Date de sortie : 17 mai 2013 | Label : Denovali Records
(((witxes))) sera toujours plus que sa musique. D'apparence ténue, celle-ci empile en fait quantité de strates inaudibles, invisibles, inodores et incolores. Alors que l'on a de prime abord l'impression que quelque chose de chétif se dresse devant nous, on comprend petit à petit que cette enveloppe n'est qu'un leurre, le petit être fragile et malingre qui se construit à la sortie des enceintes se révèle être un gros malabar capable de vous briser d'un simple regard. Dès lors, user d'étiquettes pour circonscrire A Fabric Of Beliefs et par extension (((witxes))) ne leur rend vraiment pas service. "Ambient", "drone", "jazz", "metal", "expérimental", "électronique", autant de mots qui, une fois mis ensemble, ne font naître à la fin et pour beaucoup qu'une seule vision, celle d'un caillou pelé, d'un fragment de bakélite perdu au beau milieu de la masse de galets qui jonchent la plage désolée, un truc triste et introverti qui distille un sentiment proche de l'ennui et au sein duquel rien ne se passe. Le poids des stéréotypes, souvent bien utiles, parfois vraiment réducteurs, toujours figés. Et pourtant un paysage aride peut se révéler bien plus luxuriant qu'une jungle tropicale. Exactement comme Sorcery/Geography, A Fabric Of Beliefs dispense le même venin - le même sortilège ? - et sa musique déborde très largement le cadre délimité par son architecture : ses dimensions intérieures sont bien plus grandes que celles que l'on perçoit à l'extérieur, un peu à la manière d'une petite chambre coincée au rez-de chaussée qui abriterait un espace aussi grand qu'un département. Une distorsion spatiale qui ne cesse d'interloquer car il est bien difficile d'imaginer qu'une telle densité habite des morceaux à ce point secs et dégarnis, que quelques grésillements suffisent à raconter une histoire, qu'un piano atone puisse être si captivant ou que la beauté naîtra de quelques field recordings et d'une nuée de tambours glanés aux quatre coins du monde.
A Fabric Of Beliefs ressemble à s'y méprendre aux coordonnées géographiques enfermées dans sa pochette, une longue fuite en avant ou plutôt une errance qui tangue vers l'est jusqu'à rejoindre l'ouest sans but précis, traversant une multitudes de paysages inscrits dans sa musique, que ce soit par les émotions qu'ils ont suscitées, par l'atmosphère qui y régnait ou par les idées qu'ils ont, par association, convoquées. Ainsi, Through Abraxas décline ses trois volets qui n'ont strictement rien à voir, le I martèle un rythme synthétique qui accompagnerait parfaitement la traversée d'une mégalopole occidentale au cœur de la nuit, le II s'accroche à un grésillement auquel s'additionne une guitare solaire, le tout débouchant sur un fragment de vie capté pourquoi pas dans le Maghreb et le III s'appuie sur des nappes inquiètes rehaussées de tambours tribaux vite rejoints par une guitare fuselée évoquant tour à tour l'Asie et une forêt de béton. En seulement trois morceaux, on est complètement désorienté et pourtant, le voyage ne fait que commencer. Il sera avant tout intérieur. Parce qu'après tout, ses incursions en Afrique ou au fil de la steppe, c'est bien mon cerveau qui les construit et sans doute celui de Maxime Vavasseur ne visait-il pas les mêmes destinations, Abraxas étant polysémique, qu'il soit le nom d'un papillon, d'un démon, d'un ensemble de logements finement architecturé sis à Marne-la-Vallée ou même, encore, d'un titre de Therion. Bref, à chacun de s'approprier A Fabric Of Beliefs et d'en faire le score de ses propres pérégrinations, ce qui montre bien le pouvoir infiniment évocateur de cette musique si subtile et travaillée qu'elle dépasse largement le cadre de l'écoute, nous accompagnant longtemps et partout. On n'écoute plus (((witxes))), c'est lui qui nous suit, il s'insinue pour ne plus nous quitter. Dès lors écouter le disque, c'est partir en voyage et dans le même temps, en contempler le carnet. Errer et dans le même temps interroger le souvenir de cette errance. C'est bien en ça que cette musique dépasse le cadre strict de son écoute.
Et puis surtout, le travail ahurissant derrière les arrangements, encore une fois, impressionne : tout cela s'enchevêtre sans fracture et on ne s'étonne même pas d'entendre un passage ouvertement jazz mêlé à un soubassement glitch (The Pilgrim ou encore le magnifique The Apparel) suivre une attaque de drones inquiets (The Weaver entre autres), eux-mêmes succédant à une ossature plus typiquement électronique dans laquelle se cachent des fragments de metal (The Breach). Et ce piano liquide qui apparaît par intermittence (The Visited) et recouvre d'un voile mystérieux des morceaux en soi déjà bien intrigants. Bref, tout se mélange au même moment et concoure à la grande densité sus-mentionnée. Parce que c'est vrai que lorsqu'on parle de voyage, on pourrait croire que l'on ne parle pas de musique mais c'est précisément en voulant ne parler que de musique que l'on se rend compte que celle-ci n'évoque que le voyage. Fut-il le long de la mappemonde musicale qui, avec (((witxes))), remonte le temps en allant à l'envers du mouvement des continents. A Fabric Of Beliefs reconstitue une Pangée quand, pour beaucoup d'autres disques, y compris d'ambient, celle-ci est complètement fragmentée. En empruntant à tout un tas de styles, Maxime Vavasseur définit et renforce le sien, celui d'une ambient-mais-pas-que voyageuse et ravageuse en permanence sur les frontières. De quoi comprendre en tout cas son obsession pour la géographie et peut-être aussi le choix de ce patronyme parce qu'il faut être un peu sorcière pour tout mélanger ainsi, textures et atmosphères, organique et synthétique, retenue et majesté. De quoi comprendre également la présence de Lawrence English au mastering dont la propre musique partage, en plus de quelques points communs avec celle de (((witxes))), le même paradigme. Deux explorateurs du son et de la narration qui montrent qu'il n'est nul besoin de voix pour raconter quelque chose.
Alors, "Un Tissu De Mensonges" comme le promet le titre ?
Écoutez donc ce qui suit et quand vous serez revenus...
Enfin, si jamais vous en revenez car de cela, rien n'est moins sûr.
Magique.
leoluce
Deuxième fois que je repasse ici pour une deuxième écoute... merci pour la chronique. Vraiment extraordinaire...
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