Date de sortie : 20 January 2012 | Label : Robotic Empire
Ce ne sera sans doute une surprise pour personne que de retrouver aussi régulièrement que possible dans ces pages le stakhanoviste de Toronto, tant sa productivité quasi décourageante se prévaut depuis dix ans d'une ambition créative tout aussi singulière. Jamais vraiment où on l'attend malgré une image de doomeux aux cheveux gras qui lui colle à la peau depuis le succès dans les caves du monde entier des premiers opus de son duo Nadja, on l'aura ainsi vu passer ces dernières années des impros tribal-ambient ésotériques du trio ARC qu'il forme avec son homonyme et fidèle batteur Richard Baker et le percussionniste Christopher Kukiel, aux évocations drone-folk cafardeuses d'Infinite Light Ltd. en association avec Mathew Sweet (Boduf Songs) et Nathan Amundson (Rivulets), sans oublier cette multitude de split albums et collaborations avec des cadors du soundscaping versant contemplatif ou ténébreux (on citera en vrac Noveller, Thisquietarmy, Tim Hecker ou Fear Falls Burning) ni bien entendu ses propres travaux en solo, qu'il s'agisse de majestueuses méditations guitaristiques, d'excavations drone-metal anxiogènes ou de collages free noise, pour faire court (dernier en date pour ce mois de février, un certain Variations On A Loop recommandé ici).
Et pourtant, si l'on a beau s'attendre à tout de la part du Canadien, The Spectrum Of Distraction n'en demeure pas moins bluffant. D'abord par son format peu commun que seul un allumé de l'impro analogique tel qu'Oval peut s'enorgueillir d'avoir exploré avant lui : 98 titres (dont un seul absent du Bandcamp en bas de chronique) pour autant de jams aux velléités atmosphériques étonnamment bridées, d'une durée allant de 3 secondes à 7 minutes sur près de deux heures de musique. Ensuite par ses thèmes, ouvertement fantastiques comme en attestent la pochette illustrée par l'auteur de comics anglais Matt Smith dans un esprit digne des serials adolescents des années 80, ou plus significativement les titres des différentes séries d'instrumentaux qui semblent subdiviser l'album en autant de chapitres successifs.
Autant dire que choisir le bon bout pour chroniquer un tel OVNI relève de la gageure. Que faire alors ? Tenter une écoute aléatoire comme conseillé par le musicien malgré une construction semble-t-il très élaborée sur la version double CD ? Avancer quelques comparaisons forcément réductrices, avec Oval donc et son gargantuesque O aux humeurs lunatiques, Frank Zappa dont le concept de xénochronie aurait vraisemblablement inspiré l'album dans ses infinies possibilités de ruptures et autres contrepieds offertes par le mode shuffle, ou pourquoi pas l'éponyme de Naked City pour cette profusion d'influences et de directions qui fait que l'on se sait jamais vraiment où l'on va, ni même où l'on est ? Ou peut-être passer au crible l'apport des 17 batteurs invités - oui 17, pas un de moins, en plus d'Aidan Baker lui-même - dont les singularités de jeu participent pleinement de cet éclatement rythmique ?
On pourrait ainsi renvoyer dos à dos l'urgence électrique et jazzy des War With The Evil Power Master cadencés par les frappes sèches de Phil Petrocelli (Great Falls, Black Noise Cannon) et le psychédélisme éthéré de You Are Microscopic où Simon Scott, ex Slowdive aujourd'hui soundscaper affirmé chez Miasmah, joue sur du velours dans un océan de réverb ; les étranges variations minimalistes au groove abstrait des How I Became A Freak sous l'impulsion décalée de David Dunnett (Man Meets Bear, Ça Va Mal) et le chaos liquide de Stranded! ou Captive! caressés par les baguettes agiles de Brandon Miguel Valdivia (Picastro) ; la mélancolie feutrée des Silver Wings effleurés par les marteaux légers de Thor Harris (Swans, Shearwater) et le drone-rock incandescent de Beyond The Great Wall dans la mouvance hypnotique du récent projet Necessary de son batteur Ted Parsons (Godflesh, Jesu) ; le heavy metal sursaturé de The Cave Of Time matraqué par Geoff Summers de Batillus et le mysticisme astral de Space & Beyond envoûté par le sorcier Richard Baker, encore lui ; ou encore les brèves incursions dub ou drum'n'bass des bien-nommés Dream Trips et la longue progression rampante d'un Planet Eater rythmé sur 7 minutes (un record, donc) par les séquences métronomiques de Bruno Dorella (OvO, Ronin).
Difficile à ce train-là, vous l'aurez compris, de retenir en l'espace de quelques écoutes un passage plutôt qu'un autre, mais il faut bien avouer que l'on s'est tout particulièrement intéressé malgré leur fugacité aux interventions de Steven Hess, batteur d'Ural Umbo ou Locrian et lui-même droneux émérite au sein de On, notamment sur Prisoner Of The Ant People (mais il remettra ça avec le flippant diptyque Through The Black Hole sur le second CD). Un titre qui du haut de sa minute quarante s'inscrit dans la durée moyenne des pistes de l'album et dont les percussions grouillantes et inquiétantes, au diapason des drones de guitare doomesques déroulés par Baker, révèlent entre The Antimatter Formula, suite massive assénée par Mac McNeilly (The Jesus Lizard), et les fulgurances sludge en liberté des You Are A Monster expédiés par le Canadien lui-même, toute l'ambivalence dont peut s’avérer capable ce monstre de Frankenstein fait disque, mastérisé avec tout l'amour de la texture brute qu'on lui connaît par James Plotkin (Khanate). Un album que l'on vous conseille pour notre part d'écouter d'une traite et dans l'ordre, afin de malmener vos oreilles et de titiller votre imagination avec tout le respect qui leur est dû.
Et pourtant, si l'on a beau s'attendre à tout de la part du Canadien, The Spectrum Of Distraction n'en demeure pas moins bluffant. D'abord par son format peu commun que seul un allumé de l'impro analogique tel qu'Oval peut s'enorgueillir d'avoir exploré avant lui : 98 titres (dont un seul absent du Bandcamp en bas de chronique) pour autant de jams aux velléités atmosphériques étonnamment bridées, d'une durée allant de 3 secondes à 7 minutes sur près de deux heures de musique. Ensuite par ses thèmes, ouvertement fantastiques comme en attestent la pochette illustrée par l'auteur de comics anglais Matt Smith dans un esprit digne des serials adolescents des années 80, ou plus significativement les titres des différentes séries d'instrumentaux qui semblent subdiviser l'album en autant de chapitres successifs.
Autant dire que choisir le bon bout pour chroniquer un tel OVNI relève de la gageure. Que faire alors ? Tenter une écoute aléatoire comme conseillé par le musicien malgré une construction semble-t-il très élaborée sur la version double CD ? Avancer quelques comparaisons forcément réductrices, avec Oval donc et son gargantuesque O aux humeurs lunatiques, Frank Zappa dont le concept de xénochronie aurait vraisemblablement inspiré l'album dans ses infinies possibilités de ruptures et autres contrepieds offertes par le mode shuffle, ou pourquoi pas l'éponyme de Naked City pour cette profusion d'influences et de directions qui fait que l'on se sait jamais vraiment où l'on va, ni même où l'on est ? Ou peut-être passer au crible l'apport des 17 batteurs invités - oui 17, pas un de moins, en plus d'Aidan Baker lui-même - dont les singularités de jeu participent pleinement de cet éclatement rythmique ?
On pourrait ainsi renvoyer dos à dos l'urgence électrique et jazzy des War With The Evil Power Master cadencés par les frappes sèches de Phil Petrocelli (Great Falls, Black Noise Cannon) et le psychédélisme éthéré de You Are Microscopic où Simon Scott, ex Slowdive aujourd'hui soundscaper affirmé chez Miasmah, joue sur du velours dans un océan de réverb ; les étranges variations minimalistes au groove abstrait des How I Became A Freak sous l'impulsion décalée de David Dunnett (Man Meets Bear, Ça Va Mal) et le chaos liquide de Stranded! ou Captive! caressés par les baguettes agiles de Brandon Miguel Valdivia (Picastro) ; la mélancolie feutrée des Silver Wings effleurés par les marteaux légers de Thor Harris (Swans, Shearwater) et le drone-rock incandescent de Beyond The Great Wall dans la mouvance hypnotique du récent projet Necessary de son batteur Ted Parsons (Godflesh, Jesu) ; le heavy metal sursaturé de The Cave Of Time matraqué par Geoff Summers de Batillus et le mysticisme astral de Space & Beyond envoûté par le sorcier Richard Baker, encore lui ; ou encore les brèves incursions dub ou drum'n'bass des bien-nommés Dream Trips et la longue progression rampante d'un Planet Eater rythmé sur 7 minutes (un record, donc) par les séquences métronomiques de Bruno Dorella (OvO, Ronin).
Difficile à ce train-là, vous l'aurez compris, de retenir en l'espace de quelques écoutes un passage plutôt qu'un autre, mais il faut bien avouer que l'on s'est tout particulièrement intéressé malgré leur fugacité aux interventions de Steven Hess, batteur d'Ural Umbo ou Locrian et lui-même droneux émérite au sein de On, notamment sur Prisoner Of The Ant People (mais il remettra ça avec le flippant diptyque Through The Black Hole sur le second CD). Un titre qui du haut de sa minute quarante s'inscrit dans la durée moyenne des pistes de l'album et dont les percussions grouillantes et inquiétantes, au diapason des drones de guitare doomesques déroulés par Baker, révèlent entre The Antimatter Formula, suite massive assénée par Mac McNeilly (The Jesus Lizard), et les fulgurances sludge en liberté des You Are A Monster expédiés par le Canadien lui-même, toute l'ambivalence dont peut s’avérer capable ce monstre de Frankenstein fait disque, mastérisé avec tout l'amour de la texture brute qu'on lui connaît par James Plotkin (Khanate). Un album que l'on vous conseille pour notre part d'écouter d'une traite et dans l'ordre, afin de malmener vos oreilles et de titiller votre imagination avec tout le respect qui leur est dû.
Rabbit
Excellent ! Une petite préférence pour Ted Parsons par ici mais Steven Hess, bien évidemment, est toujours aussi monstrueux...
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