Date de sortie : 01 septembre 2012 | Label : Vendetta Records
Ce
n’est pas du métal, assurément. Mais ça en vient. Ce n’est pas non plus de la
folk. Enfin, pas complètement. Ni de l’ambient. C’est du black. Et dans le même
temps, ça n’en est carrément pas. Paved Intentions désarçonne.
Surtout pour qui a aimé se perdre, comme moi, dans les entrelacs de Stains
Of Resignation, le précédent album d’Austrasian Goat qui, lui,
était bien plus identifiable. Tout en ne l’étant pas. Inutile de s’embêter à
poser la moindre étiquette sur ce projet ou cet album, ça ne collera pas. En
revanche, les poils sont restés dressés tout du long, même lorsqu’il a fallu
jongler entre les quatre faces et passer de l’une à l’autre. Une musique qui
garde les oripeaux de bien des genres pour ne surtout pas se cantonner qu’à un
seul. Paved Intentions est un patchwork. Blanc comme neige. Et
gris anthracite. Voire complètement noir. Nuancé donc. Où qu’il aille, quelle que
soit la direction vers laquelle il pointe son doigt, quelles que soient ses
intentions, il captive. Il ensorcelle. Et semble à l’origine d’une multitude de
papillons qui s’égaient dans le ventre. Pourtant, à le détailler comme ça, dans
un premier temps il ne paie pas de mine : une guitare sèche, parfois
accompagnée d’une plus amplifiée, d’une voix grave et presque chuchotée, de
quelques effets et percussions et c’est bien tout. Il marque avant tout par sa
simplicité. Une simplicité qui rend l’adhésion immédiate et les écoutes
répétées. Mais comme d’habitude, dès que l’on habite les morceaux, une fois
qu’on les connaît mieux et que l’on se concentre sur les détails pour laisser
voguer l’ensemble, le disque frappe aussi par sa complexité. Et puis, les
mélodies sont tout simplement à tomber. Belles, épurées et jamais
superficielles. Un disque d’artisan. Un disque vrai. Des chansons qui le sont
tout autant. Tellement bien écrites, tellement bien interprétées. Des éclats
d’âme qui suintent de partout et percent la monotonie de façade. Oui, parce que
voilà, si on aime ce disque c’est parce qu’il dépose ses tripes sur la table et
ose se montrer tout nu. Parce que sa petite musique nous habite. Parce qu’elle
trouve en nous un terreau où elle peut s’accrocher et grandir. Parce qu’elle
parle de nous et qu’elle est authentique.
L’authenticité,
la grande affaire d’Austrasian Goat. Qu’il s’appuie sur un piano
solennel (Curtain), sur une guitare sèche et véloce (A Delicate Taste
Of Grievance), sur des chœurs lointains
(The Order Of Hyena), sur des nappes de bruit (la fin de Nizkor)
ou sur quoi que ce soit d’autre, on y croit. On le suit, on est avec lui. Dans
sa bouche ou sur ses doigts. Élégiaque, souvent inquiet, voire tracassé, ce Paved
Intentions. Comme l’enfer ne l’est que des bonnes. Et c’est bien en ça
qu’il relève aussi de la sphère black. Enfin, c’est du black en mutation. Qui
s'affranchit des canons du genre et qui, en tout cas, n’a plus rien à voir avec
celui de Stains Of Resignation et encore moins avec celui qui le
suivra tout en lui ressemblant complètement. Le propos, après tout, est resté
exactement le même et il fallait bien partir du précédent pour arriver à
celui-ci aujourd’hui. Les armes ne sont simplement plus tout à fait les mêmes.
Plus contenu, presque contrit, on sent bien, lorsque la voix tonne tout ce
qu’elle contient et tout ce qu’elle renferme, que ce n’est pas un disque de
petit oiseau sage, même tombé du nid. Rien ici n’est guilleret. Attendez-vous
plutôt à de l’obscur, à du pas clair, du trouble et du glauque mais que le
traitement acoustique ne met pas en exergue. Tout cela apparaît par différences
de matité et par un jeu extrêmement délicat de nuances, magnifié par des
arrangements subtils et parfaits. Ne comptez pas sur Julien Louvet pour
vous prendre la main et vous guider, il plante ses vignettes là et s’en va,
nous laissant tout seul pour contempler et comprendre le résultat. D’une
densité et d’une profondeur abyssale, on a tôt fait de se perdre dans Could
The Lights Come Back ? et ses percussions tintinnabulantes, dans Broken
Yad et ses nappes sèches et dans à peu près tout ce que ces quatre faces
ont à proposer. « I offered my soul to musical angels but nobody’s
coming… » tu parles, peut-être ne s’agit-il pas d’anges mais quelque
chose est bien venu : l’inspiration, une muse, le talent. Qui imprègne
tous les morceaux et leur donne tout leur éclat.
Déliquescent,
complètement délavé, à l'image de son black et de sa pochette, s'appuyant en
permanence sur sa guitare sèche rehaussée de nappes synthétiques et de samples
qui s'insinuent joliment dans l'ossature des morceaux, les drapant d'une aura
parfois quasi-industrielle - mais toujours délavée - Paved Intentions
ne montre pourtant aucun signe d'affadissement. Les saveurs développées restent
fortes et marquent tout autant qu'aux premiers jours déjà funèbres mais un peu
plus doom. Projet d'un seul homme, bien qu'accompagné sur quelques titres par José
de Diego (qui s'est également occupé de la superbe pochette) ou Joel
Lattanzio, Austrasian Goat poursuit sa mue et abandonne ses peaux
une à une. Toujours plus près de l'os. Jusqu'à racler les derniers bouts de
chair putride ou grasse pour ne garder que les nerfs. L'épure. Quelque chose
comme un cri tout en discrétion. On ne s'étonnera pas de retrouver Reto
Mäder au mastering. Comme lui, ce même goût pour parer les cicatrices d'une
belle dentelle finement travaillée et ce même goût pour le gris. Sur ce, on
stoppera net les mots pour vous laisser seul(e) avec ces douze morceaux sur les
bras et leur permettre de s'insinuer en vous, caresser vos synapses et trouver
le chemin de vos doigts qui pianoteront sur le clavier pour arriver jusque là.
Le
voyage vaut le détour et il y a fort à parier que vous aussi n'en reveniez pas.
leoluce
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