mercredi 19 juin 2013

Monte Isola - Niebla


Date de sortie : 20 avril 2013 | Label : Wild Silence

Niebla, voilà un disque qui hante longtemps et pour longtemps. C'est un peu le paradigme du Land Art mis en musique. Monte Isola emprunte aux éléments et pioche dans la nature, agence tout ce qu'elle trouve pour construire des morceaux intrigants où le field recording revêt une importance cruciale. C'est surtout la vie que l'on entend, rehaussée parfois de percussions ou de chant, d'une guitare éventuellement et de nappes de claviers pour repasser les bords en noir. Un disque qui ne craint pas de faire entendre uniquement des bouts de conversation de longues minutes durant sans pour autant casser le fil fragile qu'il tisse patiemment avec nous. Ça se passe sur Lointain et ça nous extrait de notre vie pour nous y ramener exactement. Il n'y a que l'agencement qui change. Je ne suis plus ainsi en train de pianoter les touches de mon clavier mais quelque part, près de l'océan, à converser tranquillement de choses et d'autres. Rien de plus banal que ces deux situations-là pourtant dans le deuxième cas, je dialogue avec des gens que je connais pas dans une langue que je ne maîtrise pas. Monte Isola a juste déplacé deux trois éléments pour faire sonner le quotidien, le faire chanter, en extirper des mélodies, lui permettre d'exprimer toute sa musicalité jusqu'ici insoupçonnée. Ce n'est pas un disque qui  transporte ailleurs, il réaménage simplement l'espace sonore de l'auditeur, son quotidien, les sons familiers qui l'entourent et, ce faisant, l'enveloppe complètement et provoque un cheminement intérieur dont il devient difficile de se défaire. Ailleurs, des chansons légèrement plus conventionnelles se font entendre (La Noyée, Turn Tapes) où une voix profonde et fatiguée surplombe des arrangements sombres et revêches. Dans ces moments-là, Monte Isola, également, captive. Sans doute est-ce dû aux autres pièces à l'ossature plus mouvante, plus clairement ambient, qui s'amusent avec les vagues de l'océan, les bruits d'un vieux port, les portes qui claquent, les aboiements d'un chien et le vent dans les cheveux, rendant les mélodies plus aisément identifiables et beaucoup plus efficaces encore. Toutefois, ces morceaux plus évidents n'en restent pas moins pelés, presque chamaniques, ils sont, eux aussi, autant d'odes à la pluie, aux vents, aux éléments et aussi, à l'humanité. Car s'il est bien une chose que l'on entend, c'est le bruit des gens, pris sur le vif, conférant à l'ensemble une portée quasi-documentaire.



Disque de contraste, disque élégant et très bien bâti, Niebla, du haut de ses trente-huit petites minutes, est ainsi un véritable coup de maître. D'autant plus qu'il s'agit là d'un premier essai et que ces deux mots empruntés à l'italien cachent une plasticienne de formation, Myriam Pruvot, également vocaliste (cela s'entend) et musicienne autodidacte (cela s'entend aussi dans cette manière d'essayer, d'explorer, de s'affranchir des frontières). Troisième référence du tout jeune label Wild Silence initié par Delphine Dora, on ne pouvait imaginer Niebla ailleurs que dans cet espace-là. Non pas que la musique de Monte Isola montre la moindre ressemblance formelle avec la sienne mais sans doute y retrouve-t-on cette étrangeté, cette contemplation, cette tension aussi qui habite également celle de la pianiste. Réalisé lors d'une expédition sur l'île de Mancera au Chili, le disque présente tous les atours du carnet de voyage. Un voyage explorant tous azimuts des coordonnées à la fois impalpables, abstraites et intérieures mais aussi réelles et extérieures. Un mouvement global dirigé vers soi et qui tend également vers l'ailleurs. Dès lors, on ne s'étonne même pas du long monologue emprunté à Gilles Deleuze (et magnifiquement mis en voix par Boris Lehman) constituant l'essentiel de l'ossature du dernier morceau, Les îles sont d'avant l'homme. Noyé dans sa masse, il est dit à moment donné que "le mouvement de l'imagination des îles reprend le mouvement de leur production [...] C'est le même mouvement, mais pas le même mobile" et cela résume parfaitement l'expérience sensorielle provoquée par Niebla. Pour autant, rien d'abscons dans sa musique, à aucun moment le concept n'arrive à diluer le résultat et malgré ses armes extrêmement minimalistes, le disque est très accueillant. On y revient souvent, à l'aise dans cette bulle enveloppante qui offre une pause salutaire, un moment suspendu qui interrompt ou travestit la course du quotidien. Certes expérimentale (Traverse en ouverture qui tient du manifeste), cette ambient qui met ses field recordings en exergue, ce chant singulier, ces arrangements minimalistes et légèrement tribaux fascinent et s'insinuent durablement en seulement six morceaux.

Qui plus est parfaitement emballé sous une pochette sobre et parfaite, voici donc un premier disque court avec une véritable épaisseur, tendu, mystérieux et très agréable à l’écoute. Un disque qui fait attendre avec impatience la suite. On ne peut que souhaiter à Wild Silence encore beaucoup d’opus de cet acabit et à Myriam Pruvot de continuer à extirper de sa vie d'autres témoignages sonores tout aussi beaux que singuliers.

Une parenthèse habitée.



leoluce

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