mardi 22 mai 2012

Big Epoch & Gothic Cholo - Double Reserve


Date de sortie : 24 avril 2012 | Label : I Had An Accident Records

Le Bostonien FRKSE aka Rajbot, avec les instrus singuliers de son éponyme de 2010 complété l'an dernier puis réédité par I Had An Accident Records nous avait déjà donnés une bonne idée de ce à quoi pouvait ressembler le hip-hop du côté du label de Julia LaDense et Justin Bieler : un gigantesque bac à gravats pour terrassiers d'une noise massive et concassée, un assemblage hétéroclite de beats oppressants et de drones mystiques volontairement sous-produit et résolument belliqueux. Big Epoch, alias Ichae Ackso ou Stephen Umana pour les intimes, nous vient quant à lui de Californie, Lakewood pour être précis, et si l'on en sait encore moins sur son parcours en dehors du split Realife qui télescopait déjà le temps d'un duo avec la patronne en personne drones élégiaques et hip-hop déstructuré au flow vicieux, l'ambition radicale dont il fait preuve sur ce Double Reserve n'a rien à envier à celle de son homologue de la côte Est.

Car le flow, ici, a quasiment disparu, trituré et distordu jusqu'à l'abstraction lorsqu'il refait surface par intermittence, et c'est à un véritable trip sous psychotropes que nous convient chacun à leur tour les deux longs instrumentaux hallucinés qui constituent l'album, subdivisés en une multitude de mouvements sans titre inextricablement imbriqués. Au programme, 28 minutes très exactement sur chaque face pour deux labyrinthes opiacés où se télescopent beats rocailleux et drones cosmiques, ambient post-industrielle et noise hypnotique, percussions tribales et transe chamanique, enregistrements de terrain et impros synthétiques, hurlements étouffés et monologues cinématiques... entre autres.

Avec l'aide du mystérieux Gothic Cholo, expert semble-t-il en manipulations analogiques, l'Américain s'en donne ainsi à cœur-joie dans un exercice de collage drogué aux vertus inattendues, à l'image de cette capiteuse ballade psychédélique prise d'assaut par des beats mastodontiques en bout d'une face A au titre évocateur (Face It, Nobody Loves You And You’re Going To Die Alone) ou de ces nébuleux enchevêtrements d'oscillations stridentes qui tissent leur toile spectrale sur fond de pulsations élastiques en début de face B, puis s'effacent devant d'étranges miaulements martiens avant de revenir en force sous la forme d'une déferlante de bruit statique doublée de chœurs mystiques, condamnés eux-mêmes à s'échouer sur un sinistre écueil de synthés saturés :


C'est comme cela que s'ouvre Scheele's Green, poursuivant sur un affrontement entre la douce sérénade d'une guitare acoustique et un mitraillage hésitant de distorsions et de pics de saturation, les synthés refaisant ensuite surface, tel un leitmotiv entre deux portions de cette fantasmagorie aux allures d'ivresse peyotlique qui semble ne jamais devoir s'arrêter. Ce qu'elle fera pourtant après s'être aventurée dans les méandres successifs d'un blues lynchien, d'un champ de modulations stellaires et finalement d'un désert doom pour âmes damnées, sans jamais déroger à cette mystérieuse et paradoxale cohérence qui n'est autre que celle des rêves ou des cauchemars, animés par leur logique propre qui échappe à tout contrôle et parfois même à toute interprétation.

Voilà pour notre tentative fatalement vouée à l'échec de décrire l'univers de Big Epoch, et désormais c'est devant de l'auditeur que se dressent pas moins de trois obstacles à franchir pour pouvoir profiter pleinement de ce coup de maître. D'abord renoncer au format CD, du côté du label d'Annapolis tout se passe sur cassettes, artwork DIY à l'appui et téléchargement en prime pour ceux qui auraient mis leur vieux walkman au clou. Ensuite, aller farfouiller du côté du distributeur Nord-Carolinien Tomantosa Records, seul endroit au monde où se procurer les quelques rescapés de cette sortie ultra-limitée. Et enfin, oublier toute idée que l'on peut se faire du hip-hop instrumental, du drone, de la noise et de tout ce qu'il peut bien y avoir à la croisée de ces trois pôles déjà naturellement flous et fluctuants. Car Double Reserve ne ressemble pour ainsi dire à rien de connu, et là est bien la raison du plaisir que l'on a pu prendre à essayer, même maladroitement et sans grand espoir de réussite, de vous en faire partager la teneur par notre modeste prose.

Rabbit

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