse, replaçant au centre le caractère puissamment embrasé, quoique tout en retenue, de Winter’s Fire

Navigant entre une délicatesse léthargique, pâle et effervescente et une atmosphère sépulcrale, le premier disque de The Ashes Of Piemonte transporte loin. Tout au fond, sous les cendres. 

Manolito