Date de sortie : 14 février 2012 | Label : History Always Favours The Winners
L'approche ultra-minimaliste de The Caretaker, et d'autant plus depuis l'embrumé An Empty Bliss Beyond This World avec ses samples de standards désuets déroulés en boucles lancinantes et abruptes sous les couches de craquements et de bruit statique, pourra d'abord sembler aride et peu créative aux oreilles des non initiés. Ce serait pourtant bien mal connaître Leyland Kirby que de préjuger de la facilité d'un tel exercice, tant l'Anglais basé à Berlin nous a par ailleurs habitués sous son véritable patronyme à des trésors de mélancolie cotonneuse entre deux errances stellaires aux fascinantes distorsions analogiques.
Disciple d'Angelo Badalamenti autant que de Brian Eno - sur le gargantuesque Sadly The Future Is No Longer What It Was de 2009 dont les quatre heures certes inégales de méditations post-classiques ou plus synthétiques comptaient leur lot d'écueils poignants pour les âmes tourmentées, puis récemment sur un Eager To Tear Apart The Stars plus condensé aux songes élégiaques habités par la même sentimentalité éthérée - voire parfois adepte d'une inspiration plus crépusculaire sous les identités de V/Vm et The Stranger, une obsession récurrente ressort néanmoins de l'ensemble des travaux du Mancunien : celle du souvenir et par extension de l'oubli, qu'il s'agisse du rétro-futurisme de la série de vinyles Intrigue & Stuff vacillant dans les limbes astrales d'un imaginaire collectif érodé par la course du temps, ou des rêveries nostalgiques et un peu hantées du triple album précédemment cité.
Une thématique qui a tout particulièrement forgé l'identité de son projet The Caretaker, des récollections sombres et poussiéreuses de l'autoproduit Selected Memories From The Haunted Ballroom inspiré il y a déjà 13 ans par les visions anachroniques de Jack Torrence dans la salle de réception de l'hôtel Overlook et dont les échos inquiétants font honneur plus d'une fois à l'atmosphère du Shining de Kubrick, jusqu'aux réminiscences d'entre deux guerres de l'entêtant An Empty Bliss Beyond This World qui trouvaient l'an dernier tout leur sens à la lumière blafarde d'un audacieux concept : évoquer les paradoxales persistances émotionnelles de certains souvenirs lointains des malades d'Alzheimer, générées par la mémoire sensorielle de leur cortex préfrontal, l'une des dernières zones du cerveau à être touchées par l'irrémédiable dégénérescence.
Un album sorti sur son propre label History Always Favours The Winners et dont Patience (After Sebald) prend directement la suite avec toutefois une dialectique plus narrative en adéquation avec l'essai dont il se veut la bande originale. Réalisé par Grant Gee, clippeur anglais notamment réputé pour son docu sur Radiohead « Meeting People Is Easy », le long-métrage en question met en perspective les écrits de l'Allemand W.G. Sebald à travers les tribulations d'un narrateur à la recherche de la nouvelle Die Ringe des Saturn : Eine englische Wallfahrt (« Les anneaux de Saturne : un pèlerinage anglais »), elle même carnet de voyage de l'auteur dans les méandres de l'histoire oubliée du comté de Suffolk. Fasciné par le déclin de la mémoire et des civilisations, Sebald ne pouvait qu'inspirer The Caretaker qui pour l'occasion s'est imposé une contrainte de taille : utiliser comme unique source musicale un vieil enregistrement du Voyage d’Hiver de Schubert remontant à 1927, assurément l'une des œuvres les plus tragiques du Viennois composée peu avant sa mort.
Contre toute attente, c'est justement cette gageure qui permet à Kirby de ne pas s'éparpiller et de transcender une fois de plus un concept esthétique en court de rigidification depuis l'envoûtant Persistent Repetition Of Phrases de 2008. Car si la musique de The Caretaker demeure basée sur la répétition de courts motifs mélodiques sous une neige parasite résolument maussade, elle se fait ici plus introspective que génératrice d'images, tel un cocon de romantisme suranné où se réfugier en ces temps d'incertitude mais où l'on finit forcément par amener avec soi ses doutes, ses angoisses, sa détresse... jusqu'à finalement se complaire dans la conscience fataliste de son propre désespoir. Par deux fois, les emprunts à Schubert, délaissant quelque peu le désenchantement du piano pour la dramaturgie du chant lyrique, donnent aux instrumentaux de l'Anglais une connotation spirituelle, presque sacrée, symbole de cette foi vacillante à laquelle on se raccroche lorsque la fin est proche, tout en sachant pertinemment qu'elle n'est que vaine superstition et que seul le néant succèdera à notre dernier souffle.
Patience (After Sebald) est un album qui nécessite un contexte d'écoute approprié pour être apprécié à sa juste valeur, des conditions propices à l'abandon pour y trouver une résonance d'autant plus personnelle qu'elle le fut de toute évidence pour son auteur. Tour à tour sinistres et réconfortantes, à l'image du phare que l'on aperçoit dans la boule à neige de la pochette et dont la faible lueur peine à traverser la pénombre, ses bribes de mélodies d'un autre temps ne demandent qu'à nous ouvrir un chemin fugace dans le manteau de nuit qui se refermera tôt ou tard autour de nous.
Disciple d'Angelo Badalamenti autant que de Brian Eno - sur le gargantuesque Sadly The Future Is No Longer What It Was de 2009 dont les quatre heures certes inégales de méditations post-classiques ou plus synthétiques comptaient leur lot d'écueils poignants pour les âmes tourmentées, puis récemment sur un Eager To Tear Apart The Stars plus condensé aux songes élégiaques habités par la même sentimentalité éthérée - voire parfois adepte d'une inspiration plus crépusculaire sous les identités de V/Vm et The Stranger, une obsession récurrente ressort néanmoins de l'ensemble des travaux du Mancunien : celle du souvenir et par extension de l'oubli, qu'il s'agisse du rétro-futurisme de la série de vinyles Intrigue & Stuff vacillant dans les limbes astrales d'un imaginaire collectif érodé par la course du temps, ou des rêveries nostalgiques et un peu hantées du triple album précédemment cité.
Une thématique qui a tout particulièrement forgé l'identité de son projet The Caretaker, des récollections sombres et poussiéreuses de l'autoproduit Selected Memories From The Haunted Ballroom inspiré il y a déjà 13 ans par les visions anachroniques de Jack Torrence dans la salle de réception de l'hôtel Overlook et dont les échos inquiétants font honneur plus d'une fois à l'atmosphère du Shining de Kubrick, jusqu'aux réminiscences d'entre deux guerres de l'entêtant An Empty Bliss Beyond This World qui trouvaient l'an dernier tout leur sens à la lumière blafarde d'un audacieux concept : évoquer les paradoxales persistances émotionnelles de certains souvenirs lointains des malades d'Alzheimer, générées par la mémoire sensorielle de leur cortex préfrontal, l'une des dernières zones du cerveau à être touchées par l'irrémédiable dégénérescence.
Un album sorti sur son propre label History Always Favours The Winners et dont Patience (After Sebald) prend directement la suite avec toutefois une dialectique plus narrative en adéquation avec l'essai dont il se veut la bande originale. Réalisé par Grant Gee, clippeur anglais notamment réputé pour son docu sur Radiohead « Meeting People Is Easy », le long-métrage en question met en perspective les écrits de l'Allemand W.G. Sebald à travers les tribulations d'un narrateur à la recherche de la nouvelle Die Ringe des Saturn : Eine englische Wallfahrt (« Les anneaux de Saturne : un pèlerinage anglais »), elle même carnet de voyage de l'auteur dans les méandres de l'histoire oubliée du comté de Suffolk. Fasciné par le déclin de la mémoire et des civilisations, Sebald ne pouvait qu'inspirer The Caretaker qui pour l'occasion s'est imposé une contrainte de taille : utiliser comme unique source musicale un vieil enregistrement du Voyage d’Hiver de Schubert remontant à 1927, assurément l'une des œuvres les plus tragiques du Viennois composée peu avant sa mort.
Contre toute attente, c'est justement cette gageure qui permet à Kirby de ne pas s'éparpiller et de transcender une fois de plus un concept esthétique en court de rigidification depuis l'envoûtant Persistent Repetition Of Phrases de 2008. Car si la musique de The Caretaker demeure basée sur la répétition de courts motifs mélodiques sous une neige parasite résolument maussade, elle se fait ici plus introspective que génératrice d'images, tel un cocon de romantisme suranné où se réfugier en ces temps d'incertitude mais où l'on finit forcément par amener avec soi ses doutes, ses angoisses, sa détresse... jusqu'à finalement se complaire dans la conscience fataliste de son propre désespoir. Par deux fois, les emprunts à Schubert, délaissant quelque peu le désenchantement du piano pour la dramaturgie du chant lyrique, donnent aux instrumentaux de l'Anglais une connotation spirituelle, presque sacrée, symbole de cette foi vacillante à laquelle on se raccroche lorsque la fin est proche, tout en sachant pertinemment qu'elle n'est que vaine superstition et que seul le néant succèdera à notre dernier souffle.
Patience (After Sebald) est un album qui nécessite un contexte d'écoute approprié pour être apprécié à sa juste valeur, des conditions propices à l'abandon pour y trouver une résonance d'autant plus personnelle qu'elle le fut de toute évidence pour son auteur. Tour à tour sinistres et réconfortantes, à l'image du phare que l'on aperçoit dans la boule à neige de la pochette et dont la faible lueur peine à traverser la pénombre, ses bribes de mélodies d'un autre temps ne demandent qu'à nous ouvrir un chemin fugace dans le manteau de nuit qui se refermera tôt ou tard autour de nous.
Rabbit
Plus d'infos sur Leyland Kirby et The Caretaker.
Des chutes de l'album à télécharger librement pour une durée limitée : http://thecaretaker.bandcamp.com/album/extra-patience-after-sebald
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