Sortie : 18 mars 2013 | Label : Lost Tribe Sound
Derrière son projet Vieo Abiungo, William Ryan Fritch avait habitué ses
auditeurs à des envolées exigeantes, faites d’expérimentations ethniques et de
jazz luxuriant. Son Thunder May Have Ruined The Moment, perle enfumée et succès
critique, s’inscrit ainsi dans les meilleurs disques de l'année 2012. Membre
également de Skyrider et du génial Tokyo Bloodworm, le multi-instrumentiste a
publié sous son nom propre plusieurs albums sur le label Asthmatic Kitty. S’il
est loin d’être à sa première composition pour des œuvres cinématographiques, la
bande originale qu'il destine au documentaire de Pete Nicks fait l'effet d'une
décharge de sublime. Comme lorsqu’il devient Vieo Abiungo, l'album est publié
par les américains de Lost Tribe Sound, refuge notamment des délicats Part
Timer, et maison résolument passionnante.
The Waiting Room est un documentaire sur le Highland Hospital d’Oakland,
sur les patients, les proches, le personnel qui le parcourent. Sur cette salle
d’attente qui représente elle-même un lieu de travail, un sas et une bulle
d’inquiétude. N'ayant encore vu ce film, c’est à l' imagination qu'il faut se résoudre, elle-même portée par tout ce que la musique de Fritch a de suggestif. La
question de l’adéquation entre le visuel et le sonore ne saura donc être abordée
ici. Le parti pris d’aborder cette bande originale comme une œuvre en soi
s’impose de lui-même, tant ces 12 morceaux capturent tout entier et
s’appréhendent comme on le ferait d'un album.
A la première écoute, The Waiting Room OST glisse, comme quelque chose de
très beau, sur lequel on n’a nulle prise. A la troisième, le disque est devenu
un nid, une tanière exclusive et personnelle dans laquelle on se retire pour se
gorger des paillettes de beauté pure que distille William Ryan Fritch.
Exclusivement instrumentaux, foisonnant de cordes, de souffles et de lueurs
grelottantes, les morceaux se déploient et avec eux des arrangements troublants
de limpidité. Point de drones ni de fluides tribaux en ces lieux, le substrat
est d’exception, l’œuvre apparaît comme à la fois bruissante et dépouillée,
minutieuse et accessible. L’homme ne trahit pourtant pas son essence et les
percussions et claps de The Cost, the Value of Health ne sont pas sans réveiller
le spectre de Vieo Abiungo. Mais s’il y a un fait marquant à dégager de ce
sublime exercice, il est à chercher dans la région de l’émotion. Nul besoin de
se remémorer que ces titres soutiennent une illustration du système de santé
américain et d’hommes et de femmes dépourvus d’assurance pour être frappé par
la dimension humaine qui les habite. On peut d’ailleurs n’y penser qu’après,
établissant avec un peu de lenteur ce lien logique.
Comme le fait probablement Nicks avec les personnes qu’il filme, Fritch
peint le vivant par petites touches. Il serait simpliste de diviser l’objet en
une palette de sentiments distincts, pourtant le compositeur dessine des aléas
et invite l’auditeur à emprunter ces sinueux corridors, creusant l’incertitude,
sculptant l’angoisse, le temps du silence entre deux notes de piano. C’est
parfois le calme qui envahit les délicates manipulations instrumentales,
parfois l’empathie ou la joie brusque. Jamais l’émotion ne semble univoque ou
n’existe pour elle-même, c’est dans l’interaction et dans le sens que lui donne
la personne qui la porte qu’elle s’exprime et tenaille. Et l’auditeur d’être
terrassé par la noblesse d’un violoncelle, par les courbes virevoltantes d’une
volée de notes cristallines.
Deux pièces, saillantes, pourraient être extraites de cet ensemble
majestueux de bouts d’histoires. Sur Hold High You Head, la rencontre entre le
canevas orchestral que brode le piano et la rythmique grave, hachée, concrète,
donne le sentiment que l’univers sonore se duplique. La fraicheur de ces notes
contrastant avec le tourbillon tourmenté qui prend possession du corps du
morceau, il est difficile de ne pas connaître à son écoute une sorte de douce
déchirure. Mais le diamant de ce disque, celui qui donne envie de hurler et
vous éclate le cœur, est contenu dans les 3’21 minutes que dure It Moves With
or Without You. L’attente, l’urgence, la cavalcade, la montée, le choc, coup de
poing extatique. William Ryan Fritch est de ces compositeurs à vous imprégner
l’âme.
Avec l’album craquelé de Graveyard Tapes qu’ils viennent également de
sortir, Lost Tribe Sound s’impose comme un label fascinant. The Waiting Room
OST, beau comme une évidence, est un grand disque de ce début d’année.
Bouleversant.
Manolito
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RépondreSupprimerMerci pour votre blog, l'eclectisme de vos choix fait plaisir a mes oreilles.