Date de sortie : octobre 2012 | Label : Gaffer Records
Concernant
celui-ci, nous sommes très (trop) en retard. Il date de 2012. Personnellement,
je l’apprivoise depuis quelques semaines, ce qui n’est sans doute pas suffisant
mais dans le même temps, son premier passage sur la platine a été corrélé à l’envie d’écrire
quelques lignes. Pour expliquer pourquoi il faut l’écouter, en
quoi il se démarque de l’ordinaire, comment il s’y prend pour se maintenir bien
droit alors qu’un tel vent l’habite. Découvert à l’occasion du fantastique Live
où le groupe croisait le fer avec Evan Parker, c’est-à-dire sur le très tard (bien que Noir ne soit, après tout, que leur premier album studio alors que le trio existe depuis 1992),
Marteau Rouge m’a toujours, depuis, intrigué. Leur nom résonne et frappe fort
et alors que l’on s’attend à une musique martelée, percussive aux impacts puissants
et répétés, on est surpris par le silence qui l’habite. Pas de sang sur ce
marteau. À la place, un fluide bien plus abstrait, moins épais, moins visqueux
mais avec ce même goût de fer. Quelque chose de tout aussi vital.
Il s’agit avant tout d’improvisation où les
musiciens se confrontent, jouent au chat et à la souris, avancent à pas feutrés
et parfois aussi se percutent. Il y a déjà de quoi écrire beaucoup sur les
apports de chacun : la guitare au vocabulaire singulier de Jean-François
Pauvros. Il peut lui faire ce qu’il veut, arracher ses cordes, les griffer,
leur balancer des pains ou les caresser, ce qu’il crée est en permanence
miraculeux. Chaque note invite au replis sur soi, chaque son conduit à
l’intérieur de la tête. Il en va de même pour tous les bruits issus de
l’arsenal synthétique de Jean-Marc Foussat : lignes incongrues,
nappes abstraites, field
recordings issus du quotidien, silence tendu ou apaisé, borborygmes,
hennissements. On comprend vite pourquoi il a collaboré avec des
musiciens comme Fred Frith, Robert Wyatt ou Steve Lacy. Tout ce qui sort de ses
machines, tout de suite se mélange au spectre sonore laissé vaquant par les
griffures de Pauvros. Et lorsqu’on se dit qu’il reste bien peu de place pour
Makoto Sato, le moindre coup de baguette met le doigt sur les zones d’absence
créées par ses deux acolytes. Un touché à la fois fin et robuste. Typiquement jazz là où Pauvros et Foussat se montrent sans doute plus typiquement atypiques.
Tout cela
mis bout à bout contribue à définir Marteau Rouge. Une musique pointilliste et
pointilleuse qui se construit par petites touches successives et qui frappe
autant dans ses détails que dans son ensemble. Une écoute minutieuse permet
d’entendre comment tout cela s’amalgame, comment chaque instrument rentre dans
les autres. Une écoute plus distraite dévoile le dessein et les deux sidèrent
en permanence. La musique de Marteau Rouge est tout à la fois
fragile et solide. Au premier morceau, on saisit les sons à la volée, au moment où
ils sont émis parce qu’il faut bien se raccrocher à quelque chose et que le
silence intrigue. Incapable de savoir à l'issue d'une seconde là où nous amènera la suivante, incapable de saisir le tout, on s’attarde sur l’ossature.
Au second morceau, déjà un peu moins surpris, on laisse le cerveau combler les
vides mais la vision d’ensemble reste tout de même parcellaire. On extrapole, on se
projette mais on est, de toute façon, à côté. Sur les suivants, c’est
plus ou moins la même chose car Marteau Rouge ne se laisse pas facilement apprivoiser.
Non pas
qu’il soit abscons et à tel point complexe qu’il laisse l’auditeur sur le bord
de la route mais bien plutôt parce que ce dernier, pour entrer dans le disque,
doit accepter de s’y abandonner complètement. Inutile d’analyser, de faire
appel à des références qui permettraient de jalonner l’écoute quand il n’y a en
fait qu’une seule chose à faire : se laisser porter, ne pas lutter, laisser
le Marteau Rouge couler en soi et partir avec lui à l’aventure. Laisser son
jazz improvisé et singulier s’insinuer et faire sens. Créant une véritable
atmosphère, un canevas de textures où s’entrechoquent électronique, guitare et
percussions : une nappe sombre zébrée d'un charivari de peau et de cymbales où s’ébrouent quelques arpèges de guitare, quelque chose qui reste au plus près du sol ou au contraire qui vise les cimes… Le corps tout entier suspendu au moindre
mouvement. Impossible de décrire les morceaux parce qu’on ne saurait mettre en
mot une musique en mutation perpétuelle. Pas d’ennui ici, pas de démonstration vaine, pas de masturbation technique mais l’envie d’en découdre et de jouer ensemble.
Marteau
Rouge… Personnellement, je me demandais où était passé la faucille mais à
l’issue de l’écoute et après avoir réécouté leur collaboration avec Evan
Parker, finalement, tout s’est clarifié : le trio n’est pas
révolutionnaire, il n’agit pas en réaction à quelque chose. En revanche, il se
fiche des stéréotypes et des figures imposées et c’est bien en cela que sa
musique est unique. Un grand coup de marteau dans les conventions. Quand on l’écoute, ce qui frappe le plus au final, et que
l’on retient, c’est avant tout sa grande liberté. Celle qui lui permet de
construire un mouvement comme Entre… à partir des doigts Jean-François
Pauvros glissant sur les cordes pour les faire miauler puis crisser et pour finir, sonner comme un
violon. La batterie accompagne cette métamorphose, d’abord délicate, presque muette, gagnant
peu à peu en sauvagerie. Makoto Sato giflant ses cymbales, les déchiquetant
tout en gardant sa délicatesse alors qu’un grand fracas d’ondes nocives issus
des fils emmêlés, de la jungle de boutons et de curseurs de Jean-Marc Foussat enveloppent
le tout. Une tension triangulaire. Un mouvement d’animal qui se réveille pour partir en chasse. Un
mouvement qui permet de saisir toute la félinité du trio. Et toute sa liberté.
Tous les
autres sont exactement pareils (mention spéciale à l'implosif Noir qui achève le disque et lui donne son titre) : eau qui dort ou mer déchaînée, peu importe, le
courant nous emporte.
leoluce
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