Date de sortie : 18 septembre 2012 | Label : auto-production
Une basse
lugubre puis une batterie qui martèle ses peaux puis une guitare qui balance un
riff monstrueux et dissonant qui affole la batterie mais ne modifie pas la
pulsation morbide de la basse. Des larsens. Des murmures. Une boule se crée,
grossit, se développe, bien noire. Le même motif répété de nombreuses fois, de
plus en plus vite. Déjà, la tête est scotchée au plafond. Pourtant, la fuite en
avant se poursuit et se fait encore plus véloce. Et plus le groupe augmente la
cadence, plus il s’enfonce dans le noir. Et plus il se rapproche dangereusement
du mur, plus on ouvre grand les yeux. Sur la fin de R i s e,
la voix se fait entendre. Elle déclame on ne sait trop quoi, s’étrangle et se
fracasse en même temps que la musique. Plus rien. Il ne reste plus que quelques
notes de guitare, un crépitement de faux contacts, des larsens fuyants. La
vitesse n’est plus, place à l’introspection deux minutes durant. Le noir, lui,
demeure. Puis une explosion qui indique que l’on vient de quitter l’Interzone
pour plonger dans The Innermost Depths Of Knowledge tête la première. Un
motif de guitare bizarre, presque slave. Patraque. Alors qu’il courrait le cent
mètres, le groupe ne semble même plus avoir la force de mettre un pied devant
l’autre. Un mantra qui semble chanté à l’envers, un orgue funèbre. Ça ne rigole
pas. Puis un solo où vingt-cinq doigts se baladent sur le manche et insufflent
de la lumière dans les ténèbres jusqu’ici suggérés. Déjà trois morceaux et on
ne sait plus trop où l’on habite. C’est dire si ce disque sait comment s’y
prendre pour capter l’attention et ne plus la relâcher. En revanche, on sait
que les huit minutes de The Innermost Depths Of Knowledge filent à la
vitesse de l’éclair. Une tonne d’idées injectée dans une architecture mouvante
qu’il est bien difficile de détailler. De bifurcations en lignes droites, de
boulevards en chemins de terre, Chaos Echœs poursuit une voie qu’il semble bien être
le seul à connaître. Même si, pas dupe, on en connaît très vite la
destination : l’obscurité.
Tone Of
Things To Come peut
assumer son titre en forme de clin d’œil que l’on imagine potache et rejoindre
ainsi crânement les quelques disques fondamentaux qui partagent ce « …
Of … To Come », le Shape Of Jazz To Come d’Ornette
Coleman ou le Shape Of Punk To Come de Refused pour ne
citer que les plus connus. Bien sûr, pas de free-jazz ici, pas plus que du
hardcore mais du death metal et encore, c’est pour essayer de coller à la va-vite une
étiquette sur un disque fuyant qui mue en permanence et ne cesse d’expérimenter.
Une chose est sûre, comme ses frères de titre, Chaos Echœs est radical
et exigeant. Pas facile facile mais splendide. Et surtout, complètement,
dramatiquement, irrémédiablement noir. Voire malade et parfois malsain.
Et intransigeant tout le temps. Il
rappelle tout à la fois Blut Aus Nord pour le goût du carillon morbide
couplé à une voix d’outre-tombe qui psalmodie bien plus qu’elle n’éructe, Mayhem
pour la noirceur réelle et dégénérée, Sunn O))) et même Khanate
pour cette même couleur mais sans doute plus conceptuelle et fantasmée. Tout en
empruntant des chemins expérimentaux qui n’appartiennent qu’à lui dans sa façon
de s’affranchir des stéréotypes et de privilégier l'exploration d’un morceau à
l’autre ou dans le même morceau : ici, un blast beat qu’on n’avait pas vu
venir, là un solo saignant que rien n’annonçait ou encore l’irruption inattendue
d’une voix délavée à la fin d’un long développement instrumental, voire une
plage de calme très travaillée qui gonfle pour ne finalement jamais exploser.
Impossible de décrire les morceaux, il s’y passe trop de choses. Un souffle
froid parcourt le disque dont le son semble presque voilé, déformé, comme si
ses intentions avaient passé trop de temps au soleil et on a plus d’une fois
l’impression que l’édifice a du mal à se maintenir, au bord de l’implosion,
comme s’il allait s’écrouler sur et dans lui-même. Un mouvement tourné vers
l’intérieur, comme le trou noir qui orne la pochette, avalant tout ce qui
l’entoure, la vitesse, les riffs, le martèlement de la batterie et les ondes
noires de la basse, les cris et la lumière jusqu’à ce que ne subsiste plus que
le noir. Le tout forme patiemment, inéluctablement, une boule translucide et
dense qui fascine autant qu’elle repousse.
Car oui, le
disque est dégueulasse : l’exécution clinique d’une chape de boue, le
putride mis en musique, l’expérimentation de tout ce que l’odeur de souffre
peut offrir. Les membres de Chaos Echœs sont tous formidables et
maîtrisent parfaitement leur sujet. Il faut dire que Tone Of Things To
Come n’a beau être que leur premier disque, Chaos Echœs n’en a
pas moins eu plusieurs vies dont la première débute au beau milieu des ‘90s
sous le nom de Bloody Sign réunissant, entre autres, Kalevi (guitare) et
Ilmar (batterie) Uibo. Chaos Echoes était d’ailleurs le titre de leur
troisième album où le groupe semblait avoir atteint l’équilibre un brin
casse-gueule entre exécution death prototypique et ambiance typiquement black.
Sans doute fallait-il changer de nom et de line-up (Etienne Testart à la
guitare et Stefan Thanneur à la basse sont venus rejoindre les deux Uibo) pour
continuer à arpenter les versants les plus obscurs et les moins empruntés de ce
côté-ci des musiques amplifiées. Et il fallait bien une telle expertise pour
aboutir à ces divagations glauques qui suggèrent énormément, pour permettre à
un morceau comme Weather The Storm de tenir debout douze minutes sans
fléchir et de parfaitement clore le disque quand, dès le premier pas, il semble
s’arc-bouter sous le poids de ses idées noires. Lorsque le geste renforce le
discours, il en résulte quelque chose d’imparable. Et si on ne sait trop ce qui
se trame là-bas, en Alsace, on se demande tout de même ce que la région peut
offrir de si inspirant : C R O W N (dont on attend le premier long format
avec impatience) était déjà impressionnant et voici maintenant Chaos Echœs
et sa dynamique complexe et cabossée au service de textures désespérées et
torturées.
Alors
c'est vrai que cet E.P. a déjà six mois mais qu'importe, il n'est jamais trop
tard pour mettre la main sur des disques de cette trempe. D'autant plus que
l'on imagine que le groupe ne s'arrêtera pas là et qu'il devrait vite refaire
parler de lui quand il se murmure qu'il vient de rejoindre les rangs
jusqu'au-boutistes de Debemur Morti. Mais arrêtons là les mots et place aux
presque neuf minutes de The Innermost Depths Of Knowledge parfaitement
représentatives des atmosphères développées au sein de Tone Of Things To
Come.
Une belle
tâche bien noire sur un fond complètement noir.
Et l'on ne
voit qu'elle.
leoluce
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