Sortie : 17 juin 2013 | Label : Ad Noiseam
Étonnante est la difficulté de ne plus dire "Hecq" pour s’y référer. Pourtant l’emploi par Ben Lukas Boysen de son nom authentique pour signer son huitième album s’inscrit dans une cohérence, celle de ses dernières œuvres, la bande-originale charbonneuse de Restive et celle, concrète et magnifique, de Mother Nature. En terme de discographie et plus par la densité que par le nombre, Hecq est un peu à l’IDM ce que Sonic Youth est au rock expérimental. Un mastodonte. Une comparaison qui, bien évidemment, s’arrête là, mais c’est pour cette raison que l’on ne se lancera pas dans le détail de son œuvre aujourd’hui. Précisons tout de même que depuis 10 ans, l’Allemand tient le haut du pavé d’une scène électronique allant de l’ambient au breakcore et ajoute à la composition une situation de sound-designer pour des clients commerciaux souvent haut placés. Alors qu’il n’y a pas si longtemps il s’essayait au dubstep gracieusement déchiqueté (Avenger, Enceladus), des disques comme Steeltongued, Bad Karma ou Night Falls (l’innaltérable I Am You) ont fondé la puissance et l’autorité évocatrice de sa musique.
Plus qu’un renouveau, Gravity est un commencement. Plusieurs années furent nécessaires pour en accoucher, et le virage négocié prend la forme d’une épingle. Le mouvement qui s’opère s’apparente au passage de la violence des crevasses à la gravité des souffles, de l’ambient le plus polaire au lyrisme d’un piano, d’une noirceur défragmentée à des flots hiératiques. Impression probablement très personnelle que d’éprouver de grandes variations de dynamique selon les écoutes. Parfois la dimension immatérielle et purement ambient domine, se déployant sur de longues introductions (To The Hills), alors que plus tard, les majestueuses secousses débordent et inondent le cosmos. En réalité les deux pendants cohabitent et structurent Gravity, tout en dispersant pour qui le souhaite une sensation d’équilibre changeant.
Dans le parcours du compositeur, seule Mother Nature pouvait légèrement augurer la matière qui constitue Gravity. Seulement, l’apaisement sensible et l’étoffe néo-classique ne viennent pas seuls, le plus imprévu reste ces irruptions de post-rock, qui se dessinent en longs courants progressifs puis explosent en parois vrombissantes et architecturales. Le morceau Gravity fonde cette structure, développant d’abord une mélodie en eaux profondes, puis peu à peu, le cheminement bouleversant des notes de piano les amène à s’affermir, s’élever, puis voltiger littéralement lorsqu’un socle de noise s’en empare. Fait de nuages de drums, de froissures élastiques et de raz-de-marée, le diptyque Nocturne 1 et 2 modèle une fibre particulière, à la fois épique et tendre, qui se distille au gré des huit titres. La substance de cet album intègre un travail orchestral qui sonne comme mille morceaux de crépuscule, des instants de violence beaux à s’esquinter les nerfs, et une épaisseur de tristesse qui, si on n’y prend pas garde, vous plonge des boules de plomb dans l’estomac.
Cela faisait un moment que Ad Noiseam n’avait pas sorti un objet d’une telle trempe émotionnelle. Et au-delà du sensible, Gravity se révèle formellement comme une splendeur. Quant à Ben Lukas Boysen, on peut dire qu’il ne s’est jamais révélé si humain.
Manolito
Merci pour cette belle chronique d'un album sublime.
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