Date de sortie : 29 janvier 2013 | Label : Hands In The Dark
Qui a dit que la scène expérimentale
française vivait recluse ? Sa visibilité demeure certes marginale,
mais s'il y a un groupe qui tend à servir de contre-exemple, on peut
en attribuer la casquette à Saåad. Même si leur succès critique
grandit davantage par delà les frontières que sur notre propre
plancher (Fluid Radio est fan), on est tenté de croire que Orbs &
Channels participera à combler l'écart. Composé à l'origine du
seul Romain Barbot, le projet devient un duo en 2011, avec l'arrivée
de Greg Buffier. Dès lors les deux Toulousains s'attèlent notamment
à Sustained Layers, qu'ils composent avec EUS et Postdrome, puis à
Confluences, une commande de la part du festival Toulouse d'Eté
sortie en décembre dernier. Alors que leurs travaux ont jusque-là
vu le jour sur leur label BLWBCK, ce nouveau long format sort chez
Hands In The Dark, sous la forme d'une cassette en édition limitée
à 100 copies.
Saåad accomplit le petit exploit de
réaliser un album de drone purgé de toute aridité. Comme un
bourdon continu autour duquel les souffles se modulent, Orbs &
Channels joue de ses variations d'épaisseur, du lent mouvement de
volumes d'air, pour agripper l'oreille et l'accompagner en lieu
sombre, rassurant mais inconnu. Le duo travaille l'ambient comme un
matériau sourd et voilé, creuse des résonances en cascade et
enrobe les cellules sonores d'une écorce doucement psychédélique.
Si l'album parvient à maintenir le voyage sans rupture, c'est grâce
au travail de tissage des nappes à la manière d'un ouvrage de
filigrane, à la spatialisation des sons qui nous amène à nous
questionner sur leur existence. Une luxuriance de détails baigne dans
des flots grondants et hiératiques, à l'image de ce fantôme
baroque qui s'éveille sur les dernières secondes de Hieronimus.
Orbs & Channels démontre l'étrange
capacité d'animer des souvenirs anonymes, l'assurance d'une
perception familière mais dont l'origine échappe. Le flou permanent
a des couleurs de forêts, la volatilité de la poussière des
combles et l'atmosphère de réduits au parquet fatigué. L'entrée
dans l'album ne cache pas sa gravité, des couches plus terrassantes
qu'un ciel plombé disposent de l'espace et décident que vous ne
relèverez pas la tête de sitôt. Au Delà et surtout Savarà
s'attardent sur des formes de volutes saccadés, un élément
constitutif de leurs pièces, évoquant des cordes jouées en
spiccato et dont les échos s'égareraient dans la brume. Avant de
diluer les masses grondantes dans des flux plus liquides, le coeur de
Orbs & Channels ne délaisse pas la gravité du propos. Dans
l'attente des faisceaux d'ambient pâle qui le traversent
progressivement, Potsdamer Platz se fait l'introduction à une
débâcle industrielle qui ne vient jamais. Alors que Forever Late a
sonné le retour au calme, le superbe Hangover #8 questionne
l'équilibre entre des froissures menaçantes et un halo de candeur,
dans un usage toujours subtil des vibrations. Mais le vrai trésor de
ce disque réside dans ses deux derniers titres – il est toujours
judicieux de finir sur la note la plus haute. L'attention se
cristallise sur la marée frémissante qui reflue le long de Cross
Orguan, comme si la tonalité de ce lent dépôt avait trouvé le
degré ultime, celui qui fait tressaillir puis paralyse. Sur Soft
Drug enfin, les drones se sont apaisés, à défaut d'affluer la
lumière perce, se réfléchit sur des dizaines de facettes. C'est
l'aube qui pointe, et avec elle le goût d'une lasse euphorie.
Saåad sort cet album demain, il ne
reste qu'une poignée – voire plus du tout – de versions
cassette, c'est donc sur le digital que les retardataires devront se
retrancher. Ceci est bel et bien une invitation.
Chronique exceptionnelle, qui donnerait presque envie de se convertir aux cassettes. Juste presque. Bravo tout court.
RépondreSupprimer