dimanche 13 janvier 2013

Eryn Non Dae - Meliora


Date de sortie : 08 octobre 2012 | Label : M&O Music

Un torrent amer d'ondes noires dégueule des enceintes. Chrysalis n'a encore que quelques secondes mais il n’en faut pas plus à Meliora pour poser ses mains froides autour de notre cou. Et rétrécir son étreinte. Les morceaux se succèdent et l’asphyxie, à chaque fois, gagne du terrain. Un passage à tabac. Au ralenti. Il arrive également qu’Eryn Non Dae ménage quelques pauses et revête un masque ambient non moins inquiétant. Parfois, aussi, tout s’accélère. La batterie sort de ses gonds, les guitares se superposent et balancent des soli véritablement tordus. Et puis ce cri en permanence terrassant. Un grunt qui attaque les tympans et fout la pétoche. Tout est sale, tout est noir et les maigres aérations distillées ça et là au cœur de l’édifice ne suffisent pas à recouvrer son souffle. Sans concession et jusqu’au-boutiste, Eryn Non Dae donne l’impression d’avancer tout nu et de n’avoir aucune limite. L’odeur du souffre. Le nauséabond. Et paradoxalement, un sens de la composition impressionnant. Un vrai talent pour faire naître une ambiance et ne jamais en dévier alors qu’au final, les morceaux sont des plus variés. Meliora ne se contente pas de balancer des pains à tout-va, ce qui pourrait être salement fatigant, il sait également faire preuve d’une hostilité bien plus larvée, moins frontale certes mais toujours présente, qui peut prendre la forme de nappes majestueuses mais plombées ou de passages presque tranquilles où le groupe explore les voies d’une musique enfin apaisée : la voix devient claire, les baguettes laissent la place aux balais et les doigts ne font plus qu’effleurer les cordes. Mais même dans ces moments-là, le groupe n’oublie pas pour autant de maintenir son étreinte.

Suffoquant et labyrinthique, la construction du disque montre qu’Eryn Non Dae n’aime pas le hasard et encore moins les accidents. On sent bien à quel point tout a été pesé, millimétré et dosé. On imagine sans peine les heures de répétitions pour arriver à un tel résultat : une architecture monolithique mais mouvante. Et c’est bien là que Meliora passionne. Par les multiples niveaux d’écoute qu’il offre aux auditeurs. À ceux qui ne retiennent d’un disque que son ambiance, celle-ci est du genre typée : noire, on l’a déjà dit, lourde et légèrement nauséeuse. Aux amoureux du détail, une écoute attentive des arrangements qui sous-tendent le flot de boue suffira à flanquer une bonne migraine : des breaks improbables, des riffs alambiqués, des rythmes qui le sont tout autant et nombre de textures qui se déploient de la dentelle au béton armé. Un vrai disque complexe qui n’a pourtant que faire de sa complexité. Celle-ci n’est qu’un moyen, jamais une fin. À aucun moment Eryn Non Dae n’œuvre dans la démonstration car ce n’est pas là que se situe, pour lui, l’important. Pour autant, celui-ci n’a pas non plus de message. Meliora n’est pas un disque concept. Juste le résultat de ce que donne la réunion des cinq membres du groupe lorsqu’ils se retrouvent dans le même espace avec des instruments. Une osmose se crée et aboutit à cette masse sonore tout autant distincte qu’indistincte, hermétique qu’aérée, monolithique que variée. Personne ne triche ou ne fait semblant, tout le monde amène avec lui ses idées noires, ses fantômes et ses démons jusqu'ici contenus et bien contents de trouver dans les décibels un média pour enfin s’exprimer, ou du moins se montrer.

Au nombre de sept exactement, tous les morceaux sont longs et en mouvement : l’introduction patraque et zébrée de giclées acides de Chrysalis laisse vite la place à une dynamique alambiquée avec basse en avant et batterie véloce, la voix expulse ses cris à s’en rompre l’œsophage et les guitares ajoutent quelques tonnes supplémentaires à la lourdeur de l’ensemble par un subtil jeu de riffs hachés et contondants. Puis tout se calme et quelques mots déclamés succèdent au grunt cathartique. Et la furie à nouveau. Elle reprend le dessus et rompt avec l’architecture nouvelle de The Great Downfall, morceau à la violence tapie derrière les hautes herbes. Moins visible mais toujours là. Plus loin, Muto multiplie les équations au sein d’une rythmique aux changements de directions incessants. À en donner le tournis. Un métal de derviches tourneurs. Un cyclone naît des enceintes et emporte tout l’air avec lui et nous laisse là, toujours plus près de l’asphyxie. Inutile de détailler plus avant, aucun morceau n’est au-dessous des autres et tous impressionnent, jusqu’au dernier souffle d’un Hidden Lotus qui explore lui-aussi la voie du silence et de l’apaisement après un déchaînement proprement ahurissant où toutes les notes sont jouées avec cette énergie propre à ceux qui se demandent en permanence si elles ne seront pas les dernières. Et à une musique extrêmement dense succède un silence lourd. Lui aussi extrêmement. Un disque pachydermique capable d’une grande légèreté et d'une fluidité remarquable. C’est très fort cette dynamique calme-vent-tempête-mer d’huile sans qu’à aucun moment l’un ou l’autre ne préfigure ce qui vient. C'est que la musique d’Eryn Non Dae est en permanence inattendue.

Il faut dire aussi que ces Toulousains n’en sont pas à leur coup d’essai. Le précédent était déjà impressionnant et surtout, excusez la gageure, bien plus noir et suffoquant. Pour autant Meliora est loin d’être un infléchissement. En revanche, il ose montrer sa subtilité là où, bien que déjà présente, elle était bien planquée derrière une noirceur qui submergeait Hydra Lernaïa jusqu'à le recouvrir complètement. Une noirceur à tel point atavique qu'elle n'a pas quitté le groupe mais qui est bien plus nuancée, plus construite, plus distillée. Et donc plus dense. Et c'est bien en le comparant aux quelques rais de lumière qui parsèment le disque que l'on se rend compte à quel point ce noir est abyssal. Et décuplé par ce son modelé, sculpté et dompté empruntant un peu à tout ce qui se fait de plus agressif et inquiétant : du métal, certes mais bien difficile à étiqueter. Très technique mais jamais stérile, légèrement post, légèrement black, un peu tout cela à la fois mais avant tout viscéralement sombre sans être ni dépressif ni nihiliste. Un métal qui exhibe ses idées noires et ses émotions. Des idées et des émotions qui sont aussi les nôtres et qui résonnent en écho à Meliora dès que ce dernier rejoint la platine et que l'on s'accapare le suaire flou de sa pochette. 

Bien plus qu'un suaire, un miroir. 

Bien plus qu'un disque, un révélateur.

Impressionnant.

leoluce


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