mercredi 19 septembre 2012

Blut Aus Nord - Cosmosophy


Date de sortie : 21 septembre 2012 | Label : Debemur Morti Productions

Cosmosophy vient clore la trilogie amorcée avec Sect(s) (avril 2011) et poursuivie par The Desanctification (novembre 2011), trois albums qui devaient se suivre à sept mois d'intervalle si Vindsval n'avait senti la nécessité de retravailler le dernier. Une trilogie dont les deux premiers opus m'ont beaucoup, énormément, inlassablement accompagné plusieurs mois durant (et continuent d'ailleurs à le faire). Il en sera de même pour celui-ci. Pourtant, ce n'était pas gagné d'avance : j'ai toujours préféré le versant froid et désincarné de Blut Aus Nord, son côté abstrait et richement texturé, ses empilements de riffs carillonnants et morbides, son côté sec et sans fioritures à ses claviers envahissants. Et ici, de l'entame nue d'Epitome XV aux nappes symphoniques d'Epitome XVI, du refrain trop évident d'Epitome XVII au chant clair qui tapisse la plupart de ses morceaux, Cosmosophy montre indéniablement le visage de Blut Aus Nord que j'aime le moins et une multitude de choses me chiffonnent. Dès lors, l'adhésion est venue beaucoup moins vite que pour ses prédécesseurs. Sect(s) était froid, dissonant, pas simple et dur, The Desanctification bien plus chaud, accueillant et psychédélique. La même formule, le même groove malade et déliquescent mais avec des intentions bien différentes. Un message altéré de l'un à l'autre. Bien sûr, sur cet ultime chapitre, le groupe poursuit son paradigme : ne pas se répéter et ouvrir son black metal claustrophobe et singulier à tous les vents, bien qu'il ait emprunté ici et là, tout au long de cette trilogie, aux multiples opus de sa désormais riche discographie. Le curseur se déplace en permanence sur un segment borné d'un côté par l'indépassable et indispensable MoRT soit le côté asphyxié, malsain et jusqu'au-boutiste de Blut Aus Nord et de l'autre par les deux volets de Memoria Vetusta, en gros lorsque son black abandonne ses topoï pour injecter force nappes planantes (voire symphoniques hélas aussi, ce qui n'est pas exactement la même chose) dans sa mixture glauque. Cosmosophy se meut indéniablement aux côtés de ceux-ci (et de Memoria Vetusta deuxième du nom en particulier) quand Sect(s) préférait fricoter avec les eaux lourdes et noires de MoRT (ou celles de The Work Which Transforms God, ce qui revient plus ou moins au même), The Desanctification étant quant à lui quelque part entre les deux.

Il se tient aux côtés de ceux-ci sans être toutefois exactement identique. C'est qu'au final, le segment pourrait se faire triangle si l'on inclut le mini-épisode Thematic Emanation Of Archetypal Multiplicity au périmètre délimitant les eaux troubles dans lesquelles fraye la trilogie. Ainsi Cosmosophy montre des intonations dark ambient (le début d'Epitome XVI, la fin d'Epitome XVII) mais aussi industrielles et développe un clair-obscur assez inédit pour une entité jusqu'ici attirée majoritairement par le noir foncé. Pourtant, Epitome XIV qui débute le disque reprend le propos exactement là où son prédécesseur l'avait abandonné. Des riffs lourds en provenance directe de la nébuleuse où sévit Godflesh et ce côté hypnotique et pachydermique paradoxalement très aéré. Puis arrivent les voix. Qui, elles, n'ont plus rien à voir. Terminés les grondements sourds, le growl inaudible et arraché, monologue intrigant et chevillé à l'ossature des morceaux comme un instrument supplémentaire. ici, le chant devient clair. Surprenant au regard des deux opus précédents. Surprenant mais pas inintéressant car il faut bien avouer que tout cela fonctionne, d'autant plus que le titre retrouve les cassures et les lignes de fuite caractéristiques du son Blut Aus Nord, en particulier ces riffs bizarroïdes et altérés, distordus, comme voilés par une trop longue exposition au soleil ou à une quelconque lumière artificielle. Surprenante toujours l'introduction d'Epitome XV, tout à la fois industrielle et désincarnée, hantée par des chœurs lointains imitant le vent qui s'engouffre au travers des murs éventrés d'une ville fantôme et par un chant parlé déclamant on ne sait trop quoi avant de s'étrangler dans une langue incompréhensible (à moins qu'il ne s'agisse d'Allemand, ce qui revient au même me concernant). Puis sur sa moitié, les guitares, la grosse caisse, les percussions synthétiques (ou non) et les synthétiseurs font irruption d'un coup et l'on retrouve alors et encore une fois le groupe que l'on connaît. Bref, deux titres qui suffisent à définir la gageure de Cosmosophy : effacer les repères pour mieux se retrouver. Car le pendant à ce genre de construction du coq à l'âne, c'est de perdre l'auditeur qui attend quelque chose de précis. Et si l'on retrouve ici ce que l'on attend par intermittence on croise aussi beaucoup de choses que l'on n'envisageait pas concernant 777 à l'écoute des deux opus précédents. Bien sûr, c'était oublié tout ce qui fait l'intérêt de Vindsval et ses sbires : on a déjà entendu ça mais jamais de cette manière-là. Ainsi sur Cosmosophy, Blut Aus Nord donne l'impression d'avancer tout nu et le disque de nous permettre de comprendre tout ce qui fait la singularité de ce monstre sombre et abstrait : le catégoriser, c'est l'enfermer ou en tout cas, fortement le diminuer.

On parle ainsi de black mais au fond, on sait bien que l'entité mystérieuse a depuis longtemps largué les amarres pour explorer des voies qui n'appartiennent qu'à elle. Et puis, rien qu'à l'écoute des Epitome XV, XVI ou XVII, est-on bien sûr de pouvoir encore user du vocable black ? Après tout, cela n'a strictement aucune importance, ce dont on est sûr, c'est que l'on peut, sans coup férir, user de celui de Blut Aus Nord. Et alors même que l'adhésion tarde à venir, il est bien évident  que celle-ci finit par arriver. Qu'importe le refrain d'Epitome XVII, il est de toute façon noyé dans la masse, qu'importent les synthétiseurs bavards planqués un peu partout, le carillon morbide du groupe a tôt fait de les englober et Epitome XVIII, parfaitement hypnotique, presque transcendantal, achève de brouiller notre perception. On a tout oublié alors que les dernières notes résonnent autour de nous, complètement captifs des entrelacs et de la lumière blafarde charriés par ces morceaux aux frontières indiscernables et floues, il ne reste plus alors qu'à tout rembobiner et caler Cosmosophy sur ses premières mesures pour tenter d'en faire le tour ou tout du moins, de le cerner. À moins que l'on remonte à celles d'Epitome I car l'envie est forte d'appréhender la trilogie comme un tout et s'il est bien loin d'être obligatoire d'avoir écouté les deux premiers pour apprécier le dernier, l'enchaînement des trois montre à quel point Blut Aus Nord a frappé fort. Synthétisant en dix-huit morceaux tous ses visages, toutes ses expérimentations, 777, avec ce dernier volet, montre toute sa logique : obscur, clair-obscur puis clair tout court. Bien qu'il convienne là aussi de nuancer le propos : le clair de Vindsval sera toujours plus sombre que le nôtre. Quoi qu'il en soit, peut-être moins évident que Sect(s) et The Desanctification par ses côtés justement parfois trop évidents, Cosmosophy n'en demeure pas moins une belle réussite et clôt ainsi une trilogie parfaite et équilibrée qui donne à voir un groupe se lancer dans l'art subtil du mouvement immobile. Mouvement que Blut Aus Nord maîtrise parfaitement, cela va sans dire. Encore une fois parfaitement emballé par les soins des puristes fureteurs de Debemur Morti Productions, Cosmosophy maintient cet indispensable triptyque à des hauteurs insoupçonnées : le cosmos pour philosophie.

Il n'y a pas à dire, le titre est parfaitement trouvé.

leoluce

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire