Date de sortie : 22 novembre 2011 | Label : Umor Rex Records
Mais enfin, qu'est-ce donc ? Ces synthétiseurs primesautiers mais tristes, cette basse énorme et véloce qui tapisse la moindre fréquence de ses méandres sonores mélancoliques, le tout accompagné d'une batterie sèche et économe. Et puis cette voix d'Outre-Tombe qui retrouve les accents graves et étranglés de Ian Curtis. Dès le premier titre, The Human Elephant nous expédie quelques années en arrière, au temps où les jeunes gens modernes ne juraient que par une poignée de groupes engoncés dans leurs habits noirs aux reflets anthracites, une fine cravate autour du cou comme la corde autour de celui d'un pendu, les pensées arachnéennes et sombres infusant de la tête aux pieds. Dès 1726, Joy Division, The Cure et autres enfants tristes du thatchérisme naissant se tiennent là, en face de nos yeux écarquillés, rappelant leur urgence triste et leur élégant désespoir à notre bon souvenir. Et ça ne s'arrange pas avec The Star qui creuse le sillon de manière bien plus profonde avec ses nappes morbides en ouverture et son court refrain qui semble sortir tout droit des catacombes. En deux ou trois titres on se dit que l'on se trouve en présence d'un disque qui tente de ressusciter (une fois encore) le fantôme du post-punk et qu'il a beau s'y prendre d'une assez belle manière, tout cela manquera forcément d'originalité puisque, on le sait bien, les choses ont déjà été dites et bien dites et ce depuis bien longtemps (à ce titre, inutile de rappeler la réédition ces temps-ci de quelques essentiels de The Sound à un prix enfin abordable). Bref, on se laisse certes prendre au jeu de The Human Elephant, un peu captif, un peu complice parce que ces accents-là résonnent encore en nous mais on sent bien que le disque est appelé à connaître une carrière météorique près de la platine et ne tardera pas à rejoindre les étagères les plus éloignées.
Et puis, contre toute attente, non, il s'incruste et finit par rester-là, jamais trop loin, disponible dès que le spleen se fait sentir et que la pluie succède à de trop courtes éclaircies. C'est qu'à bien y regarder, White Thunder montre également quelques accents supplémentaires à ceux, bien plus gris, qui nous avaient poussés à le cataloguer un peu trop vite. L'ossature est post-punk, c'est vrai, mais pas seulement. Un titre comme Ausland par exemple va plutôt fureter du côté du rockabilly, ce qui est assez surprenant après une telle entame marquée et inquiète. Un rockabilly certes actualisé, avec guitares déglinguées en arrière-plan, stridences synthétiques sur le refrain et tutti quanti mais dont la dynamique ne trompe pas et tranche avec le reste ou en tout cas avec le morceau suivant, Terrorist, ouvertement folk et lo-fi, rappelant le Beck de la période One Foot In The Grave, voire The Halo Benders et toute la clique K Records avec du chant féminin en contrepoint de la voix caverneuse et un refrain jusqu'au-boutiste. Toutefois, Ceremony qui suit ces deux-là permet à The Human Elephant de payer son tribut à Joy Division et il faut bien dire que là aussi, il ne s'en sort pas si mal. Le champ d'investigation de White Thunder est donc bien plus éclectique qu'il ne le laissait penser de prime abord et le mélange des genres s'avère être des plus addictifs et c'est bien là que se situe sa réussite : point de calcul derrière cette musique maussade, le ciel de traîne n'est pas un écran de fumée et on comprend très vite que le moteur du disque est avant tout sa grande sincérité.
Une sincérité qui excuse les petites maladresses qui parsèment les morceaux, ces synthétiseurs parfois trop envahissants, la voix légèrement approximative (Somehow We Know) ou encore ces quelques propositions manquant de réelle originalité mais la dynamique, elle, montre un souffle qui ne s'épuise jamais et c'est finalement avec un réel plaisir qu'on se balade au fil des titres. Et puis sans doute ne faudrait-il pas oublier qu'il s'agit là du premier long format de The Human Elephant, projet singulier du seul John Edward Donald dont on ne sait pas grand chose si ce n'est qu'il a grandi à Chicago et que sa musique porte en elle les stigmates d'une disparition qui l'a, semble-t-il, beaucoup marqué. Mais cela suffit tout de même à mieux cerner les nuances musicales à l’œuvre dans ce disque : les grands espaces américains pour le côté folk déglingué et sensible et les fêlures pour ces instantanés mélancoliques, insulaires et gris dont on croyait seuls les Anglais capables. Et bien que ce galop d'essai se montre parfois un peu gauche, on en connait quand même beaucoup qui seraient prêts à se damner pour des morceaux de la trempe d'All Chorus, No Verse par exemple qui n'hésite pas à jouer crânement dans la cour d'un Neil Young miniature. Alors c'est vrai, l'album est sorti l'année dernière et on le découvre un peu à la faveur de l'actualité récente du label Umor Rex Records qui lance ce mois-ci le premier Deadman’s Ghost dont on reparlera sans doute mais il n'est jamais trop tard pour faire de belles découvertes et celle-ci en est incontestablement une. D'ailleurs, pour finir de convaincre les derniers récalcitrants, White Thunder s'écoute ci-après : jetez-vous alors sur les circonvolutions tendues et contrastées de The Human Elephant avec délectation, son post-punk canal historique mâtiné de folk lo-fi possède d'indubitables arguments.
Le spleen communicatif de The Human Elephant vous fera danser au milieu des porcelaines sans accidents.
Le spleen communicatif de The Human Elephant vous fera danser au milieu des porcelaines sans accidents.
leoluce
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