Date de sortie : 22 mars 2013 | Label : Utech Records
DEAD NEANDERTHALS
DEAD NEANDER[TH]ALS
DEAD NETHAND[ER]LS
DEAD NETHER[AND]LS
DEAD NETHERLANDS
Mais je m'égare peut-être. Quoi
qu'il en soit, tout dans la musique de ce duo néerlandais évoque immanquablement
une déclaration de guerre. Simple slogan ? Quand on écoute la petite demi-heure
de Polaris, on a plutôt tendance à penser que non. Un nom pareil
avec une musique pareille ne peut relever de la simple coïncidence. Fidèle aux
règles esthétiques que Dead Neanderthals s'impose depuis son éponyme de
2010, le propos reste ici essentiellement et majoritairement agressif. À très
fort volume, on sent littéralement les couches supérieures de l'épiderme se
désintégrer sous les flots d'ondes dévastatrices que balancent ces Neck-AIDS,
Yamatsuka Eye le bien nommé et autres titres en fusion constituant
l'ordinaire d'un disque qui ne nous veut pas que du bien. À volume moindre, on
saisit l'ossature. Un tchak, un poum, un gronk, un
tatapoum, un grouik qui s'éternise et ainsi de suite jusqu'au
bout des six morceaux. Et puis des fois, rien. Seulement le silence. Oui, parce
que si on hésite à en parler, c'est qu'on ne sait trop où catégoriser ce chapelet de pains
dans la gueule. Coincé pile-poil entre le free-jazz et le grind. La liberté de
l'un avec la concision de l'autre. La violence du dernier et les structures
alambiquées du premier. Le tout enveloppé d'une aridité qui condamne le duo à
développer ses structures sous peine de perdre l'auditeur en cours de route.
C'est qu'à scruter le line-up, on pourrait avoir l'impression que l'on aura
vite fait le tour de la simple confrontation d'un saxophone baryton avec une
batterie. Grave erreur ! D'abord, comme le groupe l'indique, il s'agit avant
tout d'instruments de torture. Ensuite, il se trouve que chacun montre un goût
immodéré pour le contre-pied et les travers et lorsque le saxophone développe
des stridences alambiquées mais aussi très belles, la batterie taille la route
de son côté dans un déchaînement proprement monstrueux. Il y a déjà de quoi
explorer beaucoup et longtemps lorsque l'on prend les deux séparément, mais
lorsqu'en plus ils se percutent ou s'amalgament, lorsque l'un souligne l'autre
ou au contraire tente de le faire taire, l'exploration laisse la place à la sidération.
Dans le même temps, n'allez surtout pas croire qu'il faille s'attendre à une
immersion totale avec une musique à telle point enveloppante qu'elle habite
jusqu'à la moindre parcelle du spectre sonore. Non, l'album est assez minimaliste
et même très aéré mais au même titre que les oreilles, le cortex aussi est
sollicité.
De la violence mais pas de la
brutalité.
Et sur Polaris, le
groupe poursuit la mue entamée sur son EP précédent, Jazzhammer /Stormannsgalskap, où Dead
Neanderthals s’essayait à maintenir sur la longueur ses brûlots jusqu’ici
extrêmement concis. Car si les morceaux de l’éponyme frisaient certes la minute
mais ne la dépassaient que deux fois sur dix tentatives, les deux seules de
l’EP s'étalaient en revanche sur un temps dix fois plus long. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais l'étirement pourrait facilement
devenir l'ennemi d'une telle musique qui privilégie la fulgurance lorsque le
moindre morceau débarque sans crier gare, saccage tout puis s'enfuit comme il
était venu, dans un souffle ou dans un grand fracas. Le tout en quelques
secondes. Une fulgurance bien plus difficile à maintenir lorsqu'elle se joue
sur la longueur. Dès lors, le duo déploie un arsenal destiné à préserver sa
dynamique pour le moins véloce, son urgence : répétition du même motif
rythmique, du même riff de saxophone, mouvements dans le morceau où se
déploient successivement vacarme, vacarme puis vacarme ou vacarme, silence puis
vacarme. Bref, ça explore, ça tente, ça essaye, ça cherche. Et souvent sur Polaris,
ça trouve. Médiane parfaite d'un segment qui rejoint leurs premiers disques à
l'EP précédemment cité, ce dernier présente six morceaux sur lesquels on sait
bien que l'on reviendra souvent. En particulier parce qu'ils sont un poil moins
furieux qu'auparavant et que cela ne manque pas d'interloquer. Envolé le blast
beat de Jazzhammer. À sa place, quelque chose de moins frontal mais qui
n'en reste pas moins véloce. Et que l'on se surprend à aimer tout autant. Un
peu moins Zu, peut-être un peu plus Zorn. Qui lui fait aussi
perdre un peu de singularité. Mais les Dead Neanderthals en ont
tellement en réserve qu'ils ont beau rejoindre le panier, ils n'en restent pas
moins bien placés vers le haut, voire tout en haut. On notera également que le
baryton a laissé la place à un saxophone ténor qui lui aussi concourt à faire
sonner le duo sans doute moins grind mais plus free-jazz.
En même temps, avec des titres comme Yamatsuka Eye, que l'on ne
présente plus mais un peu quand même pour qui ne connaitrait pas les Boredoms
ou Plissken qui ne peut qu'évoquer un bandeau noir sur un œil torve, le
duo a tôt fait d'appartenir aux sphères que l'on aime : de l'excessif, du punk,
du goût. Sa devise n'est-elle d'ailleurs pas « FUCK conventions and
FUCK expectations » ? Bref, c'est avec une grande jubilation que l'on
se perd dans les circonvolutions de Neck-AIDS,
de Knot, de Yolk et de tous ces titres, que l'on tente de suivre le saxophone
quand il furète de-ci de-là en s'appuyant sur le tapis rythmique à la fois
bordélique et monomaniaque de la batterie ou quand au contraire il a une idée
précise en tête et sait où il va. On suit de la même façon ce que les deux
instruments, ensemble, ont a offrir :
des idées à la pelle et un certain jusqu'au-boutisme dans l'exécution. On se
rend bien compte au terme de l'écoute, alors qu'il est impossible de résumer ce
par quoi le duo nous a fait passer – de pics en abysses et de mornes plaines en
chemins de traverse alambiqués – que leur folie est sans doute juste un tout
petit peu plus maîtrisée mais encore bien présente. Pour preuve, The Pit,
deuxième morceau, longue fuite en avant qui ne s'arrête jamais avec son
saxophone à l'agonie dès les première secondes et ces toms déchiquetés sous
l'impact d'une frappe toute préhistorique. Le morceau prototypique de Polaris
: ça va vite, ça mute et à aucun moment on ne sait où l'on va. Un groove se
crée, froid, violent, complètement maniaque. Correspondant parfaitement à l’ADN
d’un disque qui disloque son jazz et épure son grind. Dès lors, sauvage,
martelée, accueillant de belles plages de silence entre les notes qui ne font
que multiplier l'impact de ces dernières quand elles explosent, aujourd’hui accueillie
par Utech, la musique du duo ne dénote absolument pas dans l'ordinaire du
label. Bien sûr il faudra patienter un peu pour pouvoir y poser une
oreille mais un petit tour par le bandcamp du groupe vous permettra de vous
familiariser aisément avec la musique des Dead
Neanderthals, tout en vous disant bien qu’avec Polaris, le groupe est
déjà ailleurs.
Alors c’est vrai, il n’y en a plus
désormais que pour l’Homo Sapiens mais la petite musique des derniers
Néandertals mérite bien plus qu’une écoute : pour celles et ceux qui savent aimer,
c’est le souffle de la vie et celui, aussi, d'une certaine beauté.
leoluce
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