mardi 4 décembre 2012

Interview from the heart of darkness : 8/ Stolearm


Quand il ne mène pas la barque toute de bric et de broc de son netlabel Linge Records, dont on suit avec intérêt et le sourire aux lèvres depuis sa toute première référence en 2010 les tours de machine à délaver les textiles synth-pop et noise-rock trop proprets à coups de fusions truculentes et barrées, c'est en tant que Lühje Dallage que l'ex Lyonnais et désormais Montpelliérain Lucien Dell Eglio électrise l'indus et la new wave d'ici avec son projet Stolearm. A quelques semaines de la sortie de Glasslight Schwarzfaçade, successeur attendu de Marbles And Pearls qui compilait lui-même en libre téléchargement les face-B et remixes ovniesques du sombre et décadent An Index Of Failure avec des influences allant de la synth-pop au shoegaze en passant par le dub ou l'ambient, Lühje nous éclaire avec la passion des vrais écorchés sur ce qui inspire et façonne son univers, dépositaire d'un romantisme dark en voie d'extinction.




L'interview

Des Cendres à la Cave : Que trouve-t-on dans ta cave - ou dans l'endroit où ta musique prend corps ?

Lühje Dallage : Beaucoup de cassettes enregistrées (avec conneries vocales, sons, albums), des CD-r sans nom et sans boîtier, du café, des bonbons, plein de papiers, des cartons accrochés aux murs, un Yamaha DX7 et un vieux Casio SK-1 sur lequel j’ai connu mes premiers émois électroniques.

DCALC : Si tu devais associer ton morceau à une image, quelle serait-elle ?

Lühje Dallage : Deux personnes qui attendent le bus digital, les mains rougies par le froid, se goinfrant de réglisse en spirale. On sait pas si ils sont extrêmement heureux ou désespérément tristes. En tout cas, y'a des fantômes derrière tout ça.

DCALC : Ton nouvel album Glasslight Schwarzfaçade doit sortir dans quelques semaines, avec une approche plus frontale et mélodique, presque "pop". Quelles ont été tes sources d'inspiration pour ce disque ?

Lühje : Concernant la musique, 3 ou 4 morceaux ont été composés pendant mes 3 ans à Lyon, juste après la composition du LP Index Of Failures, et tout le reste de l'album a été fait les 2 dernières années à Montpellier.
L’album est très influencé par des images : celles de la ville en hiver où tout le monde trace sa route dans le froid, contemple et ferme sa gueule, la lumière solaire de cette saison. Il est également influencé par beaucoup de rêves que j’ai faits (dans lesquels de la musique émergeait que j'ai pu noter au réveil), et par des gens.
Je ne sais pas si cela va s’entendre, mais durant les 2 dernières années, j’ai énormément écouté quelques albums de groupes que je n’aimais pas plus que ça avant, et dont je suis à présent entiché : Force et To Each de A Certain Ratio, Gang Of Four avec Entertainment. Autrement, il y a aussi Seefeel, les 3 derniers albums de Gary Numan, Pygmalion de Slowdive et Spirit Of Eden de Talk Talk. Bref que du vieux, je suis en retard, et pressé d’être dans 10 ans pour découvrir les années post 2000 !


Pour le coté pop et frontal, c’est surtout que j’avais envie de faire un album plus clair et lisible, envisagé comme « album » dès le début de la production, avec un peu plus de place accordée à la voix. C’est la première fois que je fais vraiment ça.

DCALC : "Romantique" et "crépusculaire" sont les deux adjectifs qui nous viennent immédiatement à l'esprit à l'écoute de ta musique en tant que Stolearm. As-tu l'impression que le romantisme est moribond, en musique ou dans la société ?

Lühje : Le romantisme maintenant, c'est la Saint Valentin et le dîner aux chandelles, quoi. Cette question va peut-être un peu trop loin pour moi. Peut-être qu'il est de plus en plus moribond, car il est écrasé par tous les flux qu’on subit, surtout quand on habite en ville : pub, Internet, au boulot... on est obligé d’aller bien tout le temps, alors qu'on galère, on nous laisse aucun temps pour profiter, réfléchir et apprécier, même les plus délicieuses « souffrances » (romantiques). Ça va avec le fait que pas mal de gens veulent tout, tout de suite, une solution immédiate à tel problème, faire tout comme tout le monde, trouver des explications rationnelles à tout, etc. La musique, elle, permet d'en faire un concentré, d’immobiliser ce moment où cet espèce de post-romantisme est à son paroxysme.
Sinon c’est marrant, tu dis "crépusculaire", pourtant le dernier album à été composé presque tout le temps en début de matinée ou en début d’après-midi, j'ai des images très lumineuses en tête.


DCALC : On rapproche naturellement ton univers de l'indus et de la cold wave, quel rapport entretiens-tu avec ces deux mouvements en tant qu'auditeur ?

Lühje : Ça m'énerve pas mal car ces genres ont souvent été enterrés dans des vilains placards gothiques sectaires, mais statistiquement c’est vrai que j'en écoute beaucoup. Depuis que je suis gamin, j’avais des cassettes et des vinyles de ce genre de trucs qui traînaient dans la bibliothèque de mon père, et ça me terrorisait et me fascinait à l’époque. Cabaret Voltaire, The Residents (en jouant aux legos), The Cure, Eyeless In Gaza, il y avait même Closer de Joy Division enregistré dans le désordre sur une cassette, vitesse ralentie, tout ça c'est des artistes qui ont sûrement formé mes goûts, peut-être parce que c’est rattaché à des bons souvenirs insouciants. Ou alors c’est peut-être tout simplement à cause des synthés, de la recherche sonore autre que acoustique, des climats et des voix assez étranges.
Même si ça fait partie d’une grosse tranche du camembert, je pense vraiment écouter de tout, ça serait trop glauque sinon. En ce moment je me sens attiré par la musique Gnawa, Funk et Brit-pop FM vide-tête.

DCALC : Difficile de ne pas aborder le sujet de ton label Linge Records, qui semble très attaché à l'éthique DIY et s'emploie à mettre en avant des musiques singulières voire incongrues avec autant de sincérité que d'humour décalé. Vois-tu Linge come une sorte de collectif ? Quelles valeurs et quelles influences ses artistes partagent-ils ?

Lühje : J'allais t'en parler, par rapport à l'indus et le sujet d'avant. Sur le label on a un mec excellent, Tape 300, qui se définit comme de "l'indus rigolo". Je trouve que ça résume bien Linge Records. Ce genre avec une fanbase assez "sérieuse" mérite d'être décoincé avec un iconoclasme potache tel que celui de Tape 300.


Pour revenir au label, il s'agit bien d'un collectif mélangeant arts plastiques, performance et son/musique. On est intéressé par le côté humain de la musique, ses failles et ses belles erreurs, autant dans la dance autotunée, que les musiques orientales, rock indé, ambient, ou power electronics. On se concentre surtout sur le côté conceptuel et ludique, et on veut rassembler le maximum de groupes qui sonneraient à la fois accrocheurs et hyper-déroutants pour un individu lambda (on pourrait dire pop / expérimental ?). En fait, on essaie de se réapproprier, valoriser, faire lumière sur les musiques délaissées et pourtant pleines de charmes, de genres et d'horizons totalement étrangers et qui pourtant forment un tout cohérent et réjouissant. Au final, il doit y avoir une politique spécialement Linge Recordesque, on a surtout besoin de désacraliser des choses, d'aller à contre-courant de tout ce qu'on voit, contre les trucs formatés et consensuels. Bref, "à refaire" !

DCALC : Tes performances live sont très physiques, quelle est ton principal "objectif" quand tu montes sur scène ?

Lühje : L’objectif c’est surtout de prendre du plaisir à jouer, et que les gens ne s’emmerdent pas et bougent. De toute manière, les gens s’en foutent d’écouter de la musique, tout ce qu'ils veulent c’est des claques dans la gueule ! Et boire des bières avec les copains ! On a des connaissances qui n’aiment pas Stolearm sur disque, c’est pas leur truc du tout, pourtant ils viennent au concerts car ils aiment la performance.


Et puis nous aussi on aime s'éclater comme si c'était le dernier concert, et pour que les gens ne soient pas venus pour rien.
Il y aussi un échange physique très motivant avec le public et je trouve ça aussi normal, cet aspect, car c’est une musique souvent composée assis sur une chaise en buvant un truc, avec des câbles à brancher, des fichiers à sauvegarder, des machines à programmer. Et quand on joue ça en concert, ça prend forme. De plus, on bosse sur scène avec des machines qui ont beaucoup de paramètres imprévisibles et qui menacent de planter à tout moment. En fait, ce danger donne vraiment des impulsions d’adrénaline (tout comme le fait que tu risques aussi de te casser la gueule ou de te fouler la cheville.)


DCALC : Ta veillée de fin du monde, tu comptes la passer comment ?

Lühje : Excellent, cette vision de « fin du monde » chronométrée, j’y ai refléchi déjà : attentat sonore, ou avec 4 ou 5 bons amis seulement à boire des coups en écoutant des bons disques, ou seul dans une chambre anéchoïque. Je sais pas. Ce qui est sûr c’est que ça va être drôle, à force d’y croire et même pour déconner, des gens vont vraiment péter les plombs !

DCALC : Et si on en réchappe, quels sont tes plans pour 2013 ?

Lühje : Tourner avec le groupe au complet (à 4, guitare / basse / batterie / machines) qui sont avant tout des amis géniaux. Voir le maximum de gens, sortir en version physique (CD, vinyle) ce foutu nouvel album (entre décembre 2012 et mars 2013), trouver un label intéressé et intéressant.



Le cadeau de Stolearm


Le morceau que Stolearm a concocté pour notre compilation et qui apparaîtra sur sa première partie (car il y en a plusieurs... voilà, c'est dit !) s'intitule Pallid Leftovers. Mais en attendant, c'est un certain Draws My Love que nous livre le musicien en avant-première, extrait de l'EP Snake And Windmills en collaboration avec une dénommée Cécile Raynaud aka Drunken C que Stolearm nous annonce très varié, "entre shoegaze, ambient psychédélique et indus noise". En témoigne ce titre particulièrement prometteur qui confronte romantisme goth, rythmiques percutantes et arrangements nébuleux, quelque part à la croisée de NIN et du Garbage de la grande époque :
 



Quelques liens

- le site officiel de Stolearm
- l'album Marbles And Pearls commenté sur IRM
- Linge Records sur IRM / Bandcamp / Facebook



Propos recueillis par Rabbit / Crédit photo : Nathalie Sicard

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