Tout commence par une masse de bruits assez difficile à déterminer, une ouverture grouillante et saturée quelques secondes durant puis arrivent les rythmes synthétiques, simples et massifs, et surtout les ondes destructrices de la basse. On est en terrain connu si on s'en tient à la rythmique mais c'est sans compter sur la multitude de scories rugueuses et poussières saturées qui viennent à la fois méthodiquement la salir et lui donner, par opposition, tout son éclat. C'est d'ailleurs l'un des traits dominants de Posthuman, cette façon d'associer systématiquement dans un même mouvement une chose et son contraire. Ainsi la basse lisse et ronde s'oppose aux grognements sursaturés de la voix, la simplicité des beats est contrebalancée par des textures complexes et détaillées, l'électronique omniprésente se heurte aux guitares agressives et tous ces éléments disparates et antinomiques concourent pourtant à la mise en place d'une atmosphère monolithique qui ne dévie jamais neuf morceaux durant. Le disque est hermétique, recroquevillé sur lui-même, totalement clos. Aucune aération pour chasser la forte odeur de souffre qui règne en son sein, pas la moindre ouverture qui pourrait permettre à la lumière de caresser les angles. Tout ici est sombre, vicié, larvé, flippant et l'absence totale d'ironie montre à quel point il faut appréhender Posthuman au premier degré.
En ressuscitant son pseudonyme JK Flesh utilisé jadis au sein de Techno Animal, monstre pseudo hip-hop mais vraiment déviant, Justin K. Broadrick donne pourtant quelques indices : pour les harmonies aériennes, contemplatives et faussement apaisées, c'est bien vers Jesu qu'il faut se tourner et pour l'abstract purement synthétique, prière de lorgner du côté de Pale Sketcher. Ici, ce n'est même pas le fantôme de Godflesh qu'il convoque, pas plus que les métissages collectifs et plombés de The Blood Of Heroes ou même de Greymachine, il s'agit bel et bien d'une nouvelle incarnation, d'un nouveau visage qui vient s'ajouter à l'éventail déjà assez large de ses avatars tonitruants. Alors bien sûr, il emprunte à droite à gauche, injecte des gouttes d'abstraction dans la sauvagerie, de l'agressivité dans les contours électroniques, des pièces de métal dans l'ossature synthétique mais le tableau ainsi créé ne rappelle pas précisément une période au détriment des autres. Ni Jesu, ni Godflesh, même pas Pale Sketcher ou quoi que ce soit d'autre mais peut-être tout à la fois et dans le même temps, rien de tout ça. Ce que l'on sait en revanche, c'est que JK Flesh fait appel au côté le plus conquérant et menaçant de J. K. Broadrick et si l'ensemble sonne de prime abord indubitablement familier pour les habitué(e)s du travail de l'Anglais, son observation plus précise montre des aspects réellement inédits dans sa pourtant très riche discographie.
Bien sûr, on ne rentrera pas dans le détail de ces neuf morceaux, il vous suffira de les découvrir par vous-mêmes, mais en revanche sans doute nous arrêterons-nous sur quelques uns d'entre eux susceptibles de vous mettre l'eau à la bouche, car Posthuman se révèle être une sidérante expérience sonore à côté de laquelle il serait bien dommage de passer. Ainsi, Earthmover, long reptile technoïde qui mêle growl saturé et souterrain, nappes profondes et malsaines, rythmique martiale et guitares pesantes impressionne carrément, les stridences synthétiques qui le parcourent s'écrasant contre une pulsation grave et syncopée particulièrement aliénante. Comme si le morceau tordait l'espace et le temps autour de lui à la manière d'un trou noir qui apparaîtrait à la naissance des enceintes : le caisson de basse souffre et s'enfonce dangereusement sur lui-même alors que les baffles hésitent entre bouillie sonore et restitution fidèle de la masse indéterminée qu'elles déversent péniblement. Un peu avant, les larsens vicieux qui ouvrent Punchdrunk s'acoquinent à un grunt véritablement maléfique, cri primal pourtant prémédité qui se tait un temps pour permettre sans doute aux guitares d'explorer consciencieusement tout l'éventail des aigües. Plus loin, JK Flesh revêt les fulgurances noires de Scorn le temps d'un Devoured déchiré d'un delay fracassant qui montre bien que les deux anciens Napalm Death gardent ce goût marqué pour l'intransigeance hérité de leurs jeunes années. Complètement noir, souvent terrifiant.
Rien ici n'est fait pour le confort de l'écoute, rien n'est accueillant et le posthuman que dessine Broadrick et qu'il nous jette à la face laisse perplexe : sa vision de l'avenir a de quoi inquiéter et à écouter ses instrumentaux, ce sont bien nos parts d'ombre les plus enfouies qui prendraient le dessus, post-humains technologiques dotés d'un sang froid comme les reptiles et qui s'entre-dévoreraient à la nuit tombée. Rien ne nous oblige à partager son pessimisme mais il faut bien reconnaître que pour sombres qu'elles soient, ces images mentales sont franchement sidérantes et qu'une certaine beauté froide, incontestablement, s'en dégage. Et puis à bien y regarder, peut-être ne s'agit-il là que d'une mise en garde ? Et celle-ci serait alors des plus efficaces. Quoiqu'il en soit, qu'il y ait ou non message, le plus important est tout de même ce que ce superbe disque donne à entendre : une électronica martiale, industrielle, avec de curieux accents dubstep, parsemée de noyaux métalliques et parcourue de lames de fond synthétiques qui fait plonger de quelques bons mètres à l'intérieur de soi, tout près de l'abîme. Prévu pour la fin du mois chez 3by3, label électronique s'il en est, ce bout de peau grise en plan serré est appelé à interroger pour un bon bout de temps : une structure orientée Metal aurait tout aussi bien fait l'affaire, voire un label porté sur l'indus et on voit bien à quel point on aura du mal à catégoriser le disque, à moins qu'on le range sous l'étiquette J. K. Broadrick qui finalement serait la plus à même de cerner Posthuman. Et puis, après tout, au diable les étiquettes, on sait juste vers qui l'on se tournera désormais pour s'offrir une expérience sensorielle qui modifie tout autant le corps que l'esprit.
Dès lors, délaissant les rivages contemplatifs de Jesu pour se rapprocher de ceux bien plus contondants de Godflesh tout en injectant dans ses morceaux les apports électroniques glanés au fil de l'expérience Pale Sketcher, J. K. Broadrick commet une sorte de disque-somme oblitérant pourtant un pan important de sa discographie, à moins qu'au creux de certains morceaux ne se trouve malgré tout une forme d'apaisement (on pense en particulier à quelques passages abstraits et hallucinés d'Underfoot ou de Walk Away qui vient clore le disque) mais à tel point cernée par la pénombre et les ténèbres qu'il est bien difficile de la distinguer. Le disque n'est certes pas des plus faciles et montre bon nombre d'échardes soniques qui vrillent les tympans quand les basses se chargent d'attaquer le reste mais le moins que l'on puisse dire, c'est que l'on ressent littéralement la musique, elle est là, à l'intérieur et fait vibrer le corps entier, électrise la moindre parcelle de peau. Et c'est bien pour ça que l'on plonge dans Posthuman tête la première. Alors que dans le même temps paraît l'éponyme de Valley Of Fear qui le voit cette fois-ci tenter d'injecter une forte dose de Black Metal dans Greymachine (pour résumer les choses rapidement), J. K. Broadrick semble bien décidé à marquer cette année de son empreinte massive et sulfureuse. Mais trêve de mots et bien plus que les quelques versions promo tronquées qui se baladent de-ci de-là sur la toile, cette version live d'Idle Hands (deuxième morceau de Posthuman) exécutée le premier jour du Roadburn 2012 devrait suffire à montrer, malgré un son hélas approximatif, le genre de fulgurances bien noires que réserve l'écoute de JK Flesh.
Impressionnant, tout simplement.
Rien ici n'est fait pour le confort de l'écoute, rien n'est accueillant et le posthuman que dessine Broadrick et qu'il nous jette à la face laisse perplexe : sa vision de l'avenir a de quoi inquiéter et à écouter ses instrumentaux, ce sont bien nos parts d'ombre les plus enfouies qui prendraient le dessus, post-humains technologiques dotés d'un sang froid comme les reptiles et qui s'entre-dévoreraient à la nuit tombée. Rien ne nous oblige à partager son pessimisme mais il faut bien reconnaître que pour sombres qu'elles soient, ces images mentales sont franchement sidérantes et qu'une certaine beauté froide, incontestablement, s'en dégage. Et puis à bien y regarder, peut-être ne s'agit-il là que d'une mise en garde ? Et celle-ci serait alors des plus efficaces. Quoiqu'il en soit, qu'il y ait ou non message, le plus important est tout de même ce que ce superbe disque donne à entendre : une électronica martiale, industrielle, avec de curieux accents dubstep, parsemée de noyaux métalliques et parcourue de lames de fond synthétiques qui fait plonger de quelques bons mètres à l'intérieur de soi, tout près de l'abîme. Prévu pour la fin du mois chez 3by3, label électronique s'il en est, ce bout de peau grise en plan serré est appelé à interroger pour un bon bout de temps : une structure orientée Metal aurait tout aussi bien fait l'affaire, voire un label porté sur l'indus et on voit bien à quel point on aura du mal à catégoriser le disque, à moins qu'on le range sous l'étiquette J. K. Broadrick qui finalement serait la plus à même de cerner Posthuman. Et puis, après tout, au diable les étiquettes, on sait juste vers qui l'on se tournera désormais pour s'offrir une expérience sensorielle qui modifie tout autant le corps que l'esprit.
Dès lors, délaissant les rivages contemplatifs de Jesu pour se rapprocher de ceux bien plus contondants de Godflesh tout en injectant dans ses morceaux les apports électroniques glanés au fil de l'expérience Pale Sketcher, J. K. Broadrick commet une sorte de disque-somme oblitérant pourtant un pan important de sa discographie, à moins qu'au creux de certains morceaux ne se trouve malgré tout une forme d'apaisement (on pense en particulier à quelques passages abstraits et hallucinés d'Underfoot ou de Walk Away qui vient clore le disque) mais à tel point cernée par la pénombre et les ténèbres qu'il est bien difficile de la distinguer. Le disque n'est certes pas des plus faciles et montre bon nombre d'échardes soniques qui vrillent les tympans quand les basses se chargent d'attaquer le reste mais le moins que l'on puisse dire, c'est que l'on ressent littéralement la musique, elle est là, à l'intérieur et fait vibrer le corps entier, électrise la moindre parcelle de peau. Et c'est bien pour ça que l'on plonge dans Posthuman tête la première. Alors que dans le même temps paraît l'éponyme de Valley Of Fear qui le voit cette fois-ci tenter d'injecter une forte dose de Black Metal dans Greymachine (pour résumer les choses rapidement), J. K. Broadrick semble bien décidé à marquer cette année de son empreinte massive et sulfureuse. Mais trêve de mots et bien plus que les quelques versions promo tronquées qui se baladent de-ci de-là sur la toile, cette version live d'Idle Hands (deuxième morceau de Posthuman) exécutée le premier jour du Roadburn 2012 devrait suffire à montrer, malgré un son hélas approximatif, le genre de fulgurances bien noires que réserve l'écoute de JK Flesh.
Impressionnant, tout simplement.
leoluce
Je ne m'attendais pas à ce que Justin K. Broadrick revienne vers une musique si aride. Il faut que je le réécoute encore mais à ce stade, je suis vraiment convaincu. Thanks pour la chro.
RépondreSupprimerEt merci à toi pour le commentaire. Cette aridité retrouvée (même si j'aime beaucoup Jesu, hein) est peut-être due à sa participation au nouveau Blood Of Heroes (qui devrait sortir cette année), collectif qui explore finalement ce même type de dynamique (en moins méchant quand même)...
SupprimerLe petit extrait live m'a donné envie, le jeu de guitare saturée/ rythmique post dubstep est assez original :) !
RépondreSupprimerJ'ai toujours énormément de mal avec Broadrick. À part quelques épiphanies avec Jesu, je n'ai jamais réussi à totalement appréhender ce qu'il fait. Je vois le travail, je sens l'intérêt possible mais ça ne prend pas. Je découvre Posthuman en ce moment, il fera peut-être exception mais j'en doute.
RépondreSupprimerBelle chro anywayz.