Date de sortie : 25 mai 2013 | Label : Nibbana
Si l'ambient souffre encore trop souvent d'un relatif déficit d'attention, largement sous-exposé sur le web comme ailleurs malgré la profusion de talents créatifs qui en décuplent l'ambition depuis une petite dizaine d'années, certains musiciens coutumiers du genre en souffrent plus que d'autres, cachant sous un certain hiératisme des trésors de grâce délétère. C'est sans aucun doute le cas de Chris Weeks qui livrait l'an passé avec A Haunting Sun l'un des disques les plus troublants que le drone ait jamais enfantés, flots de radiations spleenétiques aussi douces qu'abrasives dardés d'éclats instrumentaux et de field recordings digitalement modifiés dont les denses abstractions solaires consumaient l'âme et hantent toujours les esprits.
Un coup de maître, donc, et l'on ne voyait plus guère que Pimmon pour rivaliser avec le souffle organique un brin austère et néanmoins dévastateur de ce premier LP signé par l'Anglais sous son véritable patronyme... mais précisons tout de même que le coup d'essai ne l'était qu'à demi pour ce producteur et instrumentiste aux multiples talents que l'on avait déjà pu apprécier pour le lyrisme bucolique de son alter-ego ambient-pop Kingbastard aux rêveries tout aussi luxuriantes et finement texturées. L'occasion de mentionner Herb Recordings, petit label autogéré de l’Écossais Solipsism également responsable des envolées plus cadrées de son second alias Myheadisaballoon dont la ferveur lo-fi d'obédience indie-pop, qui le voit chanter en format 4 minutes dans un brouillard d'effets et de volutes psyché, tranche assez radicalement avec les insondables méditations sonores qui nous occupent ici.
On passera rapidement sur la satisfaction d'avoir accueilli les deux soundscapers dans les limbes de notre compil' Transmissions From The Heart Of Darkness, sur un quatrième volet taillé pour faire honneur à leurs errances désincarnées. The Ghost Of Jupiter, inédit composé par Chris Weeks tout spécialement pour le projet nous aura d'ailleurs particulièrement impressionnés, enrobant le vide cosmique de son linceul livide et ouvrant la voie pour le bien-nommé Contemplation Moon publié comme son prédécesseur par Nibbana, filiale ambient et minimale du label Tigerbeat6 que le Californien Miguel De Pedro aka Kid606 avait lancé dans la foulée de ses propres expérimentations analogiques sur le visionnaire et trop mésestimé Songs About Fucking Steve Albini.
Entre-temps et au risque de s'éloigner encore un peu de l'objet de cette chronique et de son postulat, le Gallois d'adoption nous aura gratifiés de trois EPs assez hors-normes caractérisés par leur artwork immaculé au diapason d'une musique de plus en plus épurée sans en rajouter pour autant dans la solennité, les monolithes ascensionnels de Formeg: s'ouvrant même à quelques beats et pulsations minimalistes et les marées oniriques de The Ebb & Flow au bruit du ressac, voire pour l'un d'entre eux au blues acoustique d'une guitare claire. Quant à Gwynt, Glaw, Myfyrio, sa progression contemplative aux humeurs et textures changeantes cheminait de la grisaille balayée par les vents mauvais au timide retour de l'astre du jour, à l'aune du climat versatile des collines du Pays de Galles qui l'abritent désormais. Trois œuvres relativement courtes et pourtant foncièrement divergentes dans l'agencement de leurs morceaux allant de 2 à 20 minutes, avec pour point commun de s'avérer tout à fait saisissantes, comme si Chris Weeks compensait le déficit d'immersion inhérent au format en privilégiant à la dilatation du temps une certaine emphase du mouvement.
Cette dimension épique, le musicien féru d'astronomie la vit de son propre aveu lorsqu'il scrute l'immensité du cosmos, fasciné par le fait qu'il y ait davantage d'étoiles dans l'univers que de grains de sable sur Terre. Sensations d'insignifiance et d'infini se mêlent ainsi pour alimenter l’ambiguïté de ses compositions, plus que jamais partagées entre extase et anxiété sur ce deuxième opus composé de nuit en scrutant les astres, tribut à la féérie de leur ballet scintillant comme au grand mystère de leurs faces cachées. Exit les incursions acoustiques et les artefacts mélodiques de l'album précédent et de ses vibrantes reconstructions lorgnant sur le glitch et la folktronica, Contemplation Moon s'attaque à un format qui exige autant d'attention que d'abandon, 8 morceaux drone flirtant tous avec les 10 minutes voire avec le quart d'heure et dont l'affect plus nébuleux épouse les phases du cycle lunaire pour 90 minutes d'introspection radiante aux allures de symphonie métaphysique.
Hypnotiques et immatérielles, ces odes à l'abstraction de l'infiniment grand célèbrent la résorption des frontières entre le tangible et l'intangible, le réel et l'imaginaire, la raison et la sensation. L’œil sonde mais l'esprit vagabonde, s'abandonne aux stimuli de la nuit et aux sentiments diffus qu'ils induisent. Seul cet état intermédiaire entre conscience et absence permettra de percer le tissu statique pour toucher du doigt la tragédie d'éternité qui bouillonne sous les ondes blafardes du rayonnement sélénite de Chris Weeks. Dès lors, la mélancolie n'est plus simplement celle de l'auditeur ni même celle de l'auteur mais celle de l'univers entier lorsque le premier croissant de Lune renaît à la vue des quelques milliards d'êtres à jamais hors de portée de ses miracles. Tout n'est qu'ambivalence, confortable Desolation d'un premier quartier dont la dualité nous rassure, glaçante Apparition d'une Lune gibbeuse symbolisant notre impuissance face aux forces qui président à notre existence ou spectrale Relocation de sa splendeur sur le déclin.
La pureté d'une Lune pleine nous isole un temps de ce perpétuel sentiment d'inachevé, majesté des affleurements orchestraux dont les harmonies à la fois grandioses et fragiles surgissant du voile opalin nous rappellent au caractère fugace de toute perfection, vouée à décroître et s'éteindre dans le néant en expirant ces poussières d'éther qui donneront corps au cycle suivant. Et pourtant, suspendus aux flux élégiaques des cordes synthétiques, nous voilà soudain taraudés par la crainte que le rideau vienne à tomber sur cette magie que l'on croyait acquise : c'est là toute la beauté de l’œuvre de Chris Weeks, Méliès moderne qui réinvente le monde en lui insufflant une poésie qui lui faisait défaut, sublimant la dramaturgie d'une pièce qui nous propose de passer du rang de simple figurant perdu dans une masse en constante expansion à celui d'interprète omniscient. Qui s'étonnera après ça ne plus vouloir en quitter la scène ?
Rabbit
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