Date de sortie : 2 juillet 2012 | Label : Rune Grammofon
Chacun ses marottes ! L'une des
miennes, actuellement, c'est d'essayer de suivre la discographie pléthorique de
Mats Gustafsson. Une gageure car à l'instar d'un Merzbow ou d'un Zorn,
le saxophoniste suédois semble passer sa vie avec son instrument et passer son
temps à enregistrer tout ce qui en sort. Le plus petit souffle est capté, la
moindre improvisation consignée, qu'il soit seul ou accompagné, en studio ou en concert,
parfois même dans une chambre d'hôtel en Éthiopie. Une gageure car le problème avec
ce genre de stakhanoviste, c’est que les accointances avec le dispensable
deviennent inévitables. Mais pour l’instant,
l’éclat de Gustafsson semble être préservé. Même si, bien sûr, je n’ai pas écouté tous ses enregistrements. Même
si j’émets aussi quelques doutes sur la dernière collaboration entre The Thing et
Neneh Cherry où chacun semble être resté dans son coin sans jamais se
rencontrer. The Thing fait du
The Thing et Neneh Cherry, du Neneh Cherry. Or jusqu’ici, ce qui a fait la
grande force des projets auxquels son saxophone furibard participe, c’est le
mélange qui en résulte. Ni tout à fait les uns, ni tout à fait l’autre mais
bien au milieu. Sur The Cherry Thing, tout ce petit monde semble n’avoir fait
que se croiser, la confrontation est restée molle, la suavité soul et la sensibilité
pop de Neneh Cherry n’ont pas arrondi les angles free de The Thing qui lui-même
n’a pas écorché et battu en brèche le tapis vaguement hip-hop de la Suédoise.
Enfin, tout cela est bien évidemment subjectif et à chacun son Gustafsson après
tout. Le mien se croise au détour d’In The Mouth – A Hand, troisième disque des
nucléaires Fire! après une rencontre avec Jim O’Rourke qui avait placé la
barre à un niveau stratosphérique l’an dernier. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la confrontation du trio avec la guitare d’Oren
Ambarchi, autre stakhanoviste que l’on ne présente plus, maintient Fire!
à des hauteurs insoupçonnées
Ici, c’est le génotype brötzmannien
de Gustafsson qui prend le dessus, impeccablement mis en valeur par la
rythmique ahurissante de Fire! (Andreas Werlin à la batterie, Johan Berthling à la basse) et la guitare tout en larsen vicieux de l’Australien.
Pas le moindre temps mort, tous les morceaux sont paroxystiques, les frissons
envahissent l’échine tout du long. Furibard, explosif, parsemé de saine violence
et de profondes échardes soniques, In The Mouth – A Hand fait l’effet de sa pochette :
un grand coup de poing dans la gueule. Et si You
Liked Me Five Minutes Ago et Unreleased ?
mettaient en valeur le kosmische
groove implacable du trio, ce troisième opus
montre toute sa sauvagerie, sans doute transcendée par la
présence d’Oren Ambarchi, maître es-expérimentations jusqu’au-boutistes s’il en
est (son Knots d’une demi-heure a d’ailleurs beaucoup marqué cette année).
Alors bien sûr, on peut avoir l'impression que je mets l’accent sur Gustafsson mais
en fait il n’en est rien. C’est bien l’alchimie tellurique entre ces quatre musiciens
qui fait mouche et s’il est rare qu’une confrontation rêvée sur le papier ne déçoive
pas, force est de constater que ce n’est pas du tout le cas ici. Trop de rigueur, trop de passion, chacun
pénétré par l’envie d’aller au-delà des frontières (du free, du rock, du drone et même de
l’expérimentation) pour atteindre cette enclave autonome où ne subsiste que le
plaisir pur de jouer. Et là où Fire! With Oren Ambarchi fait très fort, c’est
qu’il garde cette générosité qui fait qu’à aucun moment le disque n’est
abscons. On peut être réfractaire au saxophone, au free jazz ou au bruit et
adhérer quand même. La jubilation est palpable et communicative, on sent bien
que chacun se donne le sourire aux lèvres et que l’auditeur à aucun moment n’est écarté ou oublié.
Ce qui frappe, c’est quand même la grande diversité d’In The
Mouth – A Hand. L’attaque n’est pas toujours frontale, loin de là. A Man Who
Might Have Been Screaming privilégie par exemple les stridences dispersées et le trio les
développent longuement pour voir où elles l’emmènent. La basse se tord, la
batterie fracasse le morceau et les blocs de larsen explosent en gerbes régulières et aigues qui maintiennent la tension intacte jusqu’à ce que le saxophone
reprenne la main à la toute fin dans un râle agonisant. And The Stories Will
Flood Your Satisfaction (With Terror) est quand à lui presque structuré sur son
entame quand la piste précédente explosait sa rythmique à grands coups de distorsion. On suit les gifles des cymbales et le tapis caoutchouteux de la basse
amalgamé au Fender Rhodes. Autres mœurs, autres tensions : le morceau n’est
qu’une longue, très longue ascension et on a bien du mal à envisager les sommets
atteints alors que l’introduction partait déjà de très haut. Cette fois-ci la
guitare reste bien en bas, ne surgit pas, ne trace aucune
zébrure acide et corrosive. Elle se contente de tapisser la rythmique et c’est
le saxophone qui s’évade mais elle gagne toutefois le droit de conclure et se
démultiplie alors pour atteindre une fois encore les aigus. Cette deuxième piste indescriptible, c'est un peu le point culminant à partir duquel on se dit qu'il faudra bien redescendre. Une épiphanie qui dure plus de vingt minutes. C'est alors que les basses véloces et le piano électrique d'He Wants To Sleep In A Dream (He Keeps In His Head) prennent place. Cette fois-ci, pas d'explosion, juste un long mouvement répétitif sur lequel se greffent quelques échappées belles. A priori, le quatuor semble se calmer. Comme on se trompe. Le deuxième morceau était l'Everest du disque, celui-ci sera son Annapurna.
C'est donc bien au cours du dernier morceau que se situe la descente : les trois premiers nous avaient emmenés bien haut, celui-ci nous conduira bien bas. Sépulcral, solennel, implosif, beaucoup plus court, I Am Sucking For A Bruise suggère une tension à l'envers, casse le paradigme, développe un autre climax qui n'en est pas moins impressionnant. Et comme son titre le suggère, alors que le silence point, on suce ses ecchymoses et on compte les points. Entre les hachures sauvages de l'entame, le long crescendo violent de la deuxième piste, les motifs répétitifs de la troisième et les abysses moribondes de la conclusion, pas une minute où l'attention n'a faibli et dès la fin du disque, il ne reste bien que l'envie de le remettre immédiatement au début. L'accoutumance est donc grande et immédiate. La créativité de chacun exacerbée par la présence des trois autres, conduisant Fire! et Oren Ambarchi à amorcer un pas de travers, ou plutôt un mouvement vers le milieu où tout ce petit monde fusionne pour offrir un disque saisissant. Rectangulaire, le quatuor joue serré et fracasse le free jazz à grands coups de krautrock (et réciproquement), injecte des particules harsh noise dans ses drones fuselés. Une dynamique absolument jubilatoire qui naît d'un grand foutoir somme toute très organisé alors même qu'il est le plus souvent improvisé. Le Prométhée post-moderne ainsi créé, vif et physique, devrait faire date. En tout cas, pour l'instant, le moins que l'on puisse dire, c'est que son ombre paradoxalement élancée est franchement imposante. Bref, on l'aura compris, ce n'est clairement pas avec celui-ci que Gustafsson commencera à côtoyer l'anecdotique et c'est même à se demander si Fire! sera un jour capable de sortir quelque chose de mauvais ou de simplement quelconque. Il en va bien sûr de même pour Oren Ambarchi pourtant particulièrement prolifique cette année.
Mais le mieux est sans doute d'écouter. Pour se faire, cette captation live devra faire l'affaire faute de mieux, montrant les musiciens concentrés, possédés, presque en transe, se lancer dans un long crescendo qui commence à exploser lorsque la vidéo s'arrête. C'est terriblement frustrant et peu représentatif de la sauvagerie d’In The Mouth – A Hand même si cet extrait donne à voir l'un des multiples visages que revêt la collaboration. De quoi se faire une idée en creux toutefois alors qu'il manque des morceaux, en se disant bien que le plus stupéfiant ici est l'amalgame de ce que l'on entend avec ce que l'on attend mais que l'on n'entend pas. De quoi peut-être donner envie de découvrir le reste.
Un uppercut.
Puis une accolade.
Grand disque.
Mais le mieux est sans doute d'écouter. Pour se faire, cette captation live devra faire l'affaire faute de mieux, montrant les musiciens concentrés, possédés, presque en transe, se lancer dans un long crescendo qui commence à exploser lorsque la vidéo s'arrête. C'est terriblement frustrant et peu représentatif de la sauvagerie d’In The Mouth – A Hand même si cet extrait donne à voir l'un des multiples visages que revêt la collaboration. De quoi se faire une idée en creux toutefois alors qu'il manque des morceaux, en se disant bien que le plus stupéfiant ici est l'amalgame de ce que l'on entend avec ce que l'on attend mais que l'on n'entend pas. De quoi peut-être donner envie de découvrir le reste.
Un uppercut.
Puis une accolade.
Grand disque.
leoluce
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