mardi 20 mars 2012

The Carapace - Moments in Time.


Date de sortie : 3 janvier 2012 | Label : Signifier

Basé à Middletown dans le Connecticut, Joshua Colella officiait encore il y peu dans les sphères hardcore sous l'identité de scrap.edx, projet dont la mixture de breakcore, d'IDM et de techno industrielle a fait les belles heures de feu DTA Records et plus récemment du label Hands Productions - Empusae, Xabec, Klinik, Winterkälte, Orphx... autant de beatmakers et de formations portés sur le côté sombre, violent et mécanique de la musique électronique qu'on aime.

Une assise post-indus que l'Américain su conserver avec The Carapace tout en la pliant à de nouvelles ambitions, plus atmosphériques et nuancées. Moments in Time empile ainsi en un subtil organigramme de boucles différentielles les couches de beats pulsés, de glitchs fuyants, de distorsions cybernétiques, de mélodies synthétiques et de nappes éthérées comme il aligne ces moments aussi fugaces que troublants où la vie questionne notre identité et semble soudain faire sens.

A la croisée de l'abstraction mentale et de l'évocation cinématique, la musique de The Carapace quoiqu'en plus acide et uptempo rappelle un peu dans sa démarche celle de Grauraum chez Raumklang Music, dans cette capacité à faire dialoguer des boucles rythmiques à la fois massives et précises avec d'autres plus brumeuses et contemplatives, mais également pour ce parfait compromis entre efficacité et sens du détail, impact somatique et dimension onirique. A ce titre on pourrait également citer Hecq ou pourquoi pas Architect du côté d'Hymen Records, mais c'est bien l'ex Hotaru Bay qui était peut-être le plus proche jusqu'ici de réussir le tour de force de mêler avec une telle limpidité épure hypnotique et foisonnement épique sur la longueur d'un album. Jusqu'ici, car The Carapace, en terme de virtuosité et de complexité mais également de profondeur et de substance, place d'emblée la barre deux crans plus haut - à l'altitude justement d'un Hecq.

Essentiellement composé à partir de field recordings retravaillés par le musicien jusqu'à en devenir méconnaissables, les huit compositions de l'album brassent en effet autant d'humeurs et de sensations qu'a pu en éprouver Joshua Colella durant ces instants éphémères mais prégnants. Étonnement songeur (08/02/2009), urgence inquiète (10/06/2009), curiosité mystique (12/19/2009), étrangeté gothique (02/27/2010) ou peur panique (08/08/2010) sont ainsi quelques-uns des sentiments expérimentés à l'écoute de Moments in Time, particulièrement propice à ce processus d'identification qui fait de l'aventure une véritable expérience extra-corporelle.

Et lorsqu'au détour d'un morceau une respiration nous rouvre au monde extérieur comme à la fin du cyclothymique 12/24/2010 alors même que les accords apaisants d'une harpe semblent vouloir saisir la beauté fugitive d'un bonheur d'enfants, les cris des bambins s'estompent aussitôt pour mieux nous laisser replonger en apnée dans le malaise sourd de l'oppressant 03/06/2011, malice de l'ellipse dont le beatmaker use sans en abuser sur un disque dont la construction semble couler de source, jusqu'à la conclusion martiale d'un 06/29/2011 aux prises avec le pouvoir d'inertie de la fatalité.

"J'ai envisagé cet album comme une méditation pour aider à soulager l'esprit durant des périodes de changement et de complexité", explique-t-il dans un court manifeste sur sa page Bandcamp. Heureusement, le résultat n'a rien d'une bande-son New Age et risquerait fort de plomber votre séance de développement personnel. L'esprit se nourrit de doutes et contradictions, et ça l'Américain l'a bien compris : il en a même fait un chef-d’œuvre.

Rabbit

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