Date de sortie : 19 mars pour la sortie vinyle, 25 mai pour la sortie digitale | Label : Alrealon Musique
L'idée-force à l'œuvre ici, bien plus que la confrontation, semble bien être le contraste. Contraste entre le tout électronique de FluiD et l'organique-synthétique de John 3:16. Contraste entre une forte appétence pour les cieux et le désir forcené d'explorer la fange, entre ces mélodies célestes et leurs soubassements bien plus inquiétants. Contraste entre des morceaux hybrides et un peu plus longs qui dévoilent leur ossature dans la répétition et d'autres brefs et tranchants qui suggèrent l'essentiel en quelques minutes à peine. Et même si le diptyque de John 3:16 arrache une poignée de secondes aux trois morceaux de FluiD, le temps de parole est somme toute réparti équitablement. Enfin, pour être tout à fait juste, de paroles, il n'y en a guère et pourtant une profusion d'images mentales envahissent la boîte crânienne dès lors que The Pursuit Of Salvation est lancé. Et celles-ci ne sont pas jolies-jolies tout en étant parfaitement superbes. Les contrastes évidemment.
Même chose du côté de Plague, purement sombre, sec et électronique, dynamité sur sa fin par un orgue morbide et profond que l'on n'attendait pas. Un titre qui envoie les pensées dans quelque catacombe grouillante avant de les projeter au cœur de la nef d'une quelconque église abandonnée. Et puis les voix trafiquées de Forewarming parachèvent cette première moitié et nous plongent dans des abîmes de perplexité : de prime abord on ne les entend pas puis on finit par se rendre compte que ce sont elles qui fournissent la pulsation et le proto-rythme du morceau. Une respiration étrange et pour tout dire, assez effrayante. Ce qui fait la force de ces trois morceaux, c'est qu'ici rien n'est jamais trop appuyé, tout au contraire, les émotions sont suggérées avec une grande finesse et si l'on savait FluiD capable du meilleur depuis son Duality inaugural de 2010 – le voyant amalgamer dans un même élan hip-hop métissé, noise et dub – le moins que l'on puisse dire c'est que la subtilité dont il faisait preuve déjà, mais qui n'avait sans doute pas été mise en avant jusqu'ici comme cela, lui sied parfaitement.
En seulement trois morceaux, The Pursuit Of Salvation est déjà une incontestable réussite, mais en les confrontant ainsi aux deux suivants, le disque franchit un palier qui en fait un chef-d'œuvre miniature (eu égard à la trop courte durée de l'ensemble). Pour être tout à fait franc, je découvre le travail de John 3:16 avec cet EP mais les deux morceaux dont cette entité nous gratifie m'ont très vite poussé à découvrir le reste de sa discographie (quelques EP et longs formats disséminés ici et là et par extension Heat From A DeadStar, formation dont ce Suisse est guitariste mais qui me touche moins). Et alors que FluiD explore les méandres d'une spiritualité qui serait avant tout synthétique, la mystique de John 3:16, même si elle garde les mêmes intentions, est avant tout organique. Les motifs de guitare répétés et répétés encore s'érigent sur un socle synthétique joliment modelé, le tout s'imbrique parfaitement, s'emboîte et s'empile pour rendre God Is Light terriblement addictif alors qu'en soi, le morceau n'est pas vraiment des plus faciles.
Pourtant ces six minutes et quelques filent comme le vent, suggèrent énormément et poussent à l'introspection. Transcendé par sa musique, John 3:16 semble en lévitation tout du long et dans le même temps, au bord du précipice, les yeux exaltés, la bouche sèche et le sourire aux lèvres et l'on se dit qu'il n'était nul besoin d'appuyer à ce point le message (un pseudonyme qui fait référence au quatrième évangile de Jean, chapitre 3, verset 16, «For God so loved the world, that he gave his only begotten Son, that
whosoever believeth in him should not perish, but have everlasting life», ce genre, pour un titre qui s'intitule God Is Light, claquant comme un sermon dont on n'a que faire) quand on peut se perdre et mettre ce que l'on veut derrière les notes ténues et profondes d'un tel titre habité. D'autant plus que le suivant, Toward The Red Sea, n'est pas en reste et pousse même le bouchon encore plus loin, donnant à entendre une sorte de dialogue intérieur que l'on fait immédiatement nôtre, empilant une multitude de sons épars (chœurs illuminés, percussions majestueuses, guitares plombées et fuyantes, nappes solennelles, monologues déformés) qui s'accordent pourtant parfaitement (miraculeusement ?).
Et il n'est absolument pas question d'avancer que les deux titres de John 3:16 supplantent les trois de FluiD. Ce qui fait la grande réussite de The Pursuit Of Salvation, c'est bien la confrontation de deux mysticismes bien différents : alors que la ferveur de l'un emprunte des voies plus abstraites, celle de l'autre est plus directe mais les deux touchent également. Et puis, à bien y regarder, on est quand même loin de la dévotion jusqu'au-boutiste et bêtifiante et à chaque fois qu'un morceau se fait trop explicite, un son glauque, une nappe moribonde ou encore une voix flippante vient immédiatement suggérer le contraire. Et l'on comprend bien mieux l'artwork qui présente certes une aile d'ange côté pile mais aussi celle d'un démon côté face, manière de souligner qu'au cœur de chaque pièce se jouent des choses bien plus complexes que leurs titres ne le laissent entendre de prime abord. Et puis à vrai dire, on se fout un peu du message (si message il y a, rien n'est moins sûr) et ce qui nous intéresse est bien l'essentiel : ces cinq morceaux ne font regretter que leurs trop courtes vingt-cinq minutes et l'on a beau s'enfiler des tonnes de disques déglingués, celui-ci se place sans peine en haut du panier. On attend donc la suite avec impatience, en espérant que cette fois-ci, bien plus que de confronter leurs instrumentaux comme à leur habitude (d'ailleurs, je ne saurais trop vous conseiller de jeter une oreille sur Guardian, leur première rencontre), Chris Gilmore et Philippe Gerber se confrontent dans le même morceau.
Quel pourrait être le fruit de leur collision ?
Dieu seul le sait.
Exceptionnel.
leoluce
Très agréablement surpris par ce disque. C'est intéressant ce décalage perpétuel entre deux musiques qui se ressemblent et qui en même temps ont effectivement des angles complètement différents. (Une fois de plus, la critique est très réussie).
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