dimanche 22 décembre 2013

OvO - Abisso


Date de sortie : 02 novembre 2013 | Label : Supernatural Cat

Musique industrielle incandescente, noise-rock dégénéré, ambient larguée et inquiétante et même, oui, blues. Dans une traduction toute personnelle, certes, mais blues quand-même. Un truc envoyé en l'air pour exorciser je-ne-sais-quoi et le circonscrire quand ça retombe, l'enfermer dans des barreaux sonores maousses pour être tout à fait sûr que jamais il ne s'échappe et fasse son trou dans la boîte crânienne. On écoute Abisso comme on va au zoo, en se disant en permanence que l'on déteste les cages mais en étant tout de même bien content qu'elles soient là. Ce qui s'y trouve derrière fascine et fait peur en même temps. Et ça marche pour n'importe quel titre de cet album à l'odeur de soufre particulièrement tenace. Prenez Aenis par exemple, en cinquième position, qui du haut de ses quatre petites minutes à peine balance tout ce que l'esprit humain peut avoir de plus sombre, pas clair et dévoyé : une guitare définitivement barbelée tapissée d'un arsenal impressionnant d'échardes sonores contondantes et effilées comme des crocs de boucher, une batterie rigide qui tabasse l'espace et puis, surtout, cette voix inhumaine hésitant en permanence entre le contrit, le cri primal et le hurlement aliéné qui culmine au moment du "refrain" dans une répétition franchement douteuse et maladive. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce morceau particulièrement intense appose son sceau au fer rouge sur les parois trop tendres du cortex pour y faire une marque presque indélébile. On le sent passer. Et ce ne sont pas ceux au rythme plus apaisé qui permettront au souffle de recouvrer sa superbe. Avec eux on n'est jamais vraiment loin de l'asphyxie. Un exemple ? A Dream Within A Dream en quatrième position et son opalescence marécageuse, ses cris dégueulasses et son groove patraque qui s'arc-boute sur lui-même et pousse l'auditeur à faire de même. C'est qu'on reconnaît sans peine la voix d'Alan Dubin derrière le micro et les neurones font le reste en activant le réseau qui permet au morceau de revêtir les frusques de Khanate tout en étant évidemment autre chose. Bref, inutile de dire que lui aussi, on le sent passer. C'est moche et ça sent mauvais mais rien à faire, on ne cherche même pas à s'en échapper.



C'est qu'Abisso met en exergue un peu tout ce qu'il manquait aux opus précédents. Il montre en particulier une grande unité. C'est un album monolithique qui ne convoque qu'une seule couleur, qu'une seule odeur. On aime également sa concision, son envie d'aller directement à l'essentiel, c'est-à-dire droit dans le mur et à grande vitesse. Attention, le précédent était déjà particulièrement réussi mais peut-être souffrait-il de quelques longueurs qui peinaient à maintenir la sidération intacte au fil de l'écoute. Pas de ça ici, du premier au dernier morceau, on reste hypnotisé par les sirènes carnassières de ce disque déroutant. Déroutant parce qu'on ne sait pas trop ce que l'on vient y chercher et pourquoi on y reste. Déroutant aussi parce qu'on n'a pas trop envie de détailler les leviers qu'il actionne pour nous maintenir ainsi dans ses filets. Victime ? Voyeur ? Complice ? Va savoir puisqu'on ne veut pas savoir. Il s'en dégage une certaine mystique sans doute due aux incantations qu'il profère, une mystique vraiment singulière, une mystique de l'amputation, de la décomposition ou quelque chose comme ça. En tout cas, on y croit et c'est bien là qu'Abisso exécute brillamment le hold-up de nos neurones, en nous enfermant complètement dans sa trame. Après, c'est facile, en inoculant son virus glauque dans les tympans, toute résistance vaincue, il se diffuse et recouvre les organes d'une belle couleur anthracite, tapisse la boîte crânienne de soieries arachnéennes et disloque la moindre pensée positive à grands coups de larsen. On passe ainsi du très Einstürzende Neubauten Harmonia Microcosmica à son pendant Macrocosmica à peine moins tarabiscoté, du kabuki noise et scie-sauteuse de Tokoloshi au final déliquescent et pervers de Fly Little Demon qui embarque Carla Bozulitch et Evangelista au grand complet dans des méandres avant-jazz particulièrement désespérés. De là à dire que c'est en sachant bien s'entourer qu'OvO réussit à décocher l'une de ses flèches les plus dégueulasses, il n'y a qu'un pas que l'on ne franchira pourtant pas. On prendra même le problème à l'envers : c'est par le biais de sa musique irradiante qu'il a attiré à lui les deux torturés notoires précités.

Toujours composé de la Pythie hallucinée Stefania Pedretti au chant et aux six cordes et du bestial Bruno Dorella aux percussions organiques et/ou synthétiques, le duo transalpin continue ainsi à tracer son noir dessein au pinceau à gros poils en injectant force charbon dans sa mixture pour l'épaissir encore et encore. Légèrement expérimentale mais pas cérébrale, la musique d'OvO continue son travail de sape entamé depuis maintenant treize ans, passe sa paume abrasive sur la moindre parcelle de peau et électrise le corps entier. Il n'a jamais été si près de nos os, sa noise agglomérée tapant de plus en plus fort sur le système dans un mouvement d'addiction/répulsion qui ne semble jamais vouloir s'arrêter. On adore détester Abisso tout autant qu'on déteste l'adorer : pénible, accaparant, il n'en reste pas moins brillant. Il griffe notre épiderme et le suture juste après, frotte dans le mauvais sens du poil avec des gants de boxe dans un mouvement qui se rapproche vaguement d'une caresse. Il provoque nombre d'émotions contradictoires, agace et encore plus sûrement sidère, nous rend captif de son ossature disloquée et cinoque en nous communiquant en traître sa vibration bien sale et chaotique. Il en devient alors tout simplement cathartique.

Envoûtant.

leoluce


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