Date de sortie : 08 octobre 2012 | Label : M&O Music
Un torrent amer d'ondes noires
dégueule des enceintes. Chrysalis n'a encore que quelques secondes mais
il n’en faut pas plus à Meliora pour poser ses mains froides autour de notre cou. Et
rétrécir son étreinte. Les morceaux se succèdent et l’asphyxie, à chaque fois,
gagne du terrain. Un passage à tabac. Au ralenti. Il arrive également qu’Eryn
Non Dae ménage quelques pauses et revête un masque ambient non moins inquiétant. Parfois, aussi, tout s’accélère. La batterie sort de ses gonds, les
guitares se superposent et balancent des soli véritablement tordus. Et puis ce cri en
permanence terrassant. Un grunt qui attaque les tympans et fout la pétoche.
Tout est sale, tout est noir et les maigres aérations distillées ça et là au
cœur de l’édifice ne suffisent pas à recouvrer son souffle. Sans concession et
jusqu’au-boutiste, Eryn Non Dae donne l’impression d’avancer tout nu et de
n’avoir aucune limite. L’odeur du souffre. Le nauséabond. Et paradoxalement, un
sens de la composition impressionnant. Un vrai talent pour faire naître une
ambiance et ne jamais en dévier alors qu’au final, les morceaux sont des plus
variés. Meliora ne se contente pas de balancer des pains à tout-va, ce qui
pourrait être salement fatigant, il sait également faire preuve d’une hostilité
bien plus larvée, moins frontale certes mais toujours présente, qui peut
prendre la forme de nappes majestueuses mais plombées ou de passages presque
tranquilles où le groupe explore les voies d’une musique enfin apaisée :
la voix devient claire, les baguettes laissent la place aux balais et les
doigts ne font plus qu’effleurer les cordes. Mais même dans ces moments-là, le groupe n’oublie pas pour
autant de maintenir son étreinte.
Suffoquant et labyrinthique, la
construction du disque montre qu’Eryn Non Dae n’aime pas le hasard et encore
moins les accidents. On sent bien à quel point tout a été pesé, millimétré et
dosé. On imagine sans peine les heures de répétitions pour arriver à un tel
résultat : une architecture monolithique mais mouvante. Et c’est bien là
que Meliora passionne. Par les multiples niveaux d’écoute qu’il offre aux
auditeurs. À ceux qui ne retiennent d’un disque que son ambiance, celle-ci est du
genre typée : noire, on l’a déjà dit, lourde et légèrement nauséeuse. Aux
amoureux du détail, une écoute attentive des arrangements qui sous-tendent le
flot de boue suffira à flanquer une bonne migraine : des breaks
improbables, des riffs alambiqués, des rythmes qui le sont tout autant et
nombre de textures qui se déploient de la dentelle au béton armé. Un vrai
disque complexe qui n’a pourtant que faire de sa complexité. Celle-ci n’est
qu’un moyen, jamais une fin. À aucun moment Eryn Non Dae n’œuvre dans la
démonstration car ce n’est pas là que se situe, pour lui, l’important. Pour
autant, celui-ci n’a pas non plus de message. Meliora n’est pas un disque
concept. Juste le résultat de ce que donne la réunion des cinq membres
du groupe lorsqu’ils se retrouvent dans le même espace avec des instruments. Une
osmose se crée et aboutit à cette masse sonore tout autant distincte
qu’indistincte, hermétique qu’aérée, monolithique que variée. Personne ne
triche ou ne fait semblant, tout le monde amène avec lui ses idées noires, ses
fantômes et ses démons jusqu'ici contenus et bien contents de trouver dans les décibels
un média pour enfin s’exprimer, ou du moins se montrer.
Au nombre de sept exactement,
tous les morceaux sont longs et en mouvement : l’introduction patraque et
zébrée de giclées acides de Chrysalis laisse vite la place à une dynamique
alambiquée avec basse en avant et batterie véloce, la voix expulse ses cris à
s’en rompre l’œsophage et les guitares ajoutent quelques tonnes supplémentaires à
la lourdeur de l’ensemble par un subtil jeu de riffs hachés et contondants. Puis
tout se calme et quelques mots déclamés succèdent au grunt cathartique. Et la
furie à nouveau. Elle reprend le dessus et rompt avec l’architecture nouvelle de The Great
Downfall, morceau à la violence tapie derrière les hautes herbes. Moins visible
mais toujours là. Plus loin, Muto multiplie les équations au sein d’une
rythmique aux changements de directions incessants. À en donner le tournis. Un
métal de derviches tourneurs. Un cyclone naît des enceintes et emporte tout
l’air avec lui et nous laisse là, toujours plus près de l’asphyxie. Inutile de
détailler plus avant, aucun morceau n’est au-dessous des autres et tous
impressionnent, jusqu’au dernier souffle d’un Hidden Lotus qui explore
lui-aussi la voie du silence et de l’apaisement après un déchaînement
proprement ahurissant où toutes les notes sont jouées avec cette énergie propre
à ceux qui se demandent en permanence si elles ne seront pas les dernières.
Et à une musique extrêmement dense succède un silence lourd. Lui aussi extrêmement. Un disque pachydermique capable d’une grande légèreté et d'une fluidité
remarquable. C’est très fort cette dynamique calme-vent-tempête-mer d’huile
sans qu’à aucun moment l’un ou l’autre ne préfigure ce qui vient. C'est que la musique
d’Eryn Non Dae est en permanence inattendue.
Il faut dire aussi que ces Toulousains n’en sont pas à leur coup d’essai. Le précédent était déjà impressionnant et
surtout, excusez la gageure, bien plus noir et suffoquant. Pour autant Meliora
est loin d’être un infléchissement. En revanche, il ose montrer sa subtilité là
où, bien que déjà présente, elle était bien planquée derrière une noirceur qui submergeait Hydra Lernaïa jusqu'à le recouvrir complètement. Une noirceur à tel point atavique qu'elle n'a pas quitté le groupe mais qui est bien plus nuancée, plus construite, plus distillée. Et donc plus dense. Et c'est bien en le comparant aux quelques rais de lumière qui parsèment le disque que l'on se rend compte à quel point ce noir est abyssal. Et décuplé par ce son modelé, sculpté et dompté empruntant un peu à tout ce qui se fait de plus agressif et inquiétant : du métal, certes mais bien difficile à étiqueter. Très technique mais jamais stérile, légèrement post, légèrement black, un peu tout cela à la fois mais avant tout viscéralement sombre sans être ni dépressif ni nihiliste. Un métal qui exhibe ses idées noires et ses émotions. Des idées et des émotions qui sont aussi les nôtres et qui résonnent en écho à Meliora dès que ce dernier rejoint la platine et que l'on s'accapare le suaire flou de sa pochette.
Bien plus qu'un suaire, un miroir.
Bien plus qu'un disque, un révélateur.
Impressionnant.
Bien plus qu'un suaire, un miroir.
Bien plus qu'un disque, un révélateur.
Impressionnant.
leoluce
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