lundi 9 avril 2012

Vertonen & At Jennie Richie - Leaving Ocean For Land


Date de sortie : 3 avril 2012 | Label : Debacle Records

Vertonen, c'est Blake Edwards, homonyme du célèbre réalisateur américain de The Party mais en beaucoup, beaucoup moins drôle puisqu'en plus de 20 ans de carrière le Chicagoan aux allures d'informaticien schizophrène s'est surtout évertué à maltraiter le bruit blanc et autres sonorités plus ou moins abrasives tirées de ses machines, au gré de ses divers projets solo et autres collaborations mais le plus souvent sur son propre label Crippled Intellect Productions consacré aux expérimentations les plus radicales de l'underground électro/noise d'outre-Atlantique.

At Jennie Richie, c'est un mystérieux collectif à géométrie variable basé à Seattle et emmené depuis le milieu de la décennie passée par Happiness et Forever, bidouilleurs dadaïstes rompus à l'héritage de la musique concrète qui triturent ou échantillonnent tout ce qui peut bien passer à leur portée pour façonner leurs textures et leurs atmosphères. Tout ce joli monde s'était déjà croisé en 2007 sur la cassette limitée Time: Or Fractal Waves Of Increasing Novelty / Soilure mais chacun dans son coin, ou plus exactement chacun sur sa face. A notre connaissance, il s'agit donc de la première véritable association des deux projets sur un travail commun.

Quant à Debacle Records, en étant un tout petit peu péremptoire, ça n'est rien d'autre que le meilleur label noise/ambient de l'année 2011, sur lequel on se reviendra pas ici, Indie Rock Mag l'ayant déjà très bien fait pour nous au détour de cette interview du patron Sam Melancon (Megabats). Contentons-nous donc de pinailler en disant que quatre mois pour remettre son titre en jeu c'est long, surtout après avoir sorti plus de 20 albums en un an pour presque autant de sommets couvrant tout le prisme de la musique expérimentale qu'on aime, du drone à l'impro jazz en passant par le doom metal ou la kosmische music.

Mais trêve de pérorage, l'attente en valait la chandelle. Car une telle rencontre ne pouvait être le fruit du hasard et Leaving Ocean For Land, pièce unique de 46 minutes subdivisée en quatre principaux mouvements, témoigne d'emblée d'un dessein autrement plus ambitieux que celui d'ajouter son grain de silice au grand bac à sable des soundscapes drone/ambient. Quelle que soit la mystérieuse catastrophe qu'aient choisi d'évoquer Vertonen et At Jennie Richie, nous n'aurons d'autre choix que de la vivre et d'en ressentir chaque conséquence, fût-elle réelle ou imaginaire.

En quelques boucles de drones fantomatiques et de pulsations infrasoniques rappelant le bruit des machines de réanimation, le décor est planté : tout est joué depuis longtemps et nous sommes déjà morts. Ces pales qui tournent au ralenti, sont-elles celles de l'hélicoptère de sauvetage qui atterrit sur les lieux du drame ? Et d'abord, de quel drame parle-t-on ? A peine a-t-on le temps de se poser la question qu'une onde longue distance perce le voile de notre linceul de brouillard. D'abord timide, le ballet des voix commence, passées au filtre d'une transmission radio ou de nos neurones défaillants encore sous le choc de... l'explosion ? On pense à Steve Reich et à son récent WTC 9/11 évoquant le chaos humain du 11 septembre, mais ici le concept passe au second plan de l'immersion, et après un premier évanouissement, à mesure que les connexions synaptiques se renouent et que les évènements ressurgissent, l'angoisse monte, nous vrille le cerveau au gré des vagues de bruit statique et de percussions en cascades.

Mais bientôt pourtant, la marée se retire et à nouveau ces pales, celles peut-être que contemple en plein trip le capitaine Willard dans Apocalypse Now, entre deux visions d'un avenir inconnu et néanmoins inéluctable ? Bruits de pas dans les branchages, cris des singes, piaillements des oiseaux et stridulations des insectes sur fond de ronronnement sourd, peut-être celui d'un groupe électrogène, nous sommes dans la jungle par une nuit d'encre, mais tout cela est-il bien réel ? La vision disparaît dans un cut abrupt et la quatrième partie nous replonge dans cette même purée de pois cosmique où temps et espace se confondent. A la différence près que les voix, désormais, ne sont plus qu'un magma informe, bien vite balayées par le souffle intangible de l'infini, lequel finit lui-même, tout à fait paradoxalement, par s'évaporer dans le néant.

Si la coque rouillée de la pochette était bien notre moyen de transport dans cet étrange voyage mental, nous sommes arrivés à bon port... mais à en juger par les brefs échos d'entre deux guerres venant clore l'album sur un air de swing fantomatique que ne renierait pas The Caretaker, ce mouillage là semble de toute façon être celui où toutes nos ancres finissent un jour ou l'autre par venir s'échouer. Le rideau tombe, personne n'a rien compris au film mais on n'en sort pas moins avec la certitude d'être passé à côté d'une vérité trop nébuleuse pour être cristallisée en pensée concrète. Était-ce donc une allégorie de la mort ou une métaphore de la vacuité de nos existences ? Le sens se cachait-il au cœur de la sensation ou au creux de l'abstraction ? Qu'importe après tout, l'expérience fut totale, et nourrie de nos propres incertitudes. Personne n'a la réponse, mais nous seuls avions les questions. Et si on peut être certain d'une chose, c'est qu'à l'image de ce disque sans fond, elles nous hanteront encore longtemps.

Rabbit

2 commentaires:

  1. Quel étrange album...Un voyage intéressant. Et bravo à votre blog, qui s'annonce comme un incontournable dans ma recherche d'expériences musicales !

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  2. Merci, on va faire de notre mieux de ce côté-là. ;)

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