mercredi 20 juin 2012

Jon Porras - Black Mesa


Date de sortie : 17 avril 2012 | Label : Thrill Jockey

Le mois de mai fut décidément chargé pour les deux soundscapers de Barn Owl. D'un côté, on vous parlait sur IRM d'Evan Caminiti, par ailleurs moitié du duo psyché/drone Higuma avec Lisa McGee (aka Vestals, fascinant projet post-shoegaze dont le premier album Forever Falling Toward The Sky vient justement de voir le jour chez Root Strata) qui déroulait en solo son manteau de nuit doublé de vents sableux, de zébrures statiques et de disto incandescente sur l'onirique Night Dust, annonçant même pour août prochain chez Thrill Jockey, label d'adoption de la paire stoner/drone de San Francisco, un certain Dreamless Sleep qui pourrait bien s'avérer du même acabit en plus éthéré et lumineux (allez, jouons franc-jeu, on l'a écouté et c'est effectivement le cas).

Mais de l'autre, c'est finalement Jon Porras (Elm) qui retient toute notre attention du moment avec Black Mesa, album-concept à la fois romanesque et métaphysique autour d'un hors-la-loi s'enfonçant dans le désert à la recherche d'un passage vers d'autres mondes. Selon la théorie du multivers exploitée par nombre d'auteurs de science-fiction, de Philip K. Dick à Warren Ellis, la Black Mesa serait en effet une sorte de "sas" entre plusieurs dimensions, à l'image de la Chambre Rouge bien connue des fidèles de Twin Peaks. En parlant de Lynch, difficile d'ailleurs ne pas penser à Elephant Man autant qu'à Eraserhead lorsque l'aventurier en question, le visage recouvert d'un linceul délabré sous un chapeau de feutre, sort d'un mystérieux tunnel aux allures de puits d'ombres pour invoquer quelque étrange maléfice dans la vidéo d'Into Midnight, aux images noir et blanc granuleuses et tremblotantes digne d'un film muet d'antan :


Car pour les guérisseurs kallawaya, population nomade des Andes, la "mesa negra" est aussi un rituel destiné à chasser le mal et susceptible de se changer en magie noire pour peu que le chaman qui la pratique nourrisse de plus sombres desseins. Chacun sera donc libre d'interpréter les instrumentaux du Californien comme il le souhaite, avec pour seuls guides ses propres sensations et des titres en forme de chapitres qui voient se succéder visions lunaires, mirages à la chandelle et feux de camp au crépuscule jusqu'à la levée du voile sur un insondable univers parallèle (Beyond The Veil).

Black Mesa étant, enfin, le nom que portent une quarantaine de sommets montagneux, notamment dans l'Arizona et au Nouveau-Mexique, ces multiples références voulues ou non par le musicien font également sens à un degré de lecture plus abstrait lorsque l'on écoute ces sept compositions ambivalentes et habitées, plus que jamais marquées par une fascination pour les errances mystiques et les paysages de désolation à la croisée des méditations bluesy de Ry Cooder et des évocations fantasmagoriques de Popul Vuh - Porras se réclamant en outre de Sandy Bull et de Neil Young pour son jeu de guitare à la fois aride et cinématique dont l'évidence fait merveille, entre autres, sur le scintillant Blue Crescent Vision ou la deuxième moitié de l’halluciné Desert Flight :


Enregistrés à domicile sur une dizaine de mois, ces sept astres noirs ont semble-t-il permis à l'Américain de renouer avec une approche plus classique de la composition, mais si l'improvisation drone, au regard des marées d'écume tout en saturations solaires de l'immersif Undercurrent (2011), passe ici au second plan des compositions plus mélodiques à la guitare électrique, les montées en intensité sont toujours bien présentes, croisant les influences d'un post-rock aux trémolos hypnotiques, d'un drone-doom psychédélique au fuzz menaçant et d'un stoner-folk résolument atmosphérique. Autant dire que Barn Owl n'est pas loin, surtout quand des rythmiques sourdes se mettent en branle sur Into Midnight ou Into The Black Mesa, manifestations martiales d'un destin inéluctable dont notre voyageur au doux surnom de "spectre du désert" n'aura fait que précipiter l'issue énigmatique.


Quant au reste du disque, il s'écoute librement sur le site de Thrill Jockey, comme toutes les sorties du label chicagoan de Tortoise, Oval et Trans Am. "Je pense que quand les gens peuvent écouter les albums, ils ont tendance à les acheter", suppute sa patronne Bettina Richards. La politique étant des plus généreuses pour une écurie de cette envergure, on compte sur vous pour lui donner raison en cas d'affinité.

Rabbit

2 commentaires:

  1. Ry Cooder, Neil Young, David Lynch.... Quelles références!!!

    La vidéo de Into the Midnight me rappelle beaucoup Dead Man de Jim Jarmush: Une quête mystique au milieu de nulle part, sur fond de guitare électrique. Encore que la BO du long métrage est bien plus épurée.

    Bref, encore une chronique qui donne envie!!

    Puis... Félicitation pour votre recrutement ;-) Ça me fait plaisir de voir que Manolito met sa plume au service de cette pépite de blog!!

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  2. Merci ! On est on ne peut plus ravi également d’accueillir Manolito dans l'équipe. Et effectivement il y a quelque chose de Dead Man dans cet album hautement cinématographique.

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