Date de sortie : 22 mars 2013 | Label : Denovali Records
Le précédent et premier album de Petrels, Haeligewiele,
résonne encore assez clairement dans nos souvenirs pour accueillir le petit
nouveau, Onkalo, les bras grands ouverts. A sa sortie, il avait été
difficile de résister à cette ambient-mais-pas-que extrêmement détaillée qui nous prenait
par la main pour nous emmener directement au fond de l'océan, dans l'obscurité
absolue et le froid le plus enveloppant. Que l'on se rassure, Onkalo
propose plus ou moins le même voyage mais poursuit cette fois-ci une muse plus
humaine, non moins troublante et inquiétante. Onkalo donc, du nom de
ce projet finlandais schématisé sur la pochette, initié dans les années 70 visant à creuser dans le granit,
à plusieurs centaines de mètres sous la terre, des kilomètres et des kilomètres
de galeries pour y enfouir les déchets nucléaires de manière à ce qu'ils s'y
consument au moins 100 000 ans à l'abri de toute forme de vie mais aussi des
regards et des opinions contraires. Car lorsque les galeries seront pleines,
aux environs de 2100, il est prévu de les sceller avec la ferme intention de ne
surtout pas oublier de les oublier. Un projet qui suscite de l'inquiétude et
des interrogations infinies (quid des générations futures, qu'en feront-elles ?) et offre un terreau parfait pour que puissent y
pousser les drones tendus de Petrels. Plus que jamais, sa musique évoque
les galeries souterraines de granit froid et gris, l'enfermement et aussi, très
paradoxalement, l'antre de quelque chose de beaucoup plus doux et chaud, un
cocon par exemple. Majestueuse, solennelle, souvent magnifique, son ambient
enveloppe les synapses et le corps tout entier durant soixante-quatorze minutes au terme
desquelles on a bien du mal à trouver la moindre porte de sortie. Car il y a de
quoi y fureter un bout de temps, à tout détailler ou à se laisser porter par
les ambiances majoritairement inquiètes, voire même à essayer de comprendre
comment Oliver Barrett réussit à développer un si confortable inconfort.
On aime la valse des électrons au début du
superbe Gulio's Throat mais l'on aime aussi les soixante secondes
d'acouphène qui viennent mettre un terme aux vingt minutes de Characterisation
Level et pourtant, les uns ensorcellent quand les autres indisposent. Mais on
apprécie tout autant. Partout ailleurs, ce sont surtout les nappes et les
cordes que l'on suit, à commencer par celles d'un Kindertransport final
qui puise son inspiration dans le folklore européen et emprunte son nom à l'opération
organisée par la Grande-Bretagne quelques mois avant la seconde guerre mondiale
qui permit de placer près de 10 000 enfants
principalement juifs d'Allemagne, d'Autriche ou de Tchécoslovaquie dans des
familles d'accueil anglaises ou des pensions. Un hommage qui captive tout du
long et qui sait surtout ne pas en faire trop là où un tel sujet pouvait faire
craindre des cordes pleurnichardes qui imposent une émotion. Une émotion au contraire ici
simplement suggérée. Un peu avant, le jeu rythmique et les cordes distordues
des deux parties de Trim Tab auront, elles
aussi, fait merveille dans un registre légèrement plus rustre. Et on aurait tôt
fait de détailler tous les morceaux d’un disque dont on regrette parfois qu’il
ne montre pas plus ses crocs. Toutefois, à son écoute, on sent bien à quel
point tout ceci n’est pas qu’un simple ronronnement conventionnel et romantique,
certes joli mais légèrement vain. Il se dégage une vraie force d’Onkalo car le
projet, avant tout, a une âme et montre une belle subtilité que l’on a
simplement un peu peur de dénaturer avec
des mots. On pouvait également craindre un pensum boursouflé à la lecture des
titres qui le constituent mais là aussi, il n’en est rien. Point de départ
de compositions qui arpentent les pistes d’une ambient synthétique et organique
qui ne cherche pas à démontrer, les événements et situations dont elles s’inspirent
sont livrés tels quels, bruts et sans préjugés ni parti pris, à l'auditeur d'y mettre ce qu'il pense.
Petrels poursuit la voie de la mise en sons d’émotions brutes, celles d'Oliver Barrett.
Sa musique n’est qu’une traduction abstraite du monde qui l’entoure. Dès lors,
malgré la gravité des sujets traités, pas de nappes désespérées, pas de visions
sombres et jusqu’au-boutistes, pas de mise en garde donc, juste des
interrogations, des sentiments contradictoires traduits en notes éparses, en
textures variées et riches. Onkalo passe vite et n’ennuie jamais, il provoque
également l'envie d'y revenir souvent, une envie pas toujours évidente à trouver dans les disques
d’ambient. Sans doute parce Petrels œuvre dans autre chose de plus diffus que l'on a bien du mal à définir : de l'ambient certes mais aussi un soupçon de post-rock, des bribes de classique et d'électronique, des chœurs curieux, un peu de ci, des poussières de ça, des fragments de tout modelés précisément pour que surgissent un panel d'émotions qui accaparent toute l'attention. Belle musique qui n’a pas peur d’exposer un peu de matière grise
de-ci de-là au cœur d’une architecture qui privilégie partout ailleurs le pouvoir évocateur des images mentales qu’elle suscite. Il ne s’agit pas
que de ressentir, les thèmes sont ici utilisés pour donner un peu plus de substance aux scènes fugaces qui prennent corps derrière les yeux. C'est bien ça qui donne toute leur profondeur aux drones vaporeux sur lesquels s'érige chaque pièce, éloignant pour de bon la tentation du simple papier peint sonore, aussi joli soit-il. Onkalo n'est pas moins qu'une œuvre cohérente que l'on s'approprie sans difficulté et que l'on suit, bien content de traîner à ses côtés pour voir simplement où nous mènera l'errance : au cœur du granit, sous terre, plus tard dans une tentative de communication avec l'avenir, bien avant, partout, tout le temps.
Encore une fois, Petrels fait mouche. En s'inspirant du feu nucléaire, il revêt les atours les plus retors de la radioactivité : invisible, inodore, elle attaque pourtant en profondeur.
Beau.
Beau.
leoluce
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire