Date de sortie : 23 mars 2013 | Label : Utech Records
Au commencement était un œuf. Au
sein du sombre chaos délimité par sa coquille, Ciel et Terre étaient mélangés.
On y trouvait également Pan Gu (ou Pangu, ou 盤古
pour les puristes) qui dormait
profondément d’un sommeil de dix-huit mille ans. Quand ce dernier ouvrit les
yeux, il ne vit que l’obscurité et, un brin taciturne, se mit en colère : dans
un mouvement de rage, il brisa la paroi de l’œuf et libéra tout son contenu et donc, aussi, lui-même. Ciel et Terre apparurent mais de crainte que ces derniers ne
se réunissent à nouveau, Pan Gu fit son Atlas et soutint le ciel, ses pieds
fermement ancrés au sol. Et au fur et à mesure qu’il grandissait, Ciel et Terre
grandissaient avec lui. Dix-huit mille ans passèrent à nouveau. Pan Gu, alors
grand de quarante-cinq kilomètres, complètement épuisé (on le serait à moins
après ce genre d’effort) mourut et son corps se métamorphosa : la lune
pour l’œil droit, le soleil pour le gauche quand sa barbe et ses cheveux
donnèrent les étoiles et le reste de son corps tout un tas d’autres trucs à
côté desquels nous vivons aujourd’hui. Une belle légende chinoise pour un beau
disque qui réunit, un peu comme l’œuf originel, deux choses apparemment aussi
antinomiques que le Ciel et la Terre : la délicatesse et l’intransigeance.
Le côté inflexible de Pan Gu est
apporté par Lasse Maraugh, bien connu des amateurs(trices) d’Utech et plus largement des amoureux(euses) de noise. Pour ma
part, j’ai découvert les travaux du bonhomme lors de l’achat du premier Ural
Umbo en 2010 qui était arrivé dans ma boîte aux lettres accompagné de Beauty Without Mercy, histoire de fêter dignement les cinq années du label. Une seule et
longue pièce expérimentale de vingt minutes gorgée à la fois de doom et de drone - emballée sous une pochette des plus intrigantes qui plus est - qui
m’avait immédiatement convaincu de suivre la piste semée d’embûches de la
discographie pléthorique de Marhaug. Un stakhanoviste du bruit déviant tout
aussi terrifiant que passionnant, quelque chose comme un Merzbow scandinave,
infatigable artisan d’une musique volontiers bruitiste dont il a défini les
contours sur plus de deux cents enregistrements qu’il en soit le seul artisan ou
en collaboration. Le côté délicat de
Pan Gu provient, lui, de Leslie Low que je découvre aujourd’hui à la faveur de
ce projet. Dès lors, le concernant, je ne sais pas grand chose, tout au plus
qu’il fut membre d’Humpback Oak, groupe indie rock de Singapour aujourd’hui
disparu et qu'il évolue maintenant au sein de The Observatory, toujours de Singapour mais dans une veine plus
space rock et progressive malaxant électronica et rêveries ambient. Il a
également sorti quelques disques sous son propre nom. Toutefois, pour se faire
une idée des travaux de Leslie Low, un seul détour par son site devrait suffire.
Pour ma part, je m‘y suis baladé puis perdu quelques temps, totalement fasciné
par les images mouvantes étroitement mêlées à la musique que l'on y trouvait.
Primeval Man Born Of The Cosmic
Egg sonne exactement comme ce que la fission entre
la noise de l’un et l’apaisement, la solennité de l’autre, entre les bruits
synthétiques et tordus de Lasse Marhaug et les harmonies profondes et célestes de
Leslie Low promettait. Une sorte d’ambient extrêmement douce dans ses contours et
disloquée dans ses fondations, vrillée d’attaques harsh noise distordues et
fracassantes. Un disque où l’on se perd, la tête dans les étoiles et les tripes
plombées, rappelant de loin RM74, tout aussi sale et tout aussi beau. Une
musique tendue qui happe dès les premières secondes et ne relâche son étreinte
qu’à l’extrême fin de ses six titres et même, finalement, bien après. Cette façon de déchirer la mélodie et de l’éparpiller en milliers de fragments célestes,
c’est vraiment la marque de fabrique du duo : il en va ainsi de la fin
de Silver Needle, Little Dragon, superbe morceau aux boucles ensorceleuses
défigurées sur ses vingt dernières secondes par un flot de particules
bourdonnantes voilant la mélodie et c’est encore le cas sur le suivant, Fleas
Were The Ancestors Of Mankind, plus typiquement marhaugien dans son
développement strictement noise mais montrant une profondeur de champ et une
maîtrise de l’espace impressionnantes sans nul doute apportées par Leslie Low.
D’ailleurs, le disque paraît presque symétrique, un titre sur deux mettant en avant des
mélodies fragiles grêlées de sons distordus quand les autres s’appuient sur des
bruits torturés parcourus d’un souffle apaisé. Vraiment, une musique qui tend à
rejoindre les deux extrémités du spectre acoustique et se tenant de fait
exactement au milieu : Pan Gu refuse de choisir entre bruit et musique, Pan Gu sera donc les deux.
Un morceau comme Elixir Of Death le montre bien : à la
base, un grésillement parsemé de météores aigus zébrant la nuit noire de leurs
trajectoires incandescentes, quelques notes froides et retenues issues d’une
guitare déformée qui enflent peu à peu, grondent, des nappes de drone les
accompagnant, passant progressivement au premier plan alors que les cordes se
taisent puis reviennent comme le ressac. Puis vient la voix de Low, elle aussi
déformée, en renfort de la mélodie. C’est beau, c’est long, c’est magnifique et l’on
reste captif du morceau alors que tout se superpose jusqu’à tout occuper,
l’espace et le temps. Et il
ne s’agit là que d’improvisation menée sans autre but que de voir où la confrontation de l'âpreté électronique de Lasse Marhaug aux boucles modelées de Leslie Low conduisait. Primeval Man Born Of The Cosmic
Egg scelle sur bandes ce qui n'est après tout que leur deuxième rencontre après une première performance à Singapour. Quand on sait cela, alors que déjà le disque époustoufle, on ne peut qu'être sidéré. Les deux musiciens tracent en seulement six titres les frontières d'une ambient ambitieuse, tout aussi malaisée qu'accueillante, ardue qu'accessible, déstructurée que bien construite dont vous pouvez découvrir la froide beauté ci-dessous. Que pouvions-nous attendre d'autre d'une sortie estampillée Utech ?
Sous leurs magnifiques atours, ces six titres cachent une multitude de lames de rasoir. Vous étiez prévenus.
Sous leurs magnifiques atours, ces six titres cachent une multitude de lames de rasoir. Vous étiez prévenus.
leoluce
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