Pour une fois, on commencera par la fin : Half Blood est un disque qui marquera durablement l'année 2012 et très probablement un bon paquet d'autres après elle, disons... au moins jusqu'à la sortie de son successeur !
Non pas qu'il soit extrêmement différent des albums précédents de Jenks Miller, en particulier de The Invisible Moutain initialement paru chez Utech Records en 2009 qui, fidèle à son credo, n'en avait tiré que 500 exemplaires. Une première carrière d'album culte qu'il a heureusement fini par quitter l'année suivante lorsqu'il s'est retrouvé propulsé sur les devants de la scène à la faveur d'une réédition chez Relapse. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ainsi confronté aux oreilles d'une audience plus large, Horseback a beaucoup séduit. C'est évidemment bien mérité car pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore Jenks Miller, on résumera le travail de ce dernier à des morceaux arides et désertiques, fortement psychédéliques et très largement hypnotiques sur lesquels plane une voix que l'on n'attend pas : étranglée, maltraitée, elle prend la forme d'un growl profond et continu qui tranche avec la luminosité des instrumentaux répétitifs et abstraits qui la portent. Et alors que l'on pense être face à un Earth un poil moins décharné, on se retrouve également confronté aux idées noires et aux fulgurances morbides d'un Xasthur qui préfèrerait toutefois le soleil à la nuit : voilà une étrange hétéroglossie, le mélange ne va absolument pas de soi et fonctionne pourtant parfaitement. D'autant plus que sur Half Blood, Horseback atteint une maîtrise proprement confondante et rend accessible l'inaccessible, ce que l'on ne manquera probablement pas de lui reprocher.
On notera d'abord que les cris asphyxiés de la voix sont cette fois-ci bien en avant et non plus cachés dans le mix, à la même hauteur que les instruments dont ils faisaient jusqu'ici partie intégrante et il est tout à fait étonnant d'entendre ces quelques growls murmurés au creux de l'oreille comme ils peuvent l'être tout au long d'Hallucigenia I : Hermetic Gifts par exemple, première partie d'un triptyque impressionnant qui se développe sur des minutes de plus en plus nombreuse alors même que les mots deviennent de moins en moins présents, jusqu'à disparaître complètement. Un triptyque qui débute par cette entame southern rock presque tranquille où l'on se retrouve bercé par les cris chuchotés de Jenks Miller, immédiatement suivie d'un développement strictement instrumental et expérimental porté par des drones biscornus et synthétiques d'où ne s'échappent que quelques notes de guitares abstraites et des larsens inquiets, lesquels amènent lentement vers un long épilogue qui amalgame ces deux premières parties dans une sorte de transe psychédélique à tel point enveloppante qu'elle nous laisse bien orphelin quand elle se tait. Un triptyque qui dure une vingtaine de minutes, paraît en durer cent et passe paradoxalement très vite car Horseback n' a pas son pareil pour plier notre perception du temps par ses motifs répétitifs de guitare, ses claviers tour à tour tourbillonnants et ténus et ses percussions sèches. Le psychédélisme n'avait jamais encore été poussé aussi loin par la formation.
Bien sûr, Horseback conserve sa science de la posologie millimétrée, amalgame toujours son ossature typiquement stoner avec des tapis de drone, un zeste de noise associé aux accents post-rock. Un titre comme Mithras peut en témoigner, dynamique et circulaire, porté par le trio guitare-basse-claviers faisant jeu égal avec la voix maltraitée, le tout constituant presque un Horseback prototypique car tout l'ADN du projet se trouve là, à la fois lourd et léger, gras et aéré, rugueux et fuselé, attirant tout autant que repoussant et alors que l'on se perd dans les adjectifs que l'on fini par abandonner de toute façon au profit d'une écoute moins cérébrale, le morceau nous propulse en plein désert sous un soleil de plomb sans que l'on s'en rende bien compte : la transe, doucement, nous habite, les derniers repères s'effacent en même temps que le titre s'achève et nous voilà prêts pour vivre la suite. C'est que les mantras métalliques de Jenks Miller sont du genre enveloppants. Parfaitement incompréhensibles, on ne saisit plus les mots, on les écoute simplement et avec eux, toute le maelström musical qui les accompagne. Le cocon musical peut bien faire ce qu'il veut, verser dans l'expérimentation la plus abstraite, balancer des drones costauds, Jenks Miller expulser par la gorge ses poumons, loin de sa cage thoracique, tout passe, tout s'accroche, tout sait trouver une écoute attentive : le southern rock transcendé par le black metal, le post-rock rongé par le psychédélisme, les lignes de fuite contenues dans une progression circulaire, les mélodies lumineuses salies par des poussières abstraites. Half Blood est tout à la fois accessible et expérimental.
Alors bien sûr, les gardiens du temple de tout poil ne manqueront pas de balancer quelques flèches assassines : ce n'est pas du black, ce n'est même pas du metal, pas plus que du post-je ne sais quoi et en même temps, ça l'est beaucoup trop, pas assez carnassier, trop lisse, trop abrupt, trop gentil, trop agressif et cætera. Mais on sait bien que tout ça n'a aucune importance comme on sait que rendre attirante une musique aussi tarabiscotée demande une bonne dose de talent, ce dont ne manque assurément pas Jenks Miller. Jamais les accents southern rock n'avaient été aussi marqués, le psychédélisme prend une part de plus en plus importante et les cris, loin d'être abandonnés, sont même poussés en avant : avec Half Blood, Horseback pousse son caractère singulier au maximum, ses ingrédients atteignent leur paroxysme et bien qu'étirée ainsi à l'extrême, sa musique ne casse pas et demeure parfaitement cohérente. Et surtout, profondément mélancolique. Le disque, là aussi, ose les contrastes, arbore une teinte claire-obscure et si les compositions montrent parfois un visage moins tourmenté, le propos reste tout de même complètement noir sans toutefois atteindre des abîmes de désespérance. On le voit, rien ici n'est facile mais rien non plus n'est abscons. Cette musique est exigeante mais pas inhospitalière et c'est bien pour cela que l'on s'y sent bien. Porté par la sortie quelques semaines plus tôt d'On The Eclipse EP dont il poursuit la voie faussement apaisée, Half Blood n'amène finalement qu'un seul commentaire : c'est bien simple, il vous faudra les deux.
Pour terminer, parce qu'on sait bien qu'un extrait vaudra toujours mieux qu'un long discours, je ne saurais trop vous conseiller de jeter une oreille sur Ahriman, échantillon représentatif de l'ensemble qui montre parfaitement bien le paradigme actuel d'Horseback : une transe ambiguë, ouatée mais parsemée d'échardes soniques qui laissent la peau intacte mais s'attaquent profondément au cortex, nous assaillant d'émotions contradictoires qu'il est bien difficile de décrypter. Le goût des grands espaces et celui de l'enfermement. La volonté de ne céder sous aucun prétexte, cette musique restant avant tout intransigeante, tout en restant compréhensive et accueillante. Un titre qui montre surtout le niveau atteint et le degré de psychédélisme, lequel, à tel point déviant, plombé et singulier, nous propulse à la fois au-dessus des nuages, là où le soleil est le plus chaud et nous enfonce dans la roche, au plus près des forces telluriques qui contribuent largement à la dynamique interne de ces morceaux sauvages. Avec Half Blood, Horseback a-t-il commis son chef-d'œuvre ? Certainement et même si tel n'était pas le cas, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il s'en rapproche dangereusement.
Magnifique.
Et pour celles et ceux qui voudraient aller plus loin que cet extrait, l'album est disponible sur la page bandcamp d'Horseback.
leoluce
Alors bien sûr, les gardiens du temple de tout poil ne manqueront pas de balancer quelques flèches assassines : ce n'est pas du black, ce n'est même pas du metal, pas plus que du post-je ne sais quoi et en même temps, ça l'est beaucoup trop, pas assez carnassier, trop lisse, trop abrupt, trop gentil, trop agressif et cætera. Mais on sait bien que tout ça n'a aucune importance comme on sait que rendre attirante une musique aussi tarabiscotée demande une bonne dose de talent, ce dont ne manque assurément pas Jenks Miller. Jamais les accents southern rock n'avaient été aussi marqués, le psychédélisme prend une part de plus en plus importante et les cris, loin d'être abandonnés, sont même poussés en avant : avec Half Blood, Horseback pousse son caractère singulier au maximum, ses ingrédients atteignent leur paroxysme et bien qu'étirée ainsi à l'extrême, sa musique ne casse pas et demeure parfaitement cohérente. Et surtout, profondément mélancolique. Le disque, là aussi, ose les contrastes, arbore une teinte claire-obscure et si les compositions montrent parfois un visage moins tourmenté, le propos reste tout de même complètement noir sans toutefois atteindre des abîmes de désespérance. On le voit, rien ici n'est facile mais rien non plus n'est abscons. Cette musique est exigeante mais pas inhospitalière et c'est bien pour cela que l'on s'y sent bien. Porté par la sortie quelques semaines plus tôt d'On The Eclipse EP dont il poursuit la voie faussement apaisée, Half Blood n'amène finalement qu'un seul commentaire : c'est bien simple, il vous faudra les deux.
Pour terminer, parce qu'on sait bien qu'un extrait vaudra toujours mieux qu'un long discours, je ne saurais trop vous conseiller de jeter une oreille sur Ahriman, échantillon représentatif de l'ensemble qui montre parfaitement bien le paradigme actuel d'Horseback : une transe ambiguë, ouatée mais parsemée d'échardes soniques qui laissent la peau intacte mais s'attaquent profondément au cortex, nous assaillant d'émotions contradictoires qu'il est bien difficile de décrypter. Le goût des grands espaces et celui de l'enfermement. La volonté de ne céder sous aucun prétexte, cette musique restant avant tout intransigeante, tout en restant compréhensive et accueillante. Un titre qui montre surtout le niveau atteint et le degré de psychédélisme, lequel, à tel point déviant, plombé et singulier, nous propulse à la fois au-dessus des nuages, là où le soleil est le plus chaud et nous enfonce dans la roche, au plus près des forces telluriques qui contribuent largement à la dynamique interne de ces morceaux sauvages. Avec Half Blood, Horseback a-t-il commis son chef-d'œuvre ? Certainement et même si tel n'était pas le cas, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il s'en rapproche dangereusement.
Magnifique.
Et pour celles et ceux qui voudraient aller plus loin que cet extrait, l'album est disponible sur la page bandcamp d'Horseback.
leoluce
Cet album est vraiment terrible!! Il a quelque chose de gothique... Comme si un vampire voulait m'hypnotiser avant de me croquer!!
RépondreSupprimerJ'adore.