Date de sortie : 17 mai 2012 | Label : Staubgold
C'est assez étonnant, on dirait que le disque hésite à commencer...
Deux notes cristallines de guitare,
un long silence,
deux notes à nouveau,
un long silence,
deux notes,
silence,
deux notes,
rien,
deux notes cette fois-ci rejointes par des cymbales, une caisse claire et tout un tas d'instruments (pêle-mêle, un violoncelle menaçant, une forêt de percussions, de la distorsion, des effets électroniques et plus tard, un piano, un vibraphone) puis l'orage s'achève tout aussi brusquement qu'il était apparu et cède la place aux peaux, au violoncelle et à la guitare qui tisse sa toile lentement, prend le temps de lancer ses notes et ses arpèges et fait durer ceux-ci longuement, divaguant ainsi jusqu'à la fin du morceau, faisant d'abord jeu égal avec le silence puis laissant ce dernier s'installer définitivement.
Le silence...
C'est la grande affaire de The Golden Years. Le silence et la lenteur aussi. Car il faut imaginer que cette architecture est développée sur plus de huit minutes et que le trio semble être animé par la volonté de ne pas vouloir se faire entendre, ce qui rend chacune de ses interventions pour le moins tonitruante. Jouer du silence. Une sacrée gageure quand on y pense. Et Trapist s'en sort vraiment bien, rappelle de loin Karate (époque Unsolved puis tous les albums suivants) – ces mêmes accents jazz, ces mêmes morceaux ténus jusqu'à l'épure – avec une guitare beaucoup moins bavarde toutefois, ce qui est plutôt à porter à son crédit. Le trio dégrossit ses compositions, les polit jusqu'à ce que leur surface soit aussi fine que du papier de soie, aussi transparente, laissant ainsi le silence infuser de toutes parts. Même sur The Spoke And The Horse, drone et un brin expérimental, Trapist garde son rythme et ses cassures, et le morceau a beau être bien plus dense, son squelette s'évapore pourtant progressivement devant les multiples assauts d'un silence bien présent qui finit par tout envelopper une fois encore. Et il en va ainsi sur tout le reste du disque, c'est-à-dire les deux morceaux suivants que l'on ne détaillera pas, simplement peut-on dire que le troisième résume les deux premiers et que le quatrième retrouve les drones du second quatorze minutes durant, en ménageant toutefois de multiples aérations qui viennent désagréger la surface de sa masse sonore. Déliquescent, Walk These Hills Lightly ne tient plus que par le souffle des microprocesseurs et des amplis, un souffle qui envahit tout, la moindre parcelle de vide et qui préfigure le silence définitif qui marque la fin du disque.
À la croisée de multiples courants, The Golden Years semble encore une fois hésiter : ambient, jazz, drone, rock, tout cela à la fois et il ne s'agit nullement de jouer l'un avec les instruments des trois autres, Trapist n'amalgame pas et passe simplement de l'un à l'autre, souvent dans le même morceau. Sa musique n'est pas hybride, elle refuse simplement de choisir, aussi à l'aise dans les errances arides à la Earth, le mouvement immobile cher à Low, l'abstraction en dents de scie d'un Meursault et que sais-je encore mais ce qui est intéressant, c'est que le trio finit par ne ressembler qu'à lui-même. Ce qui frappe aussi, c'est le côté désincarné de l'ensemble. Tout comme ces tentes vides perdues au milieu des arbres qui ornent la pochette. On a plus d'une fois l'impression qu'aucun être humain ne joue cette musique ou ne l'habite. En dehors du nom des trois musiciens au verso, Trapist ne donne aucune information, aucune clé, portant sans doute sa musique au-dessus des individus qui la composent. Pour autant, celle-ci n'est pas déshumanisée, elle est même terriblement vivante mais semble bien plus attirée par les micro-détails que par les événements.
Troisième disque de Trapist (c'est-à-dire les quatre cordes de Joe Williamson, les six de Martin Siewart qui s'occupe également de l'électronique et les balais ahurissants d'élégance de Martin Brandlmayr) après un Ballroom en demi-teinte en 2004 chez Thrill Jockey, The Golden Years, en retrouvant l'équilibre fragile de son premier long format (Highway My Friend, 2002) ne pouvait mieux porter son nom et si l'on ne sait absolument pas à quel prétendu âge d'or le trio fait ici référence, ces quatre morceaux semblent effectivement en provenir. À chaque fois, il s'agit bien sûr d'instrumentaux, véritables hymnes au silence, aux infimes variations que l'extrême lenteur de cette musique permet de détailler. Ils enveloppent l'auditeur et son espace jusqu'à les perdre complètement. Très vite, on ne prend plus garde à la structure, on ne se raccroche plus à aucune ossature et on se laisse surprendre par les arpèges délicats de la guitare, par le jeu extrêmement fin des balais, par le grondement sourd et discontinu du violoncelle, on s'enferme dans les morceaux, on oublie, on ne pense plus, on voyage. Bien sûr, on ne peut pas vraiment dire que Trapist marque par sa grande originalité, mais l'exécution est à tel point maîtrisée, l'effacement si efficace, le silence si assourdissant que l'on laisse le trio tout désintégrer consciencieusement : le temps, l'espace avec nous dedans et pour finir, sa musique.
Légèrement abstrait, un poil expérimental, un peu post, un peu rock, un peu jazz, le groupe semble vouloir composer une musique que l'on n'entendrait pas, une musique invisible et inaudible à force d'effacement qui mettrait en valeur le temps qui passe, les secondes qui s'égrènent irrémédiablement et à maintes reprises au cours de ces quarante minutes, The Golden Years n'est pas loin d'y parvenir.
À la croisée de multiples courants, The Golden Years semble encore une fois hésiter : ambient, jazz, drone, rock, tout cela à la fois et il ne s'agit nullement de jouer l'un avec les instruments des trois autres, Trapist n'amalgame pas et passe simplement de l'un à l'autre, souvent dans le même morceau. Sa musique n'est pas hybride, elle refuse simplement de choisir, aussi à l'aise dans les errances arides à la Earth, le mouvement immobile cher à Low, l'abstraction en dents de scie d'un Meursault et que sais-je encore mais ce qui est intéressant, c'est que le trio finit par ne ressembler qu'à lui-même. Ce qui frappe aussi, c'est le côté désincarné de l'ensemble. Tout comme ces tentes vides perdues au milieu des arbres qui ornent la pochette. On a plus d'une fois l'impression qu'aucun être humain ne joue cette musique ou ne l'habite. En dehors du nom des trois musiciens au verso, Trapist ne donne aucune information, aucune clé, portant sans doute sa musique au-dessus des individus qui la composent. Pour autant, celle-ci n'est pas déshumanisée, elle est même terriblement vivante mais semble bien plus attirée par les micro-détails que par les événements.
Troisième disque de Trapist (c'est-à-dire les quatre cordes de Joe Williamson, les six de Martin Siewart qui s'occupe également de l'électronique et les balais ahurissants d'élégance de Martin Brandlmayr) après un Ballroom en demi-teinte en 2004 chez Thrill Jockey, The Golden Years, en retrouvant l'équilibre fragile de son premier long format (Highway My Friend, 2002) ne pouvait mieux porter son nom et si l'on ne sait absolument pas à quel prétendu âge d'or le trio fait ici référence, ces quatre morceaux semblent effectivement en provenir. À chaque fois, il s'agit bien sûr d'instrumentaux, véritables hymnes au silence, aux infimes variations que l'extrême lenteur de cette musique permet de détailler. Ils enveloppent l'auditeur et son espace jusqu'à les perdre complètement. Très vite, on ne prend plus garde à la structure, on ne se raccroche plus à aucune ossature et on se laisse surprendre par les arpèges délicats de la guitare, par le jeu extrêmement fin des balais, par le grondement sourd et discontinu du violoncelle, on s'enferme dans les morceaux, on oublie, on ne pense plus, on voyage. Bien sûr, on ne peut pas vraiment dire que Trapist marque par sa grande originalité, mais l'exécution est à tel point maîtrisée, l'effacement si efficace, le silence si assourdissant que l'on laisse le trio tout désintégrer consciencieusement : le temps, l'espace avec nous dedans et pour finir, sa musique.
Légèrement abstrait, un poil expérimental, un peu post, un peu rock, un peu jazz, le groupe semble vouloir composer une musique que l'on n'entendrait pas, une musique invisible et inaudible à force d'effacement qui mettrait en valeur le temps qui passe, les secondes qui s'égrènent irrémédiablement et à maintes reprises au cours de ces quarante minutes, The Golden Years n'est pas loin d'y parvenir.
Dans ce disque, personne ne vous entendra crier.
Jubilatoire.
leoluce
Tient en écrivant sur le nouveau Geoff Farina, je me suis pris à réécouter mes vieux Karate, et je me disais justement, malgré tous les défauts du groupe, que peu de formations actuelles pouvaient se targuer de proposer une approche similaire, et puis voilà que Trapist ressort un album. Good news (et très bon texte comme toujours).
RépondreSupprimerOui, complètement d'accord. Karate avait vraiment quelque chose bien à lui. Beaucoup moins client de l'épisode Glorytellers en revanche, mais déjà beaucoup plus des travaux solo de Geoff Farina.
RépondreSupprimerEt merci pour le commentaire.