Date de sortie : 15 février 2012 | Label : Touch
Alors que résonnent les dernières secondes de Fractured Mirror qui viennent clore définitivement Audience Of One, impossible de ne pas être
interloqué : la mélodie ne m’est pas étrangère.
D’abord, je pense au Teardrop de Massive Attack, ces mêmes arpèges
délicats qui en avaient fait un classique instantané en 1998. Et puis, immédiatement après, à l’Homme de l’Espace, le guitariste aux yeux
d’araignées argentées et aux lèvres noires sur fond blanc de Kiss, Ace Frelhey, en me remémorant
le choc qu’avait constituée la découverte de son album
éponyme sorti vingt années plus tôt lors d’une soirée
débile qui s’était terminée par son écoute religieuse (et bien chargée). C'est qu'à l'époque, trouver des réminiscences de la musique d'Ace Frelhey dans celle de Mezzanine de Massive Attack m'était apparu complètement incongru. Tout comme l’est la présence de cette reprise sur la nouvelle
échappée solitaire d’Oren Ambarchi. C'est qu'en terme de filiation, j'ai bien du mal à imaginer plus éloigné que ces deux univers-là. Dans le même temps, il faut bien le
reconnaître, ce morceau est tout de même franchement réussi et la relecture minérale
et près de l’os qu'en fait Oren Ambarchi est à la fois fidèle à l’original et à l’album
qu’elle achève.
Parce qu'en dehors de la présence en creux de Space Ace, pour les habitué(e)s du travail de l’Australien, Audience
Of One a tout de même encore de quoi surprendre. Bien sûr, des plages
apaisées comme Fractured Mirror ou le magnifique Salt d’ouverture n'auraient pas dépareillé sur Grapes From The Estate (2004) par exemple ou rappellent certains passages d'In The Pendulum's Embrace (en particulier Trailing Moss In Mystic Glow) mais ce qui frappe, c’est d'abord la présence de la
voix de Paul Duncan (le multi-instrumentiste de Warm Ghost) portée par des arrangements secs
et rêveurs, d'une élégance extrême et surtout l'évidence mélodique dont fait preuve ce court morceau. Même chose du côté du piano mélancolique
qui ouvre parfaitement le très beau Passage. Autrement dit, trois des quatre titres de Audience Of One se trouvent être bien plus facilement accessibles que par le passé, comme si l'Australien avait voulu ouvrir les fenêtres et laisser rentrer un peu d'air dans une discographie que l'on qualifiera faute de mieux d'on ne peut plus exigeante jusqu'ici. Non pas que toutes velléités mélodiques aient été proscrites de ses enregistrements précédents mais peut-être n'étaient-elles jamais encore apparues au grand jour comme ici. Et c'est bien ce qui fait la force de ce nouvel opus qui par ailleurs, reste incontestablement un disque d'Oren Ambarchi.
Parce qu'Audience Of One marque le grand retour du musicien d'origine irakienne à ses aventures
solitaires après un passage plus que remarqué aux côtés de Jim O’Rourke et
Keiji Haino notamment, le temps de trois albums complètement différents mais franchement
magnifiques. Mais ça, c’était probablement pour la partie émergée de l’iceberg,
la plus visible, sans doute cet infatigable stakhanoviste s’est-il retrouvé
dans le même temps embringué dans une multitude de projets souterrains… Quoi
qu’il en soit, c’est avec grand plaisir que l’on se jette dans les fissures
labyrinthiques de ce nouvel opus qui succède donc à In The Pendulum’s Embrace qui
date tout de même de 2007. Sans doute Audience Of One est-il plus accessible
que ses prédécesseurs même si de nombreux accidents sonores persistent. C’est
que les trois morceaux plus mélodiques pré-cités se trouvent être contrebalancés par
Knots, long reptile organique et mouvant qui change de peau et d’ossature une demi-heure durant. Le
disque est avant tout dissymétrique : trois morceaux sur quatre sont certes plus
accueillants mais au final, leurs vingt minutes contemplatives et magnifiques se heurtent à trente minutes d’expérimentation passionnante et la subtilité dont fait preuve Ambarchi
tout du long est tout simplement saisissante.
Knots et ses mouvements, ses circonvolutions qui se succèdent sans cassures alors que nombre de fractures parsèment le morceau. On est happé d'emblée par le cliquetis souterrain des cymbales de Joe Talia, un cliquetis qui rythme parfaitement l'ambient majestueuse qui ouvre le titre de longues minutes durant. Les arrangements pour cors et cordes d'Eyvind Kang apportent une profondeur insoupçonnée aux drones tendus qui progressivement se fracassent les uns contre les autres, ainsi qu'aux guitares, percussions et voix, le morceau devenant ainsi ouvertement noise, paroxystique et violent sur un bon tiers avant de redevenir mer d'huile tout au long de son épilogue d'où ne filtrent plus que quelques gerbes de fracas de-ci de-là. Un morceau impressionnant qui montre d'abord à quel point Oren Ambarchi maîtrise parfaitement bien la météo de ses compositions, les faisant passer du beau temps à la tempête puis au ciel de traîne dans un mouvement (mais ça, nous le savions déjà) et qui met ensuite en valeur toute la majesté des morceaux qui l'entourent quand eux mêmes permettent de souligner la beauté fracassée et la mue constante de celui qu'ils cernent à leur tour. L'architecture du disque concourant ainsi à sa grande réussite.
Pour finir d'enfoncer le clou si besoin était, soulignons toute l'étendue du champ instrumental permettant à Oren Ambarchi de fourbir ses armes : guitares électrique et acoustique, harpe, violoncelle, violon, cors, verres de vin, mellotron, microphones de contact et tant d'autres objets encore constituent le terreau harmonique et harmonieux dans lequel Audience Of One plonge ses profondes racines. Un souffle organique constant habite les quatre compositions et se superpose à toute leur minéralité, elles étaient déjà magnifiques en soi, elles deviennent en plus vivantes. Et alors que ses collaborations nombreuses, de Sunn O))) à Z'EV, avaient permis à Oren Ambarchi de sortir de l'ombre, espérons que ce disque-là le mette encore plus ouvertement en lumière, que le plus grand nombre puisse s'emparer de cet artiste tout simplement important.
Magnifique !
leoluce
Effectivement sacré contraste entre le vortex kraut-noise de Knots et la délicatesse des trois autres titres, mais ça rend l'album d'autant plus captivant.
RépondreSupprimerCe disque, malgré qu'il soit plus accessible que beaucoup d'autres d'Oren, possède de belles saillies soniques et bruitistes "noisy", à l'image de nombreux passages des + de 33 minutes de "Knots".
RépondreSupprimerCe disque est très surprenant, passant du titre ultra mélodique, ambiant et pop "Salt" et finissant par "Fractured Mirror" que tu as très bien analysé.
2012 a été une bonne année niveau créativité pour cet expérimentateurs hors-pair avec le très Kraut/Motorik "Sagittarian Domain" ou sa collaboration avec Robin Fox pour la B.O "Connected" !!! 2012, année Oren Ambarchi ??? J'en ai tout l'impression !!
A + et good blog
Oui, en espérant que l'année 2013 soit aussi prolifique concernant Ambarchi... Merci pour ton message.
SupprimerThank yoou for sharing
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